La mode Alain Badiou
Il existe une mode Alain Badiou en ce moment. Badiou ayant vendu si l'on en croit Le Monde aujourd'hui 17 000 exemplaires de son dernier ouvrage De quoi Sarkozy est-il le nom ?, c'est à dire beaucoup plus que le nombre habituel d'amateurs de "bonne littérature" que Debray dans son dernier article évalue à 10 000 (http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-997937,0.html). Même la pauvre Clémentine Autain se sent obligée d'en faire la publicité sur son blog.
J'ai été en contact email avec Badiou en 2000 quand nous agissions contre l'interventionnisme de l'OTAN au Kosovo.
J'aime ses textes sur Saint-Paul, sur les utopies révolutionnaires. Moins ses considérations sur les mathématiques (mais c'est sans doute l'influence de Bricmont). Badiou c'est d'abord et avant tout le beau style philosophique, un tantinet obscur (dont les charmes lassent généralement, passé le cap de la trentaine). Je n'ai pas vraiment l'intention de lire son dernier pamphlet - sauf si un gentil lecteur m'en envoie un exemplaire - la sarkozymanie, dans le registre de la haine comme dans celle de l'admiration, n'étant pas ma tasse de thé. Mais bon, si Badiou aide les bobos à oser contrer le sarkozysme pourquoi pas... Qu'il aide aussi le PS à retrouver sa gauche ce ne serait pas plus mal. En attendant, un morceau de Badiou en langue anglaise, pour faire plus exotique - la suite est sur You Tube...
Retour sur le continent
Conclusion de l'éditorial du Monde aujourd'hui :
"Aujourd'hui, comme le remarque une note de BNP-Paribas, "le roi est nu". Les caisses sont vides et la croissance, mère de toutes les réformes, n'est pas au rendez-vous. M. Sarkozy doit inscrire son action dans la durée et surtout cesser de faire cavalier seul. La France ne s'en sortira pas sans ses partenaires européens, notamment l'Allemagne. Si elle n'est pas suffisante, une politique économique réellement concertée s'impose au sein de la zone euro. La présidence française de l'Union européenne au second semestre offre une occasion en or. Pour la saisir, encore faudrait-il savoir être modeste et être à l'écoute des autres."
Et si la récession américaine finissait par avoir raison de l'atlantisme de Sarkozy ?
La situation au Kenya
L'annonce de la réélection du président sortant Mwai Kibaki au Kenya à l'issue des élections du 27 décembre dernier a plongé le pays dans le chaos. Le bilan des violences s'élèverait à plusieurs centaines de morts et 70 000 déplacés selon la Croix Rouge (AFP/ Reuters 2 janvier 2008). Les dépêches parlent volontiers de "Violences tribales". Le correspondant du Monde à Nairobi dans un article intitulé "Les démons libérés du Kenya", Jean-Philippe Rémy écrit :
"Le président Mwai Kibaki appartient au groupe des Kikuyu, le plus important numériquement du pays (20 % de la population), influent depuis la période coloniale, fort d'entrepreneurs prospères qui finiraient presque par faire oublier que ses rangs comptent aussi des hordes de miséreux. En face, l'opposition est menée par Raila Odinga, un Luo de l'ouest du pays. Depuis l'indépendance, les Luo attendent impatiemment le jour où l'un des leurs deviendra président, offrant aux siens la promesse d'accéder, accrochés à une gigantesque cordée, à la corne d'abondance du pouvoir. Pour l'anecdote, le père de Barack Obama, le candidat démocrate américain, est un Luo.
Autour gravitent de nombreuses autres ethnies, dont les leaders jouent, depuis quatre décennies, un jeu complexe d'alliances et de trahisons au gré de leurs fortunes personnelles, maquillées sans vergogne en confrontations ethniques. Et la manipulation fonctionne, comme l'ont analysé les auteurs, David Throup et Charles Hornsby, d'un livre de référence sur la politique kényane (Multi-Party Politics in Kenya) : "Depuis le début du multipartisme au Kenya, l'appartenance ethnique s'est révélée nettement plus importante que les idéologies pour déterminer les loyautés politiques." (Le Monde 5 janvier 2008 - http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3212,36-995925@51-993693,0.html)
En réalité, selon certains observateurs (cf notamment http://www.newstatesman.com/200801030024), la grille de lecture ethnique cache une fois de plus un problème de classe intimement lié à la mondialisation capitaliste/néo-libérale.
A y regarder d'un peu plus près en effet, et notamment au vu des résultats des élections législatives qui ont eu lieu au même moment, dans de nombreuses circonscriptions kiyuku, beaucoup d'électeurs de cette ethnie ont voté pour le candidat luo ou kalenji ("comme si des électeurs blancs pauvres aux Etats-Unis avaient voté pour Malcom X" ajoutait un commentateur anonyme de cet article). Il s'agit là d'un vote-sanction très fort contre la classe dominante. Une vingtaine de ministres et lieutenants de Kibaki n'ont pas été réélus. Ce vote révèle que la jeunesse kenyane (où la moyenne d'âge est de 18 ans) est prête à évincer une vieille classe politique malgré le respect traditionnel en Afrique à l'égard des anciens.
Depuis quelques années le président Kibaki attirait les capitaux étrangers, et son mode de gestion du pays, qui apportait une croissance soutenue, lui a valu les félicitations des grandes puissances néo-coloniales.
Pourtant cette gestion faite pour plaire à l'Occident (le gouvernement kenyan est même allé jusquà interdire de fumer dans les rues de sa capitale, ce que même en Europe on n'ose pas faire) a laissé les plus pauvres s'enfoncer dans la misère (2/3 des habitants de Nairobi vivent dans des bidonvilles), tandis que régnait la corruption au plus haut niveau de l'Etat.
Le résultat est qu'aujourd'hui le Kenya n'est plus vu comme un pays stable et exemplaire qui attirait 1 million de touristes des pays riches par an, mais comme une "nouvelle Yougoslavie" plongée dans les prémices d'une guerre civile meurtrière. Les deux parrains du régime kenyan, le gouvernement britannique et celui des Etats-Unis ont exprimé leur préoccupation devant le peu de crédit qu'inspirent les résultats annoncés par la commission électorale (http://news.bbc.co.uk/2/hi/africa/7164890.stm). Le 2 janvier le premier ministre britannique Gordon Brown, s'est entretenu par téléphone avec MM. Kibaki et Odinga, dans l'espoir qu'ils acceptent de "se rejoindre au sein d'un gouvernement d'union nationale". Le président du Ghana et de l'Union africaine, John Kufuor, doit entamer une médiation commune avec le chef de la mission du Commonwealth, Ahmed Tejan Kabbah (AFP Reuters 2 janvier).