"Vaincre Macron" du chrétien communiste Bernard Friot
Il existe une détermination apocalyptique du sens de l'histoire, mais on ne peut en déduire qu'il faille s'abandonner à la contemplation passive des complots antéchristiques pour, au sein des élites, réduire l'humanité en esclavage (qui ne sont qu'une partie des complots des forces des Ténèbres menés à tous les niveaux contre l'humain, et dont nous sommes complices par nos vices et nos aveuglements) : le devoir de charité nous impose de continuer, humblement, à tenter d'aider la société dans laquelle nous vivons et oeuvrer à son organisation pour limiter les effets désastreux (aliénants) de l'exploitation économique et morale. C'est pourquoi on ne peut pas négliger l'analyse économique pour s'en tenir à une posture purement moralisatrice, même si la morale est aussi nécessaire et non entièrement réductible à l'économie.
Et donc, à titre personnel, même si j'ai dépassé le clivage droite gauche, je continue d'évoquer de temps en temps la réflexion sur la transformation sociale que j'avais menée dans mon livre (ma brochure) "Programme pour une gauche française décomplexée" (paru il y a quatorze ans au Temps des cerises, et republié depuis) et continue à dialoguer avec la pensée marxiste, comme je l'ai fait il y a peu à propos du "chrétien révolutionnaire" communiste Loïc Chaigneau. Je veux aujourd'hui parler d'un autre chrétien communiste, ex prof de sociologie à Paris X-Nanterre, membre du PCF, Bernard Friot, et plus précisément de son livre publié en 2017 "Vaincre Macron".
L'intérêt premier de ce livre, dont je trouve le titre un peu réducteur, est de rappeler que le travail doit appartenir aux travailleurs. Par là ceux-ci peuvent s'approprier le pouvoir social sur le monde et sur eux-mêmes, ce qui est une façon de poser la question sociale en des termes diamétralement opposés aux théories de la régulation et au misérabilisme du discours en faveur du revenu universel garanti que même Soros soutient en vue d'imposer un gouvernement mondial (mais c'est la même chose pour ceux qui soutiennent le projet au niveau national). Comment prétendre encore sauver le pouvoir du travailleur sur le fruit du travail quand la religion actuelle de l'intelligence artificielle menace de supprimer tout travail humain ? Voilà une question qui vient immédiatement à l'esprit et l'on peut se demander si l'espoir communiste de réappropriation du travail ne procède pas d'une volonté chimérique de repousser une apocalypse déjà largement commencée dans le processus du Great Reset du Forum de Davos, mais c'est un point que nous ne pourrons aborder qu'après avoir détaillé plus en détail les thèses du "Vaincre Macron".
Le point important du livre de Friot est qu'il part de l'existant, et notamment de l'héritage communiste qui existe en France à travers la grande conquête que fut la création de la Sécurité sociale sous la houlette du PCF en 1946 (une expérience que j'avais évoquée dans mon livre sur la résistante communiste Denise Albert), un héritage que la culture bourgeoise mainstream déforme, mais qui au départ était conçue pour permettre aux salariés de contrôler directement la redistribution au titre de l'assurance maladie et des retraites d'un tiers du fruit de leur travail prélevé sous forme de cotisations obligatoires. Friot fait un récit brillant et synthétique de cette conquête sociale qui ne doit rien contrairement à ce que prétend l'histoire officielle à une harmonie préétablie gaullo-communiste.
L'autre conquête de nature communiste quoique moins directement liée à l'exercice formel du pouvoir politique par le PCF c'est la définition du salaire comme attaché à une qualification, donc à une participation au procès de production, une valeur propre de l'individu dans son emploi et même au delà et non pas à la valeur de la force de travail, salaire attribué à vie indépendamment de sa part dans la valorisation du capital (que ce soit pour un médecin à qui la sécurité sociale fournit une rémunération après même la fin de son activité professionnelle, par répartition de la part de richesse socialisée, pour un fonctionnaire à travers son statut).
Le salariat n'a donc pas été seulement une prison pour la classe ouvrière comme l'a prétendu par exemple Castel, mais par les revendications syndicales (spécialement de la CGT au XXe siècle), qui ont abouti à la définition du patron comme employeur (astreint aux obligations du code du travail), il a abouti à une sorte de front commun des salariés, ouvriers et cadres confondus a pu se créer (p. 44), ce qui explique que le capitalisme aujourd'hui s'acharne à détruire le salariat pour le remplacer par la sous-traitance et le travail indépendant comme au XIXe siècle.
