Une émission sur de Gaulle sur France culture
Ce que ces productions apologétiques nous font oublier, c'est que De Gaulle, en tant que possibilité sociologique, est un phénomène banal dans n'importe quel pays doté d'une certaine tradition étatique, et même dans ceux qui n'en ont pas. Le phénomène De Gaulle, au départ, à la racine, c'est la figure de l'officier rebelle, idéaliste, qui, au nom d'une vision patriotique différente de celle que cultive le reste de l'armée, prend une initiative personnelle.
Je le répète, le phénomène est banal, et c'est l'absence du phénomène qui est presque anormale - on notera que le monde anglosaxon a été relativement épargné, transformant plutôt ses militaires en politiciens civils (Dwight David Eisenhower, Westley Clark) à cause de sans doute du fait qu eces pays n'ont jamais été véritablement vaincus ni humiliés sur leur propre territoire.
Les pays arabes, les Japonais, les latino-américains ont eu des De Gaulle. En 1941 quand la Serbie attaquée par les Allemands fut prête à signer l'Armistice, un groupe d'officier a pris le pouvoir à Belgrade pour l'en empêcher. Ces gens étaient des De Gaulle. J'ai même appris que la République espagnole, humiliée par les fascistes et les libéraux occidentaux, a eu son propre De Gaulle, le général José Riquelme, gouverneur de la place de Barcelone en 1939, qu, en octobre 1944,i appela, sans le feu vert gouvernemental à la reconquête de l'Espagne par le Val d'Aran (un épisode vite enterré par les Occidentaux et le PC pour cause de logique des blocs).
Ces généraux sont dits "visionnaires" quand ils gagnent, et "fêlons" quand ils perdent. Mais toutes les armées en produisent. Ils sont le produit même de l'ethos militaire comme disent les sociologues. Si De Gaulle n'avait pas existé, peut-être la France en eût elle produit d'autres, en 1942, en 1944, pourvu que l'Angleterre et les Etats-Unis encouragent un peu le mouvement. De Gaulle était surtout et avant tout cela, au début, une des réalisations parmi tant d'autres de la figure de l'officier idéaliste rebelle. Le hasard a fait aussi que c'était par ailleurs un homme de culture, assez intelligent pour saisir les occasions offertes, et assez constant dans sa vision politique (sauf sur les colonies, et quelques autres sujets). Mais le 18 juin 1940 n'est pas un phénomène si exceptionnel qu'on le pense.
Plus étrange (et cela surprend les Anglosaxons) est justement la propension française à idéaliser l'événement, puis à idéaliser son auteur, comme ils l'avaient fait avec Jeanne d'Arc. Ce besoin du sauveur. La France a toujours été un pays étrange, prompt à diviniser son chef (le roi ou l'empereur) comme à le renverser au nom de l'Egalité. Voyez même le silence respectueux du peuple parisien (si révolutionnaire pourtant) au passage de la charette de Marie-Antoinette vers l'échaffaud (un silence qui embarrassa tant Robespierre). La France fut toujours ainsi : à la fois la Commune de Paris, et le Sacré Coeur expiatoire, non pas tant "deux Frances" juxtaposées que deux Frances entremêlées, plus entremêlées qu'on n'a pu le croire, au coeur même de chaque Français. Je parle bien sûr de la France historique, celle d'avant les journaux télévisés et les supermarchés, la France où les gens se parlaient encore et avaient l'impression de partager une réalité commune.
De la France d'aujourd'hui j'ai du mal à penser quoi que ce soit. Ce matin je voyais dans la vitrine d'un libraire un livre co-écrit par Ségolène Royal et Alain Touraine. Savez-vous qu'Alain Touraine fut l'homme qui soutint tous les interventionnismes dans les années 1980-90 : en 1989 il appelait à l'envoi de troupes françaises en Roumanie (mais oui !), en 1991 il approuvait la guerre américaine contre l'Irak, comme guerre pour la défense de la "société civilie" (sic - on voit quelle société civile l'interventionnisme a produit à parti de 2003 !). Mme Royal amie d'Alain Touraine, ou Nicolas Sarkozy ami de George W. Bush, choisissez votre camp !
