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Le blog de Frédéric Delorca

Vril dans le Sud-Ouest

25 Mars 2019 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Grundlegung zur Metaphysik, #1910 à 1935 - Auteurs et personnalités, #Le monde autour de nous, #Débats chez les "résistants"

Si beaucoup de recherches se développent sur Internet autour des sociétés secrètes en ce moment, c'est entre autre parce que beaucoup d'artistes, avec la complicité des journalistes, ont une façon très peu crédible de répondre aux questions qui leur sont posées.

Voyez cette artiste qui a vendu à la communauté d'agglomération de Bordeaux un triptyque pour 1 million et demi de dollars (dont probablement 80 000 euros pour elle). En novembre 2015, le président de l’Association de défense des intérêts du quartier de Bacalan, Luis Diez, descendant de Républicain espagnol, s'est indigné de ce que la sculpture représentant une soucoupe volante qui constituait une partie de ce triptyque portait le nom de la société secrète Vril qui fut au coeur du programme de fusée du régime nazi (et aussi de beaucoup de ses spéculations occultistes) - voir rue89Bordeaux du 4 novembre 2015. (Les deux autres parties sont un mémorial dans une bibliothèque et une bibliothèque de science fiction près d'un observatoire - l'ensemble composera un triangle magique avec l'aide de un architecte local).

En réponse aux critiques qui la soupçonnaient de sympathie pour le nazisme, l'artiste répondait dans une interview à Sud-Ouest qui a été ensuite republiée en 2017 l'artiste posant sous un parapluie rose (couleur chargée de sens dans l'ésotérisme actuel, et pas forcément d'un sens positif...) :

"J’espère sincèrement que les intentions de ce projet pourront être expliquées à chacun, que l’on pourra écarter la crainte qu’il s’agisse là d’un projet ‘nazi’. Ce n’est réellement pas mon intention, et je suis horrifié que l’on puisse l’interpréter de cette manière. Ma propre famille a souffert elle aussi à cette époque, mes grands-parents paternels, des juifs polonais, ont été déportés en camp de concentration, avec d’autres membres de ma famille. Mon père était venu à Paris dans les années 1930. Il avait étudié à l’école de sciences politiques et était ensuite devenu membre de la résistance française à Paris, puis en zone occupée. Ma tante elle aussi était dans le maquis, dans le sud de la France. Par leur action, ils ont aidé à sauver de nombreuses vies.

Le nom Vril, que j’ai utilisé pour l’une des trois parties de mon projet, vient d’un livre qu’on considère comme le tout premier roman de science-fiction, Vril: the Power of the Coming Race écrit en 1871 par un anglais, Sir Edward Bulwer-Lytton. On retrouve dans ce livre plusieurs des problématiques abordées par mon triptyque. Le roman décrit une société imaginaire rendue possible par la technologie, sous la surface de la terre, dont les habitants possèdent un pouvoir leur permettant de contrôler la matière sous toutes ses formes. C’est une vision, une hypothèse de ce que pourrait être notre avenir, un futur où chacun devrait vivre heureux et en paix, conscient des conséquences de son propre pouvoir.

Il n’y a pas de fondement à la rumeur qui prétend que les nazis auraient utilisé le nom Vril pour un supposé programme spatial au cours de la Deuxième Guerre Mondiale. Il faut éviter tout amalgame entre le concept nazi de race dominante et le sous-titre du livre, ‘the Power of the Coming Race’ (la puissance de la race à venir). On sait aujourd’hui que les nazis ont repris et/ou détourné de nombreuses idées, de nombreuses théories, pour soutenir leur programme de domination mondiale ; ils ont emprunté à la philosophie, à la science, aux technologies, mais aussi à la fiction. Tous ces concepts ne sont pas intrinsèquement nazis. Ce sont des idées fortes, que l’on peut utiliser – et que l’on a utilisé sous différentes formes – pour le bien ou pour la destruction de l’humanité. La médecine, la psychologie, les sciences sociales, la guerre sont autant d’exemples d’application."

Finalement, le projet a changé de nom pour devenir simplement « Le Vaisseau spatial ».

