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Le blog de Frédéric Delorca

La série Tapie sur Netflix et le rapport hommes-femmes

18 Juillet 2024 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Divers histoire, #Les rapports hommes-femmes, #Cinéma, #La gauche, #Philosophie et philosophes, #Colonialisme-impérialisme

Je regardais hier sur Netflix (pour faire plaisir à mon entourage) le début de la série Bernard Tapie, série servie par le beau jeu d'acteur de Laurent Laffite, même s'il lui manque quelques aspects de la rugosité du personnage et la gravité de sa voix.

Je ne reviendrai pas sur le personnage Tapie qui fut aussi présent dans le paysage (devrait-on dire le cirque ?) médiatico-politique de la première moitié de ma vie qu'Alain Duhamel ou Jacques Chirac. Meyssan qui a collaboré avec lui déclarait il y a un mois (51ème minute ici) dans une interview à Courrier des Stratèges qu'il avait des capacités intellectuelles impressionnantes dans sa façon par exemple de digérer les fiches qu'il lui préparait et qu'il aurait pu rendre de grands services à la France si l'oligarchie ne l'avait pas coulé. Je crois que ce faisant Meyssan révèle surtout sa cécité politique. Lui qui a toujours combattu les guerres d'ingérence depuis 2001 comment peut-il blanchir un homme d'affaires qui a fait liste commune avec Kouchner (champion de l'ingérence) aux élections européennes de 1994 et qui a reconstitué sa fortune après 2008 en soutenant Sarkozy le bourreau de la Libye ?

J'ignore si la série est très fidèle à la biographie. J'ai repéré des petits anachronismes évidemment dans la façon de parler (des expressions comme "gagnant gagnant", "il y a un souci" etc), et dans les références ("à l'heure où on a le TGV" dit Tapie quand il prévoie de créer un service d'urgence médicale en 1972, alors que le TGV n'existait pas encore). J'observe qu'elle fait la part belle à la part de sincérité qu'aurait gardé Tapie, et de loyauté à l'égard de ses origines populaires (de son père militant cégétiste). J'ignore jusqu'à quel point c'est vrai.

Ce qui m'a frappé dans le premier épisode, c'est l'impuissance de la série à restituer sa vie affective, et le rapport à ses deux compagnes successives... A vrai dire ce n'est pas la faute du réalisateur, et je fais le constat pour toutes les productions cinématographiques qui prétendent restituer les années 1970-80. Les acteurs, aussi bien hommes que femmes, échouent à "entrer dans la peau" de façon convaincante dans les histoires d'amour de l'époque. Vous savez que j'ai moi-même écrit un livre qui parle des rapports passionnels - un livre qu'a bien voulu commenter un jeune blogueur il y a deux ans.

Je pense que les acteurs aujourd'hui n'arrivent pas à rendre ce qu'étaient les sentiments il y a 40 ou 50 ans, parce qu'ils n'ont plus trop idée de ce qu'était la répartition des rôles entre hommes et femmes à l'époque. Comme l'avait souligné Roland Barthes une décennie plus tôt il y avait une part de jeu dans ces rapports, mais un jeu sérieux, intégré dans les dispositions sociologiques les plus viscérales des individus (leur habitus si on veut parler comme Bourdieu), et qui était indexé à des structures sociales que nous avons perdues de vue aujourd'hui. Le mouvement post-me-too, simplifie cela en soulignant l'asymétrie hommes-femmes à l'époque. Il y avait une asymétrie, mais qui entrait dans une dynamique dont on ne savait jamais vraiment qui de l'homme ou de la femme en tirait le plus grand bénéfice in fine. Il est vrai que chacun se construisait suivant cette asymétrie, mais ce qui est intéressant c'est à quel style, à quelle monde, celle-ci renvoyait. Ce n'était pas le monde des réseaux sociaux, de la vidéosphère, ni même d'Harry Potter auquel bizarrement ce billet du Monde de juin 2024 renvoie pour penser les rapports hommes-femmes de nos jours. C'était un monde beaucoup plus imprégné de littérature, même si les gens ne lisaient pas forcément, littérature de gare ou littérature savante, qui façonnait la forme même du sentiment, du regard, etc. Je me souviens par exemple vers la fin des années 1990 avoir échangé avec une jeune femme malheureuse dans son couple qui m'écrivait "je ne vais quand même pas aller me jeter sous les roues d'un train comme Anna Karénine". Les femmes et les hommes avaient à l'arrière plan de leur monde, des personnages littéraires, et même s'ils ne les avaient pas directement, ils avaient aussi dans leur inconscient des films ou des téléfilms vus qui étaient imprégnés de ces rapport à la littérature classique.