Pour revenir à nos généraux fêlons, il semble qu'il n'y en ait plus en France, non seulement en acte, mais même en pensée ou en intention, la lettre du groupe Solon publiée contre Sarkozy et le reformatage des armées n'étant qu'un embryon de fêlonnerie qui ne mérite guère qu'on s'y attarde. Le premier militaire qui s'efforcerait de penser quelque chose contre l'état actuel de son pays serait immédiatement désavoué par son épouse, ses enfants, ses amis, ses collègues, si bien qu'il n'ose plus guère le faire, même s'il est à la retraite (les officiers à la "général Gallois" sont bien rares). Il préféra se faire historien des temps anciens. Il y a peu un général (je crois le gouverneur militaire de la place de Paris) expliquait dans Paris Match que les militaires français sont de grands sentimentaux qui ont besoin de sentir qu'on les aime. Telle est la victoire de la société (c'est-à-dire du libéralisme) sur la "Grande Muette".
FD
Encore une guerre qui tourne mal pour Washington ?
Un ami m'envoie un article " Israel backs Georgia in Caspian Oil Pipeline Battle with Russia". Je ne crois pas du tout que le sionisme ait joué un rôle important dans cette affaire (même si les radars géorgiens viennent d'Israël). Nous n'avons pas besoin du sionisme pour chercher querelle à la Russie : les grandes puissances eurasiatiques gênent nos intérêts, nous faisons donc tout ce que nous pouvons pour les gêner, provoquer des guerres en leur sein, les discréditer. C'est tout. Quand je dis "nous" évidemment, il y a des nuances. Franco Frattini, le ministre italien des Affaires étrangères dans La Stampa aujourd'hui met en garde contre une "coalition anti-russe". "Nous" ce sont les Occidentaux dirigés par les Anglo-saxons, comme toujours. Mais des puissances comme l'Italie et l'Allemagne, qui ont moins intérêt au bras de fer avec les Russes (pas seulement pour le gaz), renâclent. La fête anti-serbe il y a dix ans leur plaisait. La fête anti-russe aujourd'hui les inquiète.
Une amie russe évoquait hier dans un mail les atrocités commises par les soldats géorgiens : "one woman saw how a Georgian tank killed an old woman with two little children by weels, another saw how a Georgian solder cut a 1,5 years old boy with a knife and so on" (une femme a vu un tank géorgien tuer une vieille dame et deux enfants sous ses chenilles, une autre a vu un soldat géorgien découper un enfant d'un an et demi avec un couteau). Vrai ou faux, allez savoir. Il est vrai que les atrocités se déchaînent pendant les guerres. Rien de nouveau à ce sujet. Et, dans le Caucase, les moeurs ne sont pas tendres, tout le monde le sait également. Mais bon, allez, gageons que de toute façon Bernard-Henry Lévy, Glucksman, et les autres intellectuels à gage ne feront pas campagne pour qu'on connaisse les crimes de guerre commis par l'armée géorgienne (les Ossètes du Sud parlent de 1 600 civils tués en 24 h, sur une population de 99 400 habitants, dont un tiers avaient d'ailleurs été évacués !).
Les Etats-unis aident les Géorgiens : leurs avions de transport de troupes ont rapatrié les 2 000 soldats géorgiens stationnés en Irak (http://fr.rian.ru/world/20080811/115952146.html).
Selon le cabinet de conseil Stratfor Washington avait sous-estimé l'armée russe (http://www.stratfor.com/memberships/121623). Le conflit en Ossétie du Sud a démontré la capacité de Moscou à mener des opérations militaires et à s'imposer face aux troupes formées par des instructeurs américains, ce que les Etats-Unis n'avaient pas cru possible. C. J. Chivers du New-York Times parle aujourd'hui d'une possible catastrophe pour les USA et fait état des doutes de certains spécialistes sur le soutien apporté à Saakachvili (http://www.iht.com/articles/2008/08/11/europe/11ticktock.php?page=1). Si tel était le cas, au moins ce conflit pourrait jouer un rôle dissuasif pour l'avenir. En tout cas il y aurait tout lieu de se réjouir si le régime de la "révolution des Roses" s'effondrait dans l'offensive qu'il a provoquée. Plus les têtes-brûlées qui se croient tout permis du fait du soutien que leur accorde Washington se briseront les ailes plus nous aurons des chances de pouvoir rétablir des ponts entre les peuples et faire reculer la logique du "choc des civilisations".
