Le regard sur l'histoire romaine de St Augustin
4 Octobre 2015 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Grundlegung zur Metaphysik, #Antiquité - Auteurs et personnalités
Qu'on prenne le catholicisme dans son sens le plus rigoureux, ou dans un sens plus inclusif (en y incorporant la Gnose, et diverses hérésies "bénignes"), je crois qu'on peut lui reconnaître le mérite d'avoir été à l'origine de la philosophie de l'Histoire, parce qu'il inventa un sens universel à l'ensemble de l'Histoire humaine, de l'alpha à l'omega, là où les autres systèmes (païens pré-chrétiens) ne fournissaient que des réflexions ponctuelles sur des séquences historiques.
Chez les Chrétiens, même une réflexion ponctuelle sur une séquence donnée (l'Antiquité, la Révolution française, le nazisme) permet d'éclairer l'ensemble d'une téléologie globale.
Dans cette perspective j'apprécie beaucoup "La Cité de Dieu" de St Augustin. On peut regretter son côté trop rhétorique, lié à son côté polémique contre les païens de son temps et leurs dieux (comme Le Génie du Christianisme de Chateaubriand est une polémique contre les encyclopédistes du Siècle des Lumières), mais il faut savoir oublier l'emphase combattive, pour aller au fond du propos.
Le propos est une belle réflexion sur qu'est Rome, sur ses échecs, sur ce que Dieu fit pour la sauver d'elle-même en quelque sorte. J'aime regard très noir d'Augustin sur la république finissante, sur Caton d'Utique (quand il dit que s'il avait été fidèle à ses principes il aurait conduit sa progéniture au suicide plutôt que de la laisser sous le joug de César ce qui revient à dire qu'il s'est suicidé par simple orgueil - rappelez vous mes remarques sur l'orgueil de Caton près du sanctuaire d'Amon-Rê.
St Augustin ne me parle pas quand il raille le nombre de dieux qu'il peut y avoir en charge de la seule croissance des épis de blé (avec leur incroyable spécialisation respective). Il me fait rire quand il écrit à propos de l'autel du Capitole : qu'au retour de Marius "cette dernière table dressée par Sylla égorge plus de sénateurs qu'aujourd'hui les Goths n'en peuvent dépouiller" (t. 1 p. 156).
A propos des Goths justement St Augustin m'apprend qu'un de leurs rois païen en 405, Rhadagaise, menaçait Rome. Je ne sais s'il faut croire le saint quand il dit que ce roi perdit "cent mille des siens" "en une seule journée" sans qu'il ne coûte "aux Romains ni une mort, ni une blessure". Je le crois en revanche quand il écrit : "Si cet impie fût entré dans Rome avec ce déluge de barbares, qui eût-il épargné ? Quelles tombes de martyrs eût-il honorées ? En quel homme eût-il respecté Dieu même ? A qui eût-il laissé la vie ou la pudeur ?" (p. 245)
"On nous disait à Carthage que les païens croyaient et publiaient victorieusement qu'avec la faveur et la protection des dieux, à qui, disait-on, il sacrifiait chaque jour, il ne saurait être vaincu par ces Romains dégénérés qui n'offraient plus et ne promettaient plus d'offrir de tels sacrifices aux dieux de Rome".
En lisant Augustin on comprend que la défaite de Rhadagaise (ou Radagaise) fut un miracle divin, et l'invasion de Rome par un Goth chrétien, Alaric, en 410, un signe de la clémence de Dieu, car Alaric a laissé la vie sauve à ceux qui se réfugiaient dans les églises, et respecté les sanctuaires chrétiens.
Les événements historiques se comprennent toujours mieux à la lumière de ce qui aurait pu advenir de pire... On ne doute pas que si Radagaise avait fait raser Rome, outre le drame pour les habitants de la ville, cela eût pu signer la fin du christianisme dans l'Empire. Comme le souligne Jonathan Black, toutes les guerres du Bas Empire furent des guerres d'une religion contre une autre, de divinités contre d'autres. Avec les Huns, c'est la chamanisme qui est vaincu en Europe, avec Radagaise, c'est le paganisme, au moins provisoirement, même si, en apparence, la Rome christianisée vit ses pires instants.
L'évêque d'Hippone, fin lecteur de ses prédécesseurs historiens romains (quelque part il n'hésite pas par exemple à citer mon chouchou Lucain), est ainsi une source indispensable pour penser les premiers siècles de notre ère. J'ai lu dans la "Maison Dieu" de Dominique Iogna Prat que Charlemagne aimait qu'on lui lise des extraits de "La Cité de Dieu". Preuve que c'était un grand empereur.
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