Et cela déterminait beaucoup la façon dont l'homme et la femme s'avançaient l'un vers l'autre, la façon dont ils construisaient chacun leurs attentes ou leurs craintes à l'égard de l'autre sexe, la façon dont ils se laissaient électriser par la magie de leurs différences, leurs complémentarités, leurs incompatibilités.

Cela n'a peut-être pas complètement disparu, mais les choses ont changé. Aujourd'hui masculinité et féminité se pensent eux-mêmes sur fond d'agendas politiques distillés par Hollywood, avec toute une série de revendications (la femme doit revendiquer quelque chose de son "égalité" si elle veut se sentir pleinement femme) ou de dénégations (l'homme notamment doit dénier en partie sa virilité, quitte à ce qu'ensuite la femme lui reproche plus ou moins consciemment de l'avoir trop déniée), avec en arrière plan l'arsenal légal (la femme pourra toujours envisager le recours en justice contre l'homme) et la pornographie (que l'homme ne peut complètement chasser de son monde, la femme de moins en moins aussi), le harcèlement (devenu omniprésent depuis la diffusion des ordinateurs portables et des smartphones). Tout cela donne l'impression d'être plus tendu, de pouvoir glisser plus facilement  dans de la cruauté obsessionnelle, sans aucun souci pour les formes, ou alors, à l'opposé (pour éviter justement la dimension pathologique), une certaine mise à distance : sans aller jusqu'au point des Japonais qui ne veulent plus avoir de relations sexuelles, je vous des jeunes ados former des couples qui ne se rencontrent à heure fixe une fois tous les huit jours, à l'opposé du romantisme, dans une sorte de "bureaucratisation" de l'amour.

Et même les jeunes "réacs" qui voudraient retrouver "quelque chose" de ce qu'était l'amour du temps où il s'incarnait dans des gens comme Catherine Deneuve ou Marcello Mastroianni, ne parviennent à reconstruire que des villages Potemkine.

Je ne dis pas d'ailleurs que la façon de vivre l'amour il y a quarante ans ou même il y a trente ans mérite d'être défendue. Elle a fait beaucoup de dégâts dans les couples, chez les enfants, et même on peut dire que dans l'ensemble elle abîmait l'âme des gens plus qu'elle ne l'édifiait (encore qu'il faudrait entrer dans une analyse complexe pour en mesurer les avantages et inconvénients "globaux"). Je dis simplement qu'elle formait par rapport à notre nouveau siècle une singularité irréductible, et que cette singularité explique pourquoi des acteurs nés dans les années 1980 ou 1990 lorsqu'ils entrent dans des histoires d'amour des années 1970-80 ressemblent à des papous qui s'essaieraient à la danse classique. Et encore ce ne sont pas eux qui sont en cause, mais la direction d'acteurs, cette même direction qui met dans leur bouche les expressions "il y a un souci" ou "gagnant gagnant", tous ces petits riens qui signent une incapacité totale à retrouver l'esprit d'une époque désormais très lointaine.

Mais on admettra néanmoins que ces reconstitutions plus ou moins réussies permettront à la jeune génération d'entrevoir (mais seulement d'entrevoir) à travers un épais brouillard, la vie de ceux qui l'ont précédée.

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