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Le blog de Frédéric Delorca

Le premier député musulman de l'histoire de France

1 Janvier 2023 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #XIXe siècle - Auteurs et personnalités

Mon illustre compatriote béarnais Louis Barthou dans "Le Politique" raconte (p. 19) son souvenir de l'élection surprise à la députation dans le Doubs du temps du gouvernement Méline d'un médecin, le Dr Philippe Grenier (1865-1944), qui s'était converti à l'Islam à la faveur d'un voyage en Algérie. Radical (gauche de la gauche à l'époque), élu confortablement au second tour dans une circonscription de droite où il n'avait pu se maintenir que  parce qu'aucun de ses deux adversaires ne se désistait, il avait donné des sueurs froides au jeune ministre de l'intérieur qu'était Barthou, car personne ne l'avait vu venir alors qu'il était 3ème au premier tour  Le journal chrétien La Croix du 23 décembre 1896 le décrit venant en burnous blanc à la chambre des députés et se prosternant avant un conseil municipal... Il avait voulu se faire mufti en Algérie, mais sa claudication l'en avait empêché, explique le journal (il avait en effet passé une enfance de martyr chez son père, la jambe coincée dans un plâtre après avoir reçu à bout portant un coup de fusil tiré à blanc. Une rumeur voulait qu'il ait étudié chez les Pères à Besançon, ais il la démentit :il avait étudié au collège de Baume-les-Dames, puis à partir de 15 ans étudia seul et fut bercé par la libre-pensée (et rendit hommage dans une interview à la franc-maçonnerie - on peut se demander aussi si son hommage à la Verrerie ouvrière d'Albi ne renvoie pas à l'alchimie). Puis il rejoignit l'Algérie, puis de faire ses sept ans de médecine à Paris où il côtoya des musulmans algériens qui l'intéressèrent à leur religion. Il se rendit en Algérie (où il se rendra encore d'autres fois) où son frère Ernest servait dans les chasseurs d'Afrique (il allait être ensuite inspecteur des finances du sultan d'Istanbul, puis inspecteur général de la dette publique ottomane). "Quand il revint à Pontarlier, dira la presse, dans la maison blanche de ses pères, il portait, comme un bracelet aux triples tours à son poing, un long chapelet de santal qu'il égrenait sans cesse en psalmodiant les sacrés versets ; i! jeûna longuement et commença de publiques mortifications C’est ainsi qu’un jour, s’étant fendu le front contre une pierre, il baisait la place ensanglantée et y meurtrissait sa blessure."

Un média protestant de l'Algérie française qui l'a interviewé lui prête beaucoup de coeur et de générosité.,Il est vrai que dans ses interviews il ne parle que de fraternité.

Ce journal, qui relève sa sympathie pour la Réforme, a tenté cependant d'objecter à ses arguments pour la religion mahométane. Mais "quand nous lui parlons des grandes tares de l’Islam : de cette brutalité et de cette cruauté dont les récents massacres d’Arménie nous ont donné un échantillon ; des sauvages razzias des arabes esclavagistes dans le centre de l’Afrique ; de l’infériorité voulue dans laquelle est honteusement tenue la femme, il ne nous fait qu’une réponse que nous transcrivons dans sa naïveté : « Oui, je me suis bien fait ces objections là ! .. » L.e D r Grenier reconnaît la grandeur morale du Christ, l’influence bienfaisante de son enseignement et de sa morale, mais il n’en est pas ébranlé cependant dans sa conviction que Mahomet est le prophète supérieur. Voyez-vous, nous a-t-il dit. je crois à la transmigration des âmes. A mon avis, c’est l'âme de Jésus qui est venue revivre en Mahomet !!!" (sa foi en la métempsychose se traduisait aussi par le fait qu'il pensait que l'âme du petit cheval arabe sur lequel il montait pour visiter ses malades à Pontarlier avait été jadis celle d'un être humain).

