La censure des réseaux sociaux en débat en Afrique de l'Est
14 Décembre 2022 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Colonialisme-impérialisme, #Débats chez les "résistants", #Les Stazinis, #Le monde autour de nous
Une organisation non gouvernementale (ONG) kényane et deux particuliers éthiopiens ont porté plainte, ce 14 décembre à Nairobi, au Kenya, contre la maison mère de Facebook et Instagram pour n'avoir pas retiré à temps des discours haineux de leur plateforme. Un des plaignants est un universitaire éthiopien d’origine tigréenne, Abrham Meareg, dont le père, Meareg Amare, professeur de chimie à l’université de Bahir Dar (capital de la région Amhara où les Tigréens sont une minorité) a été abattu le 3 novembre 2021 à la suite de publications calomnieuses. Un autre plaignant est un membre éthiopien d’Amnesty International, Fisseha Tekle, vivant au Kenya depuis 2015.
Abrham Meareg est aujourd'hui réfugié à Minneapolis (USA), après un passage par la France. Une page Facebook appelée "BDU Staff" (qui n'a en fait rien à voir malgré les apparences avec l'université), qui compte 50 000 abonnés, a publié une photo de son père le 9 octobre 2021, disant qu'il se "cachait" à l'université et avait "commis des abus". Le lendemain, un autre message a été publié dans le même groupe. Celui-ci présentait également la photo du père de Meareg ainsi que le quartier où il vivait à Bahir Dar. Et cela comprenait de nombreuses fausses déclarations sur son père sur sa participation prétendue à des massacres, sur sa prétendue fuite aux Etats-Unis (alors qu'il était seulement à Addis-Abeba pour s'occuper de proches malades du Covid). Meareg a déclaré avoir signalé les deux messages immédiatement après avoir été alerté par un ami, mais Facebook n'a pris aucune mesure avant le meurtre de son père. Le premier de ces messages est resté en place le 8 décembre. Facebook a supprimé l'autre message, selon les documents.
Dans un pays comme l'Ethiopie (120 millions d'habitants) où beaucoup de gens ont un smartphone et un compte sur Facebook, les réseaux sociaux jouent un grand rôle. La femme du professeur décédé (qui ne sait même pas où son mari est enterré) a expliqué à la correspondante washingtonienne de Die Zeit , Kerstin Kohlenberg, dépêchée sur place, dans quelle angoisse elle avait vécu quand elle a su que cette page Facebook se déchaînait contre son mari dans le contexte de guerre civile. "Après le déclenchement de la guerre, les voisins (amharas) ont cessé de nous dire bonjour. Quand nous nous croisions, ils devenaient soudainement silencieux"... C'étaient nos amis ! Elle a demandé à son mari de rester à Addis pendant un certain temps. "Mais Meareg ne voulait pas. Il a dit que de toute façon il n'était pas engagé politiquement." La journaliste qui a interrogé une employée de la plateforme Facebook à Nairobi précise que ces employés gagnent 800 euros par mois et ont 50 secondes pour décider sur chaque demande de retrait de contenu.
"Il serait facile, accuse la journaliste, de supposer que Facebook se noie simplement sous le flot de publications. Mais un document de l'ancienne employée de Facebook et dénonciatrice Frances Haugen montre que la plateforme sait exactement qui a alimenté le conflit en Éthiopie. DIE ZEIT est en possession du document, qui était uniquement destiné à un usage interne chez Facebook et n'a jamais été destiné à être publié. Il décrit un réseau de comptes Facebook avec une chose en commun : ils sont tous connectés à la milice Fano. Ce réseau, indique le document, "fait la promotion de l'incitation à la violence et des discours de haine en Éthiopie".
Malgré sa prise de conscience, Facebook n'a vu aucune raison de supprimer les comptes."
Elle allègue aussi l'existence de documents selon lesquels "Mark Zuckerberg est cité comme disant qu'il prend en charge des algorithmes supplémentaires pour supprimer, ralentir la propagation et bloquer les contenus dangereux. Mais il revient ensuite sur sa déclaration en disant que ces algorithmes ne doivent pas affecter la croissance de la plate-forme."
L'affaire pose beaucoup de questions. A n'en pas douter le développement des réseaux sociaux nourrit effectivement une atmosphère de guerre civile. Et dans certains pays où la guerre est effective, cela provoque des morts (comme en provoquent aussi les simples diffusions de rumeurs "classiques" qui ne passent pas par les réseaux sociaux). Ici il y a quelques points un peu étranges, par delà l'émotion légitime que peut susciter la tragédie vécue par la famille Meareg : comment ce fait-il que le cas débouche sur une "class action" judiciaire ? quelles sont les forces financières qui ont accepté de le monter en épingle ? On voit que la presse libérale (centre gauche et centre droit) comme le Monde s'en emparent pour stigmatiser une fois de plus les réseaux sociaux et soulever des questions techniques sur l'usage des langues africaines. On perçoit là une volonté d'aboutir à toujours plus de finesse dans la censure. On a déjà vu à quel totalitarisme cela aboutissait en période de Covid ou sur la question climatique. Cette flambée émotionnelle, même si elle est en partie légitime, autour du cas éthiopien n'est donc pas forcément une bonne nouvelle pour nous. Enfin une dernière question : pourquoi est-ce un journal allemand qui envoie sa correspondante aux Etats-Unis enquêter en Ethiopie, alors que d'autres officines de presse se sont contentées de recopier les dépêches ? La correspondante semble s'être spécialisée dans les articles sur Facebook. Si Die Zeit lui paye le billet d'avion, est-ce que cela peut avoir un rapport avec le fait que les Allemands sont en de moins bons termes que les Français avec Biden depuis la crise ukrainienne et le sabotage de Nord Stream 2 (comme on l'a vu avec le dernier déplacement de Macron aux USA et avec le voyage de Scholtz en Chine ? ) ? Est-ce que l'Allemagne n'en profite indirectement pas pour régler quelques comptes au passage ?
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