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Le blog de Frédéric Delorca

Fin d'année

31 Décembre 2021 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Le quotidien, #Ecrire pour qui pour quoi

Je vais envoyer quelques voeux à minuit. Je suppose que les destinataires y répondront en des termes très formels, sans rien manifester de profond.

Je ne m'attends pas à ce que quelqu'un que j'aurai croisé sur mon chemin par le passé prenne spontanément l'initiative de me souhaiter une bonne année, ni que cette idée vienne à l'un des rares lecteurs inconnus de mes livres. Ce n'est jamais arrivé les 1er janviers depuis dix ans, il n'y a pas de raison que cela advienne cette fois-ci. Je crois que je n'ai marqué l'itinéraire de personne. Mon nom, mes écrits, mon visage sont enveloppés d'un oubli complet aux yeux des gens qui les ont rencontrés. Prenons les militants anti-OTAN par exemple. En 2000 un informaticien belgo-serbe dont je tairai le nom ici disait que j'avais fait plus pour l'information alternative sur Internet concernant les Balkans en 1999 que tous ses compatriotes réunis. Hé bien je sais qu'aucun des nombreux ex-Yougoslaves que j'ai connus il y a vingt ans ne se manifestera spontanément ce 1er janvier, et la publication il y a quelques mois en russe de mon livre sur mon engagement yougoslave ne changera rien à leur silence. Il en va de même des contributeurs de l'Atlas alternatif auxquels j'ai donné la parole il y a quinze ans dans cet ouvrage collectif que l'éditeur a vite enterré, des patrons de samizdats auxquels j'ai contribué il y a dix ans, des dizaines d'Internautes avec qui j'ai eu des échanges divers et variés sur toutes sortes de sujets en 2012, en 2015, en 2018...

Je ne sais pas à quoi cela est dû, si c'est au fait que les gens n'ont plus de mémoire du passé, ou si quelque "éther" surnaturel spécifique entoure mon nom d'oubli, d'indifférence, de sentiments hostiles. Je ne m'en plains pas du reste. Beaucoup d'écrivains solitaires beaucoup plus talentueux et pertinents que moi, du temps où Internet n'existait pas, ont connu ce sentiment d'indifférence généralisée à leur égard. Certains ont bénéficié ensuite d'un succès posthume, d'autres sont restés ignorés. Les choses sont ainsi. C'est de l'ordre de l'inexplicable. Cela ne m'empêchera pas de continuer de lire, écrire (je travaille sur un projet de bouquin en ce moment). Il n'est pas besoin d'avoir un public pour jeter des petites bouteilles à la mer. Nietzsche parlait de flèches qu'on lance dans le vide, au cas où quelqu'un un jour les attraperait... Il faut bien que j'essaie de me rende utile de cette manière, puisque c'est à peu près tout ce que je sais faire. Et si cela ne sert pas, qu'y puis-je ? On continue d'écrire parce que c'est "the thing to do", voilà tout.

Tous mes voeux, ce soir, aux solitaires qui tomberont sur ce billet, tous ceux que les gens qu'ils ont croisés ont aussi oubliés et qui n'ont pas la consolation de se dire que, malgré tout, quelques uns de leurs livres dorment dans des bibliothèques publiques, auxquels peut-être un jour quelqu'un s'intéressera. Aux navigateurs du Léthé enveloppés de brume.

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