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Le blog de Frédéric Delorca

Petite synthèse sur la crise catalane

7 Octobre 2017 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Espagne, #Peuples d'Europe et UE

Un lecteur fidèle de ce blog de résumer mon point de vue sur la crise catalane.

Voici un aperçu global. Le comté de Barcelone, comme celui d'Aragon et celui de Navarre sont des création de Charlemagne qui, selon la légende, appelé à libéré St Jacques de Compostelle des "infidèles" par un ange (suivre "la voie lactée") organisa à cet effet une "marche" de son empire en Ibérie. Culturellement l'identité catalane est de la même branche que celle du Languedoc et de Provence, elle ne s'en est guère distinguée pendant des siècles, le comté de Barcelone a d'ailleurs longtemps appartenu au comté de Provence dont elle a adopté les couleurs (le drapeau jaune et rouge) puis son sort fut lié à l'Aragon.

Comme tous les nationalismes du XIXe siècle, celui de Catalogne fut le fruit d'une relecture sélective et mythique de l'histoire par des petits grammairiens de province (des "intellectuels dominés" dans le vocabulaire sociologique). Je vous renvoie sur ce point au célèbre "Imagined Communities" de Benedict Anderson que Bourdieu citait beaucoup dans ses cours sur l'Etat au Collège de France en 1990.

La première expression politique du nationalisme catalan fut la création d'un self-government sous la IIe république espagnole dans les années 1930. Il était l'expression des intérêts économiques d'une bourgeoisie industrielle et économique qui était le fer de lance, comme la bourgeoisie basque, de la modernisation de l'Espagne qui était restée au XIXe siècle, malgré des guerres civiles entre progressistes et traditionalistes, à l'égard du reste de l'Europe une sorte de "Corée du Nord" catholique conservatrice résistant aux influences du libéralisme anglais et du jacobinisme français (voir le témoignage de Custine). Cette bourgeoisie qui n'était pas exempte de tendances fascisantes et avait ses milices organisées par Josep Dencas dans les rues proclama l'Etat catalan en 1934 sois la présidence de Companys mais cette proclamation fut étouffée par la garde civile, et Dencas se réfugia en Italie mussolinienne.

En 1936, face au coup d'Etat de Franco soutenu cette fois par Hitler et Mussolini, le mouvement anarchiste, des militaires socialistes (marxistes ou franc-maçons) et le gouvernement autonome catalan se coalisèrent contre l'insurrection. Après la liquidation des milices anarchistes la République espagnole, dont la capitale était à Valence mais dont les troupes se battaient essentiellement autour de la Catalogne et de Madrid devint une sorte de République populaire armée par l'URSS (qui seule la soutenait activement) qui, derrière un parlementarisme de façade, reposait en fait sur le pouvoir des commissaires politiques communistes (en Catalogne le Parti socialiste unifié de Catalogen PSUC).

Après 38 ans de dictature franquiste, la question s'est posée de la nouvelle gouvernance en Catalogne durant la transition démocratique. Comme en témoignait récemment l'ex leader du PC espagnol Julio Anguita, les partis au pouvoir à Madrid dans le nouveau cadre de la monarchie constitutionnelle préférèrent installer à la tête de la Catalogne les nationalistes catalans exilés en France plutôt que de laisser s'installer au pouvoir une majorité socialo-communiste (malgré la conversion des communistes à l' "eurocommunisme").

Le gouvernement socialiste (PSOE) de Felipe Gonzalez et celui conservateur (PP) de José-Maria Aznar firent le choix de s'allier avec ces nationalistes catalans "modérés" (Convergencia i unio - CiU - de Jordi Pujol), tandis qu'émergeait peu à peu un nationalisme indépendantiste autour d'Esquerra Republicana de Catalunya (ERC). Au début des années 1990 à Sciences Po Paris il était de bon ton de louer la vertu bourgeoise des nationalistes catalans industrieux et "éclairés" face à l'obscurantisme extrémiste du nationalisme basque.

Ceci permit aux nationalistes catalans de monopoliser le discours institutionnel sur l'histoire du pays, utiliser beaucoup de fonds publics au service de leur propagande, obliger les habitants de Catalogne, y compris ceux qui n'étaient pas originaires de cette région, à apprendre le catalan dans les écoles, marginaliser la culture espagnole, avec la bénédiction de l'Union européenne qui voulait promouvoir une "Europe des régions" et de la majorité de l'intelligentsia européenne (par exemple à l'occasion des Jeux olympiques de Barcelone).

Dans les années 2000, la nationalisme "modéré" catalan compromis par les scandales financiers comme la classe politique madrilène, s'est trouvé en perte de vitesse et n'a trouvé une planche de salut que dans l'alliance avec Esquerra Republica de Catalunya (les deux ensemble ont eu 39 % des voix) , et même depuis quelques années, avec un groupuscule communiste indépendantiste, la CUP (8 %), tandis qu'en son sein émergeait un indépendantisme plus rural que le nationalisme de Jordi Pujol, incarné aujourd'hui par le président de la Generalitat Carles Puigdemont. L'ensemble des nationalistes ne représente en 2015 qu'une petite moitié des électeurs.

Cette coalition est opposée à des partis loyalistes, dont le principal maintenant est le mouvement de centre-droit Citoyens dirigé au parlement de Catalogne par une ex-cadre d'entreprise privée née en Castille de 36 ans, Ines Irrimadas, tandis que Podemos (version espagnole des Insoumis) joue une jeu ambigu dans ce dispositif (la mairesse Podemos de Barcelone a voté "blanc" au référendum illégal de 2017).