FD
Ossétie du Sud
Je viens d'envoyer l'article suivant à un site russe :
Effets des doubles standards occidentaux dans le Caucase
Les gouvernements occidentaux, prompts à soutenir les sécessionnistes contre les pays qu’ils n’aiment pas (celui du Kosovo contre la Serbie, celui du Tibet contre la Chine) se sont bien gardés depuis 1991 d’approuver l’indépendance des minorités opprimées de Géorgie comme les Abkhazes, et les Ossètes du Sud, et ce, bien que ceux-ci se soient constitués en Républiques autoproclamées. Certaines caricatures de ces Républiques les décrivent comme des constructions artificielles entre les mains de la Russie. Pourtant dans chacune d’entre elles (l’Ossétie du Sud en 1992 et 2006, l’Abkhazie en 1999), des référendums ont été organisés, dans le cadre desquels une forte proportion de la population s’est prononcée pour l’indépendance ou pour la constitution de l’Etat autoproclamé. Le seul tort de ces Républiques est d’être situées dans un pays – la Géorgie – dont les Occidentaux ont toujours espéré se faire un allié stratégique, notamment pour le contrôle des voies d’accès au gaz d’Asie centrale.
Non contents de ne pas reconnaître les droits des peuples sécessionnistes en Géorgie, les pays occidentaux ont organisé le renversement du gouvernement d’Edouard Chevarnadze en 2003, au terme d’une opération financée par des ONG liées à l’administration américaine, la Révolution des Roses, sur le modèle de ce qui avait été fait en Serbie en 2000. Ils l’ont ainsi remplacé par un régime autoritaire, celui de Mikheil Saakhachvili, qui réprime l’opposition (voir par exemple l'arrestation de l'ex-ministre Irakli Okrouachvili en septembre 2007) et fut soupçonné à plusieurs reprises de malversations électorales.
Ce régime est aujourd’hui lourdement armé par les Etats-Unis et Israël (qui lui a livré récemment un nouveau système lance-roquettes). Tout comme Israël au Proche-Orient, la Géorgie dans le Caucase se sent en position d’imposer ses prétentions à ceux-là même qui la financent et qui l’arment. Comme le notait récemment Alain Badie, professeur à l’institut d’Etudes politiques de Paris, dans son dernier livre Le diplomate et l'intrus, "N'ayant aucune raison de craindre une défection américaine et n'ayant plus à faire face à la menace soviétique, Tel-Aviv est en mesure désormais d'imposer certains de ses choix stratégiques régionaux à la Maison Blanche. La Géorgie de Saakachvili ou l'Ukraine de Iouchtchenko disposent de la même asymétrie tournant à leur profit : sachant pertinemment que les Etats-Unis n'ont aucun intérêt à les lâcher, quels que soient leurs choix, elles se laissent l'une et l'autre convaincre que l'hégémon américain est désormais privé, par l'évolution même du système international, de tout argument les contraignant à l'obéissance".
En vertu de ce principe le président Saakachvili s’est répandu en menaces contre les républiques sécessionnistes depuis plusieurs mois, et a favorisé les incidents frontaliers. Loin de chercher à modérer ses prétentions, les Etats-Unis ont multiplié les déclarations au cours de l’été pour pousser au remplacement de la force d’interposition russe par des forces armées plus favorables aux intérêts des occidentaux et de la Géorgie.
Ce comportement pyromane a encouragé Tbilissi à envahir la République d’Ossétie, dans la nuit du 7 au 8 août dernier.
Là encore, la politique des double-standards occidentaux a joué à plein. Si la République de Serbie avait attaqué le gouvernement autoproclamé du Kosovo (reconnu par moins d’un quart des pays membres de l’Organisation des Nations-Unies), les grands médias occidentaux n’auraient pas manqué de faire leur « une » sur ce sujet pour dénoncer cette agression. Au lieu de cela, ils ont traité l’attaque géorgienne contre l’Ossétie de Sud avec un mépris souverain, la décrivant comme un « mauvais tour » joué par Tbilissi au premier ministre Vladimir Poutine (lequel est depuis longtemps déjà voué aux Gémonies par ces mêmes médias). Ainsi parviennent-ils à rendre bénigne, voire populaire aux yeux de leur opinion publique, une politique d’agression caractérisée de la part des autorités géorgiennes.