La Revue de l'Islam en 1897 le présentait ainsi : "Le docteur Grenier appartient à une très ancienne et très honorable famille franc-comtoise. Il est le cousin du général François Grenier, du chimiste Ebelman, du poète et du peintre Edouard et Jules Grenier: le parent par sa mère du député Demesmay, le neveu du représentant du peuple, en 48, Charles Touchant. Son père était capitaine-commandant au 4e chasseurs d'Afrique. Détail curieux et significatif, qui n'a peut être pas été sans influence sur sa vie, le docteur a sucé le lait d'une nourrice musulmane."

Favorable à une spiritualisation de l'Islam, il l'était aussi à l'assimilation en donnant la nationalité française aux 16 millions de Musulmans d'Algérie et voulait être au service de tous ses coreligionnaires, ce qui lui valut d'avoir beaucoup de mendiants musulmans à sa porte. Il défendait aussi les prescription islamiques par un souci hygiéniste, notamment les ablutions et le port du burnous qu'il avait inauguré en 1894. Il se voulait prophète de Dieu en vertu de la phrase du Coran selon laquelle "un jour nous susciterons un témoin dans chaque peuple". Au service de la lutte contre le fanatisme il allait essayer de créer une école musulmane à Paris.

 La Dépêche du Doubs précise qu'à Pontarlier il avait converti huit personnes dont une femme qui voulait l'épouser et qu'il allait faire ses ablutions nu dans le Doubs (il défendait d'ailleurs la polygamie comme moyen de repeupler la France).

"Nous nous souvenons de l'avoir vu à la Chambre, allait se rappeler un journaliste en 1935, où il avait eu la singulière idée de siéger vêtu en Arabe, sous prétexte qu'il avait embrassé la religion musulmane. Les étrangers s'amusaient à venir le voir, quand régulièrement sous le coup de quatre heures de l'après midi, il sortait du Palais-Bourbon et, d'un pas tranquille, se rendait sous le pont de la Concorde, faisait ses ablutions, puis étendait son large manteau blanc sur la rive et, à genoux, tourné vers l'Orient, il s'inclinait en récitant quelques prières en l'honneur du dieu de l'Islam. C'était une marotte comme une autre. Cela, d'ailleurs, ne faisait de mal à personne et amusait les badauds toujours si nombreux à Paris.

A part cela, le plus brave homme du monde ; fort intelligent, républicain décidé et raisonnant fort bien sur tout le reste. D'une générosité proverbiale, il n'avait jamais le sou,- distribuant aux pauvres tout l'argent qu'il possédait.

Quelques-uns de ses collègues se moquaient de lui. L'un d'eux Thivrier, député de l'Allier, ancien mineur, siégeait, lui, en blouse bleue. Interpellant Grenier dans les couloirs, il lui demandait un jour :

— « Voyons, Grenier, pourquoi te déguises-tu en Arabe ? Tu as l'air d'un marchand de cacaouètes I »

— « Et toi, lui répondit , Grenier, pourquoi le déguises-tu en porteur aux Halles ? Avec la longue blouse, bleue, il ne te manque que le large chapeau de feutre blanc !»"

Le port du burnous ne lui avait pas valu que des rires amusés, il recevait dans sa  province parfois des crachats avait même été roué de coups est laissé pour mort par des paysans à Levier.

Lors de son investiture la presse n'hésitait pas à donner son lieu de résidence : Hôtel des Etats-Unis, 135 boulevard Motparnasse, au 2ème étage, dans une petite chambre très modeste, mal éclairée par deux fenêtres donnant sur la cour (L'Intransigeant du 12 janvier 1897). La gauche refusa qu'il siège avec eux dans l'hémicycle, on ignore pourquoi...

Il ne siégea que deux ans avant de redevenir simple médecin dans son village, et, finalement, son mandat ne dépassa pas le stade des anecdotes. Sa ville lui a cependant rendu hommage en donnant son nom à une rue, une mosquée et un collège.

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