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Le blog de Frédéric Delorca

La complexité politique de la Croatie

28 Octobre 2023 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Peuples d'Europe et UE, #Christianisme, #La gauche, #La droite, #Divers histoire

Le journal croate Narod (Le Peuple) est comme Valeurs Actuelles en France : avec lui on n'est jamais assez proches de l' "identité chrétienne de l'Europe" et des intérêts de la bourgeoisie, ni assez anti-immigré, anti-palestinien, anti-russe, etc. Je les rejoins sur leur hostilité (au moins de façade) au Nouvel ordre mondial, aux lobbys sociétaux etc, je m'en éloigne sur bien d'autres points.

Le lire m'instruit toujours, moi qui fus, dans les années 1999-2000 très hostile à la propagande antiserbe de l'OTAN (voyez ce livre), très favorable aussi à l'idéal yougoslaviste finissant (quoique Milosevic en eût fait quelque chose d'aussi cynique que Mitterrand de l'Union de la Gauche, mais bon Milosevic était acculé là où Mitterrand ne l'était pas...). J'ai comme beaucoup d'anti-OTAN été à juste titre détesté l'expulsion des Serbes de Krajina par les Croates en 1995, mais j'ai aussi fait mon pèlerinage à Medjugorje (qui n'est pas en Croatie, mais dans la partie croate de la Bosnie, et j'ai traversé presque tout le pays pour m'y rendre) d'où j'ai tiré une impression pourrait-on dire... contrastée (il faudrait que j'en parle un jour dans un livre).

Mais revenons à Narod. Ce quotidien qui met un point d'honneur à se tenir à équidistance du communisme et du nazisme des oustachis, s'étranglait du fait que dans le village natal de du premier président de l'indépendance croate F. Tudjman, Veliko Trgovišće, l'office du tourisme envisage d'inclure dans l'Allée des grands hommes en cours de construction un monument au maréchal Tito (natif de Croatie), héros de la résistance, leader des Non-Alignés, et dictateur communiste de 1944 à 1980.

Narod y voit la preuve que la Croatie est un pays "sans repères" intellectuels. Il cite un communiqué de l'Association croate des journalistes et publicistes. (HNiP), présidée par Krešimir Čokolić qui rappelle que Tito avait poussé Nasser à faire la guerre à Israël, et que des restes de ce parti-pris pro-arabe imprègnerait la société croate. Ce communiqué déplore aussi que "la persistance du problème du soutien au culte de Tito dans les médias et dans la société a récemment été attestée par une situation désagréable similaire lorsque le Parlement croate n'a pas pu mettre en œuvre une coopération militaire avec l'Ukraine (sur la question de la formation de l'armée ukrainienne en Croatie)".

Voilà un passage intéressant sur la complexité de la Croatie. En politique, rien n'est jamais si simple qu'il y paraît. Rappelons que début octobre, le journal serbe Politika avait souligné les liens entre nationalisme croate et communisme. "Après la formation de la première Yougoslavie, écrivait Milan Tchetnik, le Komintern a ouvertement et programmatiquement préconisé la destruction de l’État slave du sud nouvellement créé et la création d’une Croatie souveraine, c’est-à-dire la réalisation du rêve chauvin de l’idéologie de droite et l’expulsion ultérieure des Serbes.(...) En juillet 1932, le Komintern de Moscou confia la « tâche » au Parti communiste de Yougoslavie de conclure des « accords de combat » avec les nationalistes anti-yougoslaves. La direction du « Groupe des révolutionnaires nationaux croates » dirigé par G. Dimitrov, et la principale force du Groupe était censée être les partisans des Oustachis et du Parti paysan croate (selon l'étude de Branislav Gligorijević : Komintern - Question yougoslave et serbe, 1992) (...) En 1971 (lors du Printemps croate),  le chef de l'émigration oustachi, le Dr Branko Jelić, « avait des contacts avec la direction du parti communiste croate », mais aussi : « On a également appris que la direction du parti croate envisageait de séparer la Croatie. de Yougoslavie et la placer sous la protection de l'URSS- et qui voulaient des bases militaires navales sur l'Adriatique" (Andrej Jakopović, Attitude de J.B. Tito envers le Printemps croate /maspok, op. author./, Osijek 2021)."

Tout cela n'était pas sans lien avec l'attitude ambiguë de Tito avec l'Eglise catholique (qui a aussi milité contre le yougoslavisme dans l'entre-deux-guerres). Il fut en 1971 "le premier dirigeant communiste, à se jeter aux pieds du pape romain Montini (Paul VI) le 29 mars. "bien que les plus hauts fonctionnaires de l'URSS aient également rendu visite au pape, bien qu'à titre privé" (P. Radosavljević : Relations entre la Yougoslavie et le Saint-Siège 1963-1978)."  D'ailleurs on a appris récemment, avec la publication du livre Čudesni život Josipa Broza Tita (La vie miraculeuse de Josip Broz Tito) de Žarko Petan que Tito a demandé, contre l'avis de son entourage, les derniers sacrements à un prêtre catholique slovène juste avant sa mort et ce serait la raison pour laquelle il n'y a pas d'étoile rouge sur sa tombe. 

Milovan Djilas ancien compagnon d'armes de Tito raconta que, de retour des funérailles du résistant slovène Boris Kidrič en 1953, dans le train bleu à destination de Belgrade, Đilas a abordé avec moquerie le sujet de l'au-delà. Tito l'interrompit brusquement : "N'en parle pas ! Qui sait ce que c'est !" Et quand ils ont brûlé le corps de l'économiste Edvard Kardelj (né en Slovénie) en 1979, Tito a déclaré qu'ils auraient dû l'enterrer selon la vieille manière chrétienne (ce en quoi il s'était montré plus rigoureux que beaucoup de chrétiens actuels qui acceptent la crémation).

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