Il y a donc eu une mise en place d'une sortie du capitalisme déjà présente. Par exemple avec la fonctionnarisation des soignants (même libéraux) qui inaugure les "prémices d'une production communiste de la santé".
Le problème avec le néo-libéralisme, nous dit Friot, c'est moins le déplacement de la répartition de la valeur au bénéfice du capital, mais celui du contrôle accru de la bourgeoisie sur la production. Face à cela il ne faut pas demander une meilleure répartition de la richesse mais une meilleure valorisation du producteur. La caisse d'amortissement de la dette sociale est une machine à payer des intérêts aux créanciers. Le gel des cotisations remet en selle les régimes complémentaires aux coûts de gestion bien plus onéreux que le régime général de sécurité sociale. L'indemnisation des chômeurs au pro rata des cotisation brise la logique d'un salaire à la qualification personnelle à vie hors du cadre de l'emploi, de même que l'indexation (en 1986) des retraites sur les prix et non sur les salaires pour ne plus en faire un salaire continué, le projet de Macron de transformer la retraite en récupération des cotisations versées, l'alignement du salaire sur la performance etc. Le RMI est une "aide aux pauvres" dont le concept se substitue à celui de salaire.
Pour contrer cette réaction Bernard Friot propose un combat pour un statut économique des personnes non négociable et inscrit dans la constitution ainsi que pour la propriété d'usage de l'outil de travail par le travailleur (qui choisira les stratégies, les investissements, les financements) et pour un recentrage complet de la démocratie autour du travail (au point qu'il n'y aurait plus d'impôts mais uniquement des prélèvements de l'entreprise que l'Etat tirait le financement de ses services publics et du salaire à vie, et les banques seraient remplacées par des caisses d'investissements gérées par les travailleurs, ce qui prolongerait le geste de collectivisation inauguré par la Sécurité sociale de 1946 au delà du seul domaine de la santé).
Je trouve le travail de Friot très utile pour éclairer le sens des mots des luttes sociales à la lumière de leur histoire réelle, en se désintoxiquant du lexique bourgeois médiatique. Il souligne aussi l'importance de réfléchir à la souveraineté du travailleur entendu au sens large (amener ses enfants à l'école c'est un travail), une souveraineté-dignité qui se retrouve tout d'abord dans les mots (refuser de parler de "dépenses de santé" en lieu et place de "travail de soin médical", refuser la "victimisation" du pauvre, la simple demande de rééquilibrage des répartitions de richesse etc). Mais il me semble que son discours est plus spirituel (il a failli devenir prêtre voyez la vidéo ci-dessous) que marxiste en ce sens que sa revendication vise principalement à l'inscription dans le droit d'un statut du travailleur libéré des caractéristiques de l'emploi et de sa participation à la valorisation du capital. C'est un marxisme réformiste et non de rupture, très axé sur le juridisme, qui pense changer les choses en changeant la loi. L'apport chrétien "dé-virilise" ici un peu le marxisme. Et je ne suis pas étonné que Friot avoue sans s'en repentir avoir adhéré aux sottises de l' "eurocommunisme" dans les années 1970.
C'est à divers égards une dévaluation du marxisme (même s'il en réhabilite l'utilité pour la réflexion sur la praxis quotidienne des gens), qui, en retour, dévalue aussi le christianisme, parce qu'il laisse entendre en filigrane qu'on contribue à la venue du Royaume de Dieu en oeuvrant à l'émancipation du travail du cadre capitaliste, ce qui est une façon de dire que le Royaume pourrait n'être "que ça". Or rappeler que l'Evangile ne cesse de parler du "travail" et de la justice (mais n'oublions pas que la justice de Dieu n'est pas celle des hommes... voyez les ouvriers de la 11ème heure...) est utile, penser la charité (au sens le plus fort du terme) à ce niveau l'est aussi, mais rabattre le christianisme sur cette dimension (ce fut une tentation très forte chez les chrétiens de gauche dans les années 1970) n'est pas seulement blasphématoire et suicidaire pour les âmes individuelles : cela conduit aussi à désarmer les peuples dans le combat titanesque qui s'annonce contre le globalisme luciférien avançant aujourd'hui sous le drapeau de la pseudo-pandémie. Le travail de Bernard Friot est donc à prendre pour le moins avec des pincettes...
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