La victoire des Talibans en Afghanistan et les conseils de Cheikh Imran Hosein
Ceux qui ont lu l'Atlas alternatif et mon livre sur les mouvements anti guerre savent que j'ai toujours été hostile à l'ingérence occidentale en Afghanistan qui ne servait qu'à financer un régime corrompu et imposer de l'extérieur des idées auxquelles la population afghane était majoritairement hostile ce qui ne pouvait conduire qu'à une impasse (voyez aussi mon billet ici). La France aurait été bien inspirée de ne jamais suivre les Etats-unis dans cette coûteuse aventure (sur le plan économique pour les occidentaux, sur le plan humain pour les afghans) ce qui lui aurait épargné la mort de 90 soldats tués là-bas et la honte morale du renoncement à son non-alignement. Car aujourd'hui les puissances non-alignées comme la Russie, la Chine et l'Iran, sont capables de considérer sereinement le changement de régime, et, ayant pu dialoguer avec les Talibans avant leur retour au pouvoir, ne sont pas contraints d'évacuer à la hâte leur ambassade à Kaboul. Ils auront ainsi bien plus de latitude pour se tenir auprès du peuple afghan, tandis que nous, otages de l'extrémisme washingtonien, sommes forcés de renoncer à toute présence sur le terrain en suivant nos parrains dans la débâcle (cela rappelle que nous avions pour d'autres raisons renoncer aussi à toute présence diplomatique en Syrie parce que le régime ne nous plaisait plus, ce qui nous a privé de la connaissance de terrain pendant la guerre civile dans ce pays et des possibilités d'anticiper le rétablissement du régime d'Assad : à croire que les Occidentaux ne sont plus capables que d'hystérie quand il s'agit d'appréhender les réalités orientales).
Aujourd'hui en France la gauche humanitaire hypocrite pleure sur le sort à venir des femmes afghanes, en dissimulant qu'elle s'était réjouie quand des islamistes tout aussi anti-féministes avaient pris le pouvoir à Idlib en Syrie. Et la droite sécuritaire s'enferme dans un discours absurde en faisant comme si les Talibans allaient lancer forcément des attentats chez nous (on avait eu la même chose à l'égard de Khomeini en 1979-1980) : ces gens oublient que le Djihad en Europe est davantage la spécialité d'officines transnationales liées à la CIA comme Daech et Al Qaida, qu'à des mouvements enracinés dans des mouvements de libération nationale patriotiques comme l'est l'armée talibane pachtoune. De toute façon ce pays sera déjà bien occupé à reconstruire son économie et bâtir son unité nationale plutôt que de plastiquer nos salles de concert. Mais, quoi, à la veille du 20 ème anniversaire de l'escroquerie du 9 septembre 2001, il faut bien resserrer les rangs autour de Big Brother...
Justement en matière de reconstruction, on voit que beaucoup de gens dans le monde musulman vont vouloir apporter leurs conseils et leur expertise. C'est notamment le cas du sheikh origine trinidadienne basé au Pakistan Imran Hosein dont j'apprécie l'anti-impérialisme, l'ouverture aux chrétiens (qu'il verrait bien, sur la base du Coran, reconquérir Constantinople, derrière le drapeau russe), et le côté très "sola scriptura" (si j'ose dire) de sa lecture du Coran, qui, se rappelant qu'il avait eu un contact direct avec le dernier ambassadeur du gouvernement Taliban aux Etats-Unis en 2001, offre dans cette vidéo ses conseils aux nouveaux maîtres de Kaboul dans cette vidéo. Il leur recommande d'instaurer un gouvernement islamique qui abolisse les inégalités économiques (ce qui est une idée que tout adversaire des injustices sociales approuvera) et un retour à la monnaie or contre la monnaie papier réputée "haram" au regard du Coran (mais je ne demande bien comment on peut susciter la moindre croissance économique si l'on ne peut payer qu'en numéraire métallique !).