Parallèlement le soir même de l’attaque géorgienne, au Conseil de sécurité des Nations-Unies, les Occidentaux faisaient opposition à un projet de résolution russe demandant l’arrêt des combats dans la zone.
La connivence avec les agresseurs est allée très loin. L’évacuation des civils a été ignorée et la destruction de la capitale Tskhinvali, fut imputée principalement aux troupes russes qui ripostaient à l’agression géorgienne (alors pourtant que les Géorgiens l’avaient massivement pilonnée, provoquant la mort de 1500 civils).
Ce soutien systématique à l’agression vise une fois de plus, dans le Caucase comme dans les Balkans et au Proche-Orient, à faire prévaloir la force, placée au service des seuls intérêts occidentaux, contre la stabilité, la sécurité, et l’amitié entre les peuples. Il s’agit là non seulement d’une politique injuste, mais encore d’un choix dangereux, qui ne fera qu’accroître les tensions dans tout le continent eurasiatique, au lieu d’une nécessaire coopération pacifique. Une fois de plus, les pouvoirs occidentaux jouent avec le feu, et leurs déclarations de bonnes intentions hypocrites produites après-coup ne peuvent masquer leur rôle concret dans les crises qu’ils provoquent.
Frédéric Delorca
Docteur en sociologie
Directeur de l’Atlas alternatif - http://atlasalternatif.over-blog.com/ .
9 août 2008
Copyright exclusif : Frédéric Delorca
Quand l'Occident ne dominera plus le monde
L’émergence progressive (même si elle est encore balbutiante) de pays comme la Chine et l’Inde, commence à nous faire entrevoir la possibilité d’un profond déclin de l’Occident, un déclin qui peut prendre diverses proportions – l’Occident peut rester dynamique, tout en étant « un peu moins riche » que l’Asie ou au contraire devenir une terre de désolation durablement marginalisée, comme l’Italie après la conquête ostrogothe.
Ce déclin de l’Occident, s’il se réalise véritablement, et dans des proportions importantes, libèrera-t-il des possibilités nouvelles pour des continents qui furent longtemps victimes de son exploitation économique comme l’Amérique du Sud ou l’Afrique ? C’est ce qu’espèrent nombre de leurs gouvernants qui déjà réorganisent leurs flux d’échange en direction de l’Extrême-Orient. Il est très difficile de savoir si la mort de l’impérialisme occidental, à la supposer inéluctable (ce qui à mon avis est loin d’être le cas) laissera la place à de nouveaux impérialismes, aussi féroces ou aussi pervers que celui que les Européens, puis les Euro-états-uniens ont imposé pendant plusieurs générations.
Il ne fait aucun doute en tout cas qu’après la mort politique et culturelle de l’Occident, les chercheurs ou les penseurs qui viendront auront à évaluer son rôle d’une manière assez différente de celle dont nous le faisons nous, en situation, lorsqu’il s’agit de dénoncer les guerres du Pentagone ou les traités inégaux qu’impose l’Europe.
Dans la mesure où l’Occident sera devenu inoffensif, l’humanité, affranchie de sa menace, sera peut-être encline à plus d’indulgence à l’égard de l’Ouest.
Toutefois, je crois que, sauf si la Chine ou l’Inde se muent en des puissances terroristes assoiffées de sang comme le fut l’empire aztèque, ce qui relativiserait, par effet de contraste la violence des conquêtes occidentales (mais on ne voit pas pourquoi cette hypothèse se réaliserait), ce que l’on retiendra de l’expérience occidentale sera son extrémisme, l’absence totale de concession qui aura présidé à son développement, pour le meilleur et pour le pire.
Le meilleur, ç’aura été sans doute la reprise de l’héritage rationaliste grec et une manière de le faire triompher contre les us et coutumes traditionnels jusqu’à le placer au cœur même du système économique et de toutes les relations interpersonnelles. Et ce meilleur aura été aussi le pire, puisque, en permettant un développement des technologies, il aura poussé leur détenteur à conquérir l’ensemble de la planète sans aucune considération pour les voix des peuples qu’ils asservissaient.