L'artiste se borne à mettre en scène une histoire connue de tous : les nazis contre les résistants, sa famille était elle-même résistante donc il n'y aurait aucune ambiguïté. En réalité, le problème ne se situe pas là. Ce n'est pas dans le conflit visible entre nazis et résistants. C'est dans la continuité entre les sociétés secrètes à l'oeuvre en Allemagne au coeur du nazisme et les programmes poursuivis ensuite en Occident sur la base du même crédo, et souvent avec les mêmes personnes exfiltrées du régime hitlérien. C'est un mensonge éhonté que de dire que Bulwer-Lytton (célèbre lord auteur des "Derniers jours de Pompei" et membre de la société secrète maçonnique Aube dorée, Golden Dawn à laquelle appartiendra aussi le mage sataniste Aleister Crowley) n'avait pas les mêmes objectifs que le nazisme et cherchait simplement à engendrer une civilisation où les vivraient "heureux et en paix". La revue Dissidences expliquait plus justement à propos  de "The Power of the Coming Race" : "Fidèle à une vision évolutionniste, Bulwer-Lytton imagine un stade plus élevé de la machinerie sociale, sorte de synthèse entre des idées d’extrême gauche et des notions aristocratiques ou réactionnaires (...) Pour autant, la civilisation du Vril-ya ne cache pas son mépris pour les peuples qui lui sont inférieurs, car encore au stade démocratique de la bêtise de masse et dépourvus de la maîtrise du vril, clef de tout progrès collectif. (...) " Il faut être soit borné, soit de mauvaise foi, pour ne pas voir une similitude entre cette race supérieure mêlant les idéaux socialistes et réactionnaires dans un projet totalitaire avec le nazisme...

L'ancien militaire autrichien devenu universitaire du nom de Karl Haushofer voulut mettre en pratique l’intuition de Bulwer-Lytton et chercha concrètement le moyen de développer en l’homme la mystérieuse force psychokinétique censée faire des Vril-ya des êtres comparables à des dieux. Il fonda au début du siècle dernier la Confrérie du Vril ou Loge Lumineuse.  La Société aurait enseigné des exercices de concentration conçus pour éveiller les forces de Vril, une force d'énergie sexuelle Shaakti, plus forte chez les femmes aux cheveux longs, qui alimentait l'énergie magnétique de la Terre vers le cerveau. Leur objectif principal était d'atteindre « Raumflug », le vol spatial inter-dimensionnel basée sur les révélations psychiques d'extraterrestres aryens vivant sur Aldébaran, l'Oeil du Taureau,... Adepte des rituels de l'Aube Dorée anglaise (Golden Down), et connecté, après un voyage en Inde et au Tibet, avec la société himalayenne des Chapeaux jaunes, Haushofer, ayant rencontré en 1917 la médium croato-autrichienne Maria Orsic fit converger l'entourage d'Orsic, la société de Vril, et la société de Thulé (embryon ésotérique du parti nazi actif à Munich en 1919 dont l'imaginaire touche encore la Nasa). Des membres de ce groupe louèrent en 1919 une petite maison de garde forestier près de Berchtesgaden (dans les Alpes bavaroises) où ils se rencontrèrent, accompagnés de Maria Orsic et d'une autre médium qui était seulement connue sous le nom de Sigrun. Selon Jürgen Ratthofer et Ralf Ettl, dans Das Vril Projekt (1992), Maria prétendait avoir reçu des transmissions médiumniques dans un script templier allemand secret puis dans une langue tout aussi inconnue d'elle contenant des données techniques pour la construction d'une machine volante. Il s'est avéré que la langue apparemment mystérieuse de la seconde canalisation était en réalité du sumérien ancien et donc la langue des anciens fondateurs de la culture babylonienne. Sigrun aida à traduire la langue et à déchiffrer les étranges images mentales d'une machine volante circulaire.  En mars 1922 fut terminé, grâce au financement par de riches industriels, le premier prototype de Jenseitsflugmaschine (ou machine volante en forme de soucoupe). Mais le premier vol d’essai fut un échec. D'autres tentatives allaient avoir lieu ensuite puis le savoir accumulé allait être repris dans les programmes de recherche du régime nazi après 1933.

C'est bien dans la lignée des soucoupes volantes de la Société Vril que se situait l'oeuvre de l'artiste à Bordeaux qui porte son nom. La présentation initiale de ce projet n'existe plus sur son site (voir ici), mais Rue89Bordeaux a eu la bonne idée de le recopier en novembre 2015. L'auteure y déclarait avoir « été frappée d’apprendre que de nombreux bateaux allemands datant de la Seconde Guerre mondiale se trouvent toujours au fond de la Garonne » et explique que la transformation de l’un d’eux constitue « la métamorphose d’une chose en une autre, pour donner chair au processus physique de mutation dans la ville ».