Un mien camarade me signale dans un mail ce soir que ce sheikh est un ami du théoricien de l'union eurasiatique Douguine, ce qui, si c'est exact, est spirituellement bien embêtant car Douguine est un crowleysien (donc un sataniste). Wahid Azal le 19 février 2016 sur Counterpunch écrivait :
"Les idées misanthropes de l'occultiste et sataniste britannique Aleister Crowley (mort en 1947) informent à la fois la vision du monde douguiniste et sa praxis contemporaine. En effet, c'est dans la vision du monde de la magie du Chaos en particulier (qui est un rejeton de la philosophie thélémique de Crowley) que la plupart des paradoxes et des contradictions apparentes de la weltanschauung douguiniste– et surtout dans son fourre-tout quatrième positionniste de « au-delà de la droite ou de la gauche » – doit être recherchée, puisque c'est (qu'il soit explicitement articulé ou non) le véritable lieu d'animation de la praxis d'extrême droite douguiniste, à commencer par son choix de symbologie, c'est-à-dire son drapeau eurasien de huit éclairs (ou flèches) blancs ou jaunes en forme de motif radial et placés derrière un fond noir. Ce symbole en lui-même est alternativement appelé dans la magie du Chaos la "roue du chaos", "le symbole du chaos", "les bras du chaos", "les flèches du chaos", "l'étoile du chaos", "la croix du chaos" , 'la chaosphère' ou 'le symbole du huit'. Rappelant quelque peu la Société de Thulé, puis l'appropriation par Hitler de la croix gammée des écrits du fondateur de la Société théosophique HP Blavatsky (mort en 1891)"
Le propos est tout de même un peu allusif sur le lien Douguine-Crowley, surtout extrapolé des symboles ce qui est peut-être un peu léger. Mais il est vrai qu'il y a du paganisme du côté de Douguine et de ses hyper-boréens, on ose espérer qu'il n'y a pas le même du côté d'Imran Hosein qui est classé dans la mouvance soufiste (laquelle il est vrai a parfois un peu trop avoir avec la Terre-Mère, la pachamama chère au pape des catholiques).
Pour en revenir à Imran Hosein, j'observe que les 900 lecteurs qui ont déjà réagi à son discours du 15 août couvrent toute l' "oumma" de l'Indonésie aux Etats-Unis en passant par la France et l'Algérie. Un d'eux vante la politique du premier ministre malaisien Tun Mahathir qui, en 2001, après l'attaque spéculative de Soros contre les monnaies d'Asie du Sud-Est avait tenté de réintroduire un dinar indexé sur l'or préconisé par le Coran.
Le sheikh ayant rappelé que le Coran annonce qu'une armée déferlera du Khorasan sur Jérusalem pour la libérer (et l'Afghanistan en fait partie géographiquement) beaucoup pour l'heure voient surtout une immigration afghane déferler sur l'Europe (comme c'est déjà le cas depuis 2015). Certains mettent en doute sa légitimité comme interprète du Coran à propos d'un Hadith qu'il cite, qu'il voit à tort comme une incitation à libérer les rapports hommes-femmes.
Je n'en dirai pas plus, faute de temps, sur cette intéressante allocution qui mobilise diverses notions que cet exégète a déjà développées dans d'autres conférences autour du Coran. Je crois qu'il serait intéressant, même pour les non-musulmans ,de suivre les débats théologiques et politiques que suscite dans la communauté islamique mondiale la victoire des Talibans.
Le Sheikh Imran Hosein souligne en tout cas à juste titre en tout cas qu'elle est un signal encourageant pour le Venezuela, le Nicaragua etc sur le déclin de l'Empire américain.
Je terminerai pour ma part sur deux remarques. La première de Benjamin Norton de The GrayZone qui écrivait dans un Tweet du 15 août : "Exemple parfait de l'absurdité de l'empire américain : le président néolibéral d'Afghanistan, mandataire des États-Unis, formé dans les écoles américaines et à la Banque mondiale, était une telle marionnette que son régime s'est effondré en quelques jours. Il s'était pourtant permis de faire un sermon à la Syrie sur la « transition » et avait écrit un livre intitulé "Réparer les états défaillants/Fixing failed States". Et ce bilan terrible dans Sputnik : le projet de "nation building" en Afghanistan aura coûté aux Amércains 143 milliards de dollars, pour rien... 267 milliards de dollars. Certains experts avancent que 7 milliards par an peuvent suffire pour éradiquer la faim dans le monde en quelques années...
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