La source de cette intransigeance occidentale résidait-elle précisément dans les fondements de sa pensée (métaphysiques, grecs, radicalisés par le christianisme, lequel, sur le volet de l’intransigeance, était le revers de la même pièce que l’athéisme militant) ou résulta-t-elle de la force économique que lui conféraient son avance technologique ? Il est possible que ces deux facteurs se soient mutuellement renforcés. Le caractère maritime de l'Europe, simple péninsule de l'Eurasie est aussi un facteur qui explique sinon l'intransigeance, du moins la démesure de sa politique de conquête (la Chine lorsqu'elle eut les moyens maritimes d'une conquête des Océans, au 12 ème-13 ème siècle s'est bien gardée d'en faire usage, pour des raisons qui mélangent géographie et idéologie).
Il est assez peu probable que les peuples du monde puissent être un jour reconnaissants au rationalisme occidental d’avoir détruit toutes les cultures traditionnelles pour les remplacer par un système d’optimisation des profits et d’absolutisation de l’individu-consommateur. Car même s’ils admettent que ce déracinement a entraîné des progrès alimentaires, hygiéniques ou dans la connaissance objective de la matière et des perspectives collectives de l’humanité, ils reprocheront sans doute à la culture occidentale d’avoir mené cette révolution planétaire tambour battant, sans aucun souci de la discussion et du partage équitable des bienfaits du progrès (car si l’on nous parle aujourd’hui, en Occident, des « bienfaits de la colonisation », ou des « bienfaits » actuels du néo-impérialisme en terme de niveau de vie pour les populations du Sud, on oublie toujours que ce sont là des « bienfaits » inéquitables, arrachés par les colonisés, ou qui leur retombent dessus d’une manière collatérale, avec un temps de retard, mais sans aucun souci de justice et de respect réel de leur point de vue). Les voix d'intellectuels qui s'élevèrent à chaque étape des crimes commis de suffisant pas à exonérer les systèmes occidentaux de leur responsabilité en la matière.
L’épopée occidentale apparaîtra ainsi comme une entreprise collective un peu folle, qui n’aura véritablement profité à tout le monde que par une « ruse de la raison » (et notamment par la ruse des peuples opprimés qui auront retourné contre l’Occident ses propres armes).
Ce qui atténuera sans doute principalement la sévérité collective de l’humanité à l’égard de l’expérience occidentale (et qui déjà l’atténue), est que son héritage est à la charge de tout le monde (autrement dit les crimes de l'Occident sont présents en filligrane dans la culture commune que le monde entier partage désormais, et donc dans cette mesure, tout le monde hérite de ses crimes), et que c’est un héritage irréversible. La possibilité de fonder un système économique sur le seul profit commercial, la négation des dettes morales familiales, la relativisation de l’affect au profit de la rationalité pragmatique et de la pulsion de consommation ont été tant et si bien semés sur les cinq continents (même si les peuples dominés n’excellent pas autant que leurs oppresseurs dans ces domaines) qu’il est vain de rêver au retour des « valeurs traditionnelles ». Tout ce que peuvent faire les peuples du Sud, c’est « bricoler » des mix de valeurs traditionnelles (à travers l’Islam, les « valeurs africaines », ou les « valeurs asiatiques ») et de modernité occidentale, mais qui, dans tous les cas, doivent malgré tout « quelque chose » à la folle aventure occidentale.
Etrangement il semble que le jugement le plus radical que l’humanité pourrait porter sur l’Occident à l’avenir serait un jugement construit sur les bases d’un cataclysme (une guerre nucléaire ou un désastre écologique). L’anéantissement total du système capitaliste dans ce genre de catastrophe, s’il faisait renaître des sociétés à base traditionnelle, pousserait sans doute celles-ci à reconnaître dans l’expérience occidentale une aberration complète au sein de l’aventure humaine, une aberration telle qu’elles la trouveraient complètement étrangère à la condition « normale » de notre espèce (à supposer d’ailleurs que ces peuples aient suffisamment de sens historique pour pouvoir s’intéresser à cette expérience qui sera enfouie très loin dans leur passé).
FD