Dans l'interview précitée à Sud-Ouest l'artiste déclarait : "J’ai eu l’idée de sortir une épave de la Garonne pour la transformer en quelque chose d’autre, par une sorte d’alchimie, la transformation d’une matière en une autre, pour incarner le processus physique de transformation à l’œuvre dans la cité. J’ai imaginé qu’un de ces navires de guerre français en décomposition puisse devenir, des décennies après la défaite des Allemands, un vaisseau spatial étincelant. Rien à voir avec le fantasme de puissance et de contrôle d’une guerre nazie. Le renouveau d’un vaisseau spatial français, qui emporterait l’histoire jusqu’à aujourd’hui et vers un avenir hypothétique, tout à la fois un rappel de la guerre et un encouragement à imaginer et construire un avenir différent."

"The narrative changed" (la narration a changé) comme diraient les Anglo-saxons : initialement c'est une épave allemande que l'artiste voulait transformer en soucoupe volante, puis, sous la pression des polémiques, on invente une volonté d'utiliser au contraire une épave française pour se tourner vers un avenir meilleur. Mais qui peut être dupe ? (à part les journalistes qui évidemment n'ont pas relevé ce "détail", interrogé l'artiste à ce sujet ou mené une enquête pour savoir finalement si le navire fut français ou allemand...).

Changement de narration, mensonge sur le message de Bulwer-Lytton, on ne peut pas penser que tout cela procède de simples maladresses. L'artiste est une grande initiée. Le jeu de tarot Hexen 2 qu'elle a créé a été présenté par le Science Museum de Londres en 2012 comme "basé sur le système de la Golden Dawn" ce qui a valu à l'artiste en 2018 d'avoir une résidence de trois mois au CERN (semble-t-il prolongée jusqu'à maintenant cf Instagram)... Elle a publié en 1999 une sorte (si on en juge par la quatrième de couverture) de roman (mais dans les milieux occultistes les romans comme les films servent souvent à faire passer des réalités sur le mode du "hidden in plain sight") intitulé "Hexen 2039 : New Military-Occult Technologies for Psychological Warfare, a Rosalind Brodsky Research Programme" (prolongé par une expo au British Museum sept ans plus tard) qui "révèle ou construit des liens entre les théories du complot, les groupes occultes, Tchernobyl, la sorcellerie, l'industrie cinématographique américaine, les agences de renseignement britanniques, le lavage de cerveau soviétique et des expériences de contrôle du comportement menées par l'armée américaine et son commandement des affaires civiles et psychologiques (PSYOP), à la lumière de nouvelles recherches alarmantes dans les neurosciences contemporaines". A la lumière de tout cela la thèse d'un art qui n'aurait "rien à voir avec le fantasme de puissance et de contrôle", n'est tout simplement pas crédible.

bibliographie : Jan Von Helsieg, Secret societies
Vladimir Terziski, Nazi Ufos
Nick Cook, The Hunt for zero point
Timothy Good, Above Top Secret, The Worldwide Ufo Cover-up

On notera que l'ex (ou encore ?) franc-maçon Leo Lyon Zagami dans Invisible Masters (2018) en p. 203 en réponse à Wikipedia en allemand qui nie l'existence de la société Vril cite un article du savant allemand Willy Ley (1906-1969), publié dans le magazine Astounding Science Fiction sous le titre "Pseudoscience in Naziland" qui évoque une société qui recherchait le Vril sous le titre de Wahrheitgesellschaft. Il précise que l'énergie Vril (dont bizarrement la structure se comprendrait à partir d'une pomme) était peut-être maîtrisée par l'empire britannique et par l'empire romain sous la forme de boules métalliques appelées lares. Zagami précise un peu plus loin que la Golden Down elle-même avait des origines allemandes en la personne de la comtesse rosicrucienne bavaroise Anna Sprengel, fille naturelle de l'Electeur Louis Ie, mais l'existence de cette comtesse prête elle-même à caution...

Sur l'importance d'Aldebaran chez les occultistes voir aussi (p. 137 du même livre) le fait qu'à San Leo dans la province de Rimini en Emilie Romagne, en octobre 1969 un convent martiniste s'est réuni pour créer un égrégore sous la présidence du comte Gastone Ventura (1906-1981) dont le pseudonyme était Aldebaran.

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