Puigdemont, largement otage des partis minoritaires de sa coalition (ERC et CUP), a lancé un programme sécessionniste offensif, axé successivement sur l'organisation d'un référendum illégal semblable à celui organisé en 2014 par son prédécesseur Arturo Mas, dans une atmosphère de cynisme qu'avait déjà révélé la manifestation de recueillement au lendemain des derniers attentats islamistes, où les indépendantistes au mépris de la plus élémentaire décence avaient accaparé le devant de la manifestation avec des banderoles chargées de slogans sécessionnistes. Le référendum de septembre 2017 a été qualifié à juste titre de "carnaval politique" puisque, sans l'appui de l'Etat espagnol pour en garantir la validité, il a été organisé dans des conditions de fortune et dans une ambiance d'intimidation (obligation faite aux écoles de collaborer à son organisation, méconnaissance des droits des électeurs à la confidentialité de leurs opinions , dénonciation comme traîtres de ceux qui n'y participeraient pas etc). Le gouvernement  espagnol a dépêché des milliers de gardes civiles pour empêcher la tenue du scrutin. Ceux-ci ont largement échoué à faire fermer les écoles, se heurtant à une forte résistance passive - population bloquant les rues, l'accès aux écoles etc. Comme avec la police de Manuel Valls à l'époque du CPE il y a eu quelques tirs de balles en caoutchouc et des coups de matraque distribués, mais assez peu par rapport au nombre de points d'intervention où la garde civile devait intervenir et compte tenu de l'ambiance électrique qui régnait alors (beaucoup de gardes civils ont été blessés).

Le scrutin fut une farce : seuls 42 % du corps électoral y a participé (c'est comparable au référendum illégal organisé au Vénézuela  par l'opposition), c'est à dire principalement les partisans de l'indépendance les gens ont pu voter, sous la protection de la police autonome catalane, qui, pour l'occasion, se comportait en police politique, avec des bulletins confectionnés chez eux, et mettre plusieurs bulletins dans différentes urnes d'autant que le blocage d'Internet par la police espagnole perturbait la comptabilisation des votes.

Toutefois la presse internationale - tout d'abord la presse anglo-saxonne, puis, en France, les grands médias de centre-gauche (Le Monde, Libération) et la télévision ont pris fait et cause pour les indépendantistes, montant en épingle les quelques cas de violence policière, souvent en en forgeant de fausses à partir d'images vieilles de plusieurs années, en gonflant le chiffre des blessés  et donnant une image positive de la "jeunesse indépendantiste" catalane, sans dire un mot des millions de Catalans loyaux à l'égard de l'Espagne qui restent chez eux assaillis par un sentiment de crainte, et sans rappeler que le mouvement catalan repose avant tout sur un égoïsme sacré à l'égard des régions espagnoles plus pauvres, alors que la région bénéficie déjà depuis 40 ans toute l'autonomie culturelle qu'elle peut souhaiter. Des politiciens de la mouvance populiste de droite comme l'Anglais Nigel Farage, ou des francs-tireurs d'habitude identifiés comme pro-russes comme Assange et Snowden sur les réseaux sociaux ont aussi soutenu avec véhémence les sécessionnistes, laissant même suspecter chez les médias dominants espagnols une sympathie du Kremlin pour Puigdemont - mais à l'inverse la Serbie, habituellement considérée comme pro-Russe et qui considère que la Catalogne est le Kosovo de l'Espagne a apporté son soutien à Madrid, tout comme, formellement, l'ensemble des pays européens et l'Union européenne).

Sans doute paralysé par l'image négative de lui qu'entretien la presse internationale (et il est vrai qu'il accumule des casseroles depuis longtemps), le premier ministre espagnol Mariano Rajoy hésite à mettre en oeuvre l'article 155 de la constitution qui lui permettrait de destituer le gouvernement sécessionniste de Catalogne qui a enfreint la loi espagnole malgré les condamnations prononcées par les tribunaux et bafoué toutes les règles démocratiques. Cette destitution, demandée par Ciudadanos (et dans un sens implicitement par le roi d'Espagne lui-même qui a prôné la fermeté) ouvrirait la voie à des élections qui rendraient à l'ensemble du peuple catalan la parole et aboutiraient peut-être à la mise en minorité de la ligne extrémiste de Puigdemont. Toutefois le secrétaire général du PSOE Pedro Sanchez, dont Rajoy dépend pour sa majorité aux Cortes, est hostile à cette option et préfère une solution négociée, laquelle pourrait déboucher une solution bancale d'indépendance-association dont on a vu dans les cas soviétique et yougoslave qu'elle n'est souvent que l'anti-chambre d'une indépendance en bonne et due forme. Mais le PSOE lui-même est divisé sur cette option, Alfonso Guerra, ancien ministre de la défense de F. Gonzalez s'est clairemennt prononcé cette semaine pour la mise en oeuvre de l'article 155.

L'argument de l'argent pourrait peser dans la balance : face aux tensions, des grandes entreprises et des banques commencent à déplacer leur siège hors de Catalogne. Arturo Mas, prédécesseur de Puigdemont à la tête de la Generalitat, a laissé entendre hier que la Catalogne n'est peut-être pas prête à assumer les conséquences d'une déclaration unilatérale d'indépendance que son successeur sous la pression d'ERC et de la CUP veut lancer la semaine prochaine sur la base du soutien de moins de la moitié du corps électoral...

Pourquoi cette flambée de soutien international au putsch anti-démocratique catalan ? Nous n'avons pas encore toutes les clés factuelles pour analyser les causes de l'avalanche d'intox qui tombe sur les citoyens du monde entier à travers Internet et les médias audiovisuels depuis 8 jours. Pour d'autres éléments d'infos je vous renvoie à cet article en français d'une prof à l'université d'Etat de Moscou Karine Bechet-Golovko que j'approuve très largement.

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