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Le blog de Frédéric Delorca

La belle circassienne

16 Octobre 2024 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Abkhazie, #Divers histoire, #XVIIIe siècle - Auteurs et personnalités, #Les rapports hommes-femmes

 

On a parlé de Pierre Loti, de sa passion pour une Circassienne en Turquie. Du temps où l'on disait les choses ouvertement, il était fréquent de considérer les Circassiens (Abkhazes, Tcherkesses, Tchétchènes) comme les plus beaux êtres humains du monde (voyez le rapport "Circassiens syriens / Unité de renseignement française Damas – Quneitra 1935" ici) et le thème de la belle Circassienne prisonnière du harem du Sultan était si répandu qu'il fut même un sujet d'attraction dans les spectacles forains aux Etats-Unis.

Chose étrange, Paris eut aussi sa belle Circassienne à l'époque de la Régence. Ce fut Mademoiselle Aïssé (1693-1733), que le comte Charles de Ferriol, ambassadeur de France à Constantinople acheta en 1697 (à l'âge de 4 ans). Ferriol était habitué à acheter de belles esclaves au marché turc nous dit Sainte-Beuve "et ce n'était guère dans un but désintéressé" La belle fut mêlée dès sa prime adolescence aux salons parisiens et entretint des correspondances avec les grands esprits du XVIIIe siècle. Son personnage allait inspirer beaucoup d'oeuvres littéraires au siècle suivant.

L'historien légitimiste Capefigue nous dessine, comme nous l'aimons nous autres sociologues, l'espace de sociabilité dans lequel a grandi la belle orientale. Il y avait, nous dit-il, l'épicurien comte de Ferriol (le frère du diplomate qui l'avait achetée), sa femme, Mme de Ferriol   ("soeur de la célèbre chanoinesse et du futur cardinal" écrira Sainte-Beuve), belle, galante, intrigante  "très-protégée par le maréchal d'Uxelle en ce temps de moeurs faciles" (cela signifie qu'il était son amant), deux neveux (le comte d'Argental et le comte du Pont de Veyle), qui furent comme des frères pour Aïssé. "Cette famille appartenait tout entière aux moeurs libres de la Régence : ceux que Voltaire appelait ses chers anges ne se piquaient ni d'austère morale, ni de religion : gens d'esprit, insouciants ils se jouaient avec la vie et leur but était d'en descendre doucement de fleuve" écrit l'historien.  Dans une lettre à Mme Calandrini de Genève, elle dit qu'elle était "le jouet des passions" des  intellectuels qui fréquentaient le salon de son père adoptif. Un portrait l'a immortalisée à 16 ans.

Elle a d'ailleurs peut-être été d'abord l'amante de son propre père adoptif. Une lettre d'amour de celui-ci a été retrouvée et publiée en 1828. La lettre fut écrite quand Ferriol avait 60 ans et Aïssié 17. Sainte-Beuve pense que le comte y parle pour l'avenir pour contrer un rival, mais rien ne prouve, dit-il, qu'Aïssié, qui vivait à plus de mille kilomètres de son père adoptif, puisqu'il était en permanence à Constantinople à partir de 1700, ait accepté (on est donc très loin de la pédophilie brutale et vulgaire de notre époque). Elle habitait rue Neuve-Saint-Augustin, près de l'actuel métro Quatre Septembre chez Mme de Ferrol ce qui la protégeait de toute éventuelle entreprise de son père adoptif. Il a été souligné cette phrase d'Aïssié à Mme de Calandrini "Mon coeur ne pouvait être séduit que par la vertu ou tout ce qui en avait l'apparence". On est quand même loin de la dépravation que nous plaquons rétrospectivement sur la Régence.

Sainte-Beuve a aimé sa conversion à la vertu. Il a écrit "A l’époque la moins poétique et la moins idéale du monde, sous la Régence et dans les année qui ont suivi, Mlle Aïsé offre l'image inattendue d'un sentiment fidèle, délicat, naïf, discret, d'un repentir sincère et d'une innocence en quelque sorte retrouvée". Il y voit même une sorte d'allégorie du salut de la France par l'Orient : "il fallait que cette Circassienne, sortie des bazars d'Asie, fût amenée dans ce monde de France pour y relever comme la statue de l'Amour fidèle et de la Pudeur repentante" (bon, bien sûr ça ce n'est pas ce que la fiche Wikpedia polluée par l'idéologie actuelle en retiendra).

A 7 ans Aïssé (ou Haidée) quand elle représente sous le prénom de Charlotte la marraine du petit comte du Pont de Veyle à son baptême à St Eustache à Paris en 1700, elle ne sait pas signer mais sera instruite par la suite et manifestera dans ses lettres un style élégant et une personnalité délicate. "On ne peut peindre mademoiselle Aïssé, disait sa meilleure amie, qu'en jurant que l'âme d'un ange habitait son corps". Le romantisme allait ensuite célébrer son amour pour le chevalier d'Aydie. Voilà une charmante contribution du Caucase à notre histoire nationale.

 

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