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Le blog de Frédéric Delorca

Afrin : les responsabilités occidentales

3 Février 2018 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Proche-Orient, #Colonialisme-impérialisme

Bien sûr, il y a cette guerre du Yémen dont on parle peu, et à laquelle les gens comprennent si peu de choses que même un grand journal comme Le Figaro  dans sa version électronique du 30 janvier dernier s'emmêle les pinceaux et titre : "Yémen : les séparatistes Houtis encerclent le palais présidentiel à Aden" alors que, quand on lit l'article (et les dépêches des autres journaux), on se rend compte que ce sont les séparatistes sud-yéménites sunnites (ceux qui ont fourni les rangs d'Al Qaida naguère) qui encerclent le palais, et non les houthis chiites (qui ne sont pas séparatistes mais ont formé un gouvernement alternatif résistant à l'attaque saoudienne ) Sanaa au Nord... On se demande quel est le stagiaire qui a été recruté à  la hâte pour concocter ce titre qui mélange tout, et tant pis pour les collégiens qui feront leur revue de presse avec ce "fake title"...

Bien sûr il y a toutes les atrocités de la guerre en Syrie, à Idlib, à la Goutha, commises par le régime ou par ses opposants (Al Nosra, ASL, l'Etat islamique qui regagne ici ou là du terrain).

Et puis, au sein de l'enfer syrien, il y a Afrin, la poche kurde à la frontière nord, sous le feu turc depuis plusieurs jours (l'opération "Rameau d'olivier"). Afrin avec ses infos justes et sa propagande. Il y a Afrin avec la brutalité de l'armée d'Erdogan et de ses milices djihadistes (comme celle du sanguinaire Muslim al-Shishani). En fait c'est toute l'armée qui devrait être qualifiée d'islamiste puisque le président du parlement turc a parlé de djihad. Et en effet c'est largement du point de vue turc une guerre de religion. Alors que les Kurdes eux, en ont fait une oasis de tolérance - on y trouve des sunnites, des chiites alévis, des chrétiens syriaques, des yézidis, des athées.

Comme au Yémen, le patrimoine archéologique d'Afrin est visé. On parle d'un site hittite de l'Age de fer détruit à 60 % à Ain Dara par les frappes aériennes turques - un geste délibéré qui vise autant l'honneur kurde que celui de l'ensemble des syriens. On dit que l'armée turque utilise de l'agent orange, et des bombes à fragmentations (par exemple à Jinderes le 31 janvier) interdites par la Convention de Genève, comme  l'avaient fait les Occidentaux en Serbie et en Irak, qu'elle tire sur un barrage dans l'espoir qu'il cède pour inonder les villages, que les milices djihadistes à ses  côtés enrôlent de force des enfants de moins de 18 ans de la région comme cela se fait en Afrique et dans toutes les guerres désormais.

Et puis il y a ces femmes héroïques de la YPG (les alliés syriens du PKK) qui après s'être battues contre l'Etat islamique à Raqqa et Deir Ezzor ont rendu l'âme à Afrin en martyres : Avesta Xabur à bout de munitions a balancé se dernières grenades sur la tourelles d'un char d'assaut et sur les djihadistes qui l'encerclaient en se faisant sauter avec eux (les médias appellent ça un attentat suicide, en confondant avec les pratiques offensives des kamikazes, là, l'héroïne s'est juste défendue jusqu'au bout) ou Barîn Kobani qui, elle aussi s'est battue jusqu'au bout, et les djihadistes ivres de rage ont dénudé son buste et coupé ses seins devant une caméra pour en faire une vidéo virale diffusée sur le Net pour les voyeurs en mal de sensations morbides. Et il y a ces volontaires occidentaux, dont on commence à rapatrier les cercueils (j'ai vu le nom d'un jeune Anglais sur Twitter hier.

Combien de victimes ? On ne sait pas. La première question à se poser n'est pas celle de l'ampleur du drame mais celle du problème plus profond qu'il illustre. Et c'est pourquoi ce matin j'écris plus volontiers sur Afrin que sur les autres aspects des drames du Proche-Orient : la question que pose Afrin c'est une nouvelle fois celle de la façon dont l'Occident traite ses supplétifs. En amont de tout il y a le problème de la légitimité d'utiliser des supplétifs : Washington plutôt que d'envoyer ses propres troupes a misé sur les milices kurdes. Moralement il est criminel d'envoyer des peuples mener des guerres par procuration en leur faisant miroiter des promesses intenables. Les Etats-Unis l'ont fait avec les Hmongs au Vietnam, comme nous avec les Harkis pendant la guerre d'Algérie. Il est encore pire, lorsqu'on a décidé d'en faire nos mercenaires, de ne pas les contrôler. Comme le souligne le chercheur Brak Barfi dans L'Orient le Jour, Erdogan avait clairement posé qu'il refuserait de voir les YPG et le PKK implantés en Irak s'installer au delà de l'Euphrate. Or Washington n'a pas pu ou voulu les empêcher de franchir le fleuve... C'était la garantie de les envoyer au casse-pipe.

Aujourd'hui l'Allemagne un peu gênée de voir ses chars combattre à Afrin sous le drapeau d'Erdogan dit suspendre l'assistance militaire avec la Turquie pour l'entretien de ses chars. Un geste bien timide. Le ministre anglais Boris Johnson, lui, trouve une certaine légitimité à l'action turque et personne ne parle de remettre en cause l'aide militaire de Londres à Ankara, pas plus que les contrats militaires français. Les gouvernements occidentaux sous couvert d'appeler hypocritement à la retenue sont bien décidés de laisser tomber leurs supplétifs à Afrin, tout comme ils avaient laissé les Kurdes bien seuls à Kobané. Ils nous ont aidé à liquider l'Etat islamique, aujourd'hui ils peuvent crever. Les Russes eux aussi ont offert Afrin à Erdogan sur un plateau. Mais eux au moins avaient eu la décence d'aller directement au casse-pipe contre l'Etat islamique à Palmyre et à Raqqa, sans instrumentaliser le YPG.

En France officiellement le PCF soutient les Kurdes, mais à la manifestation devant l'assemblée nationale le 24 janvier pour Afrin le seul élu qui ait pris la parole était un sénateur centriste Olivier Léonhardt. Faites pression sur vos députés !

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