La recherche du "bon maître"
Remarque d'un ami polonais hier :
"Il existe souvent une dégénérescence des mouvements de masse révolutionnaires qui au bout du compte s'en remettent toujours à une délégation de pouvoir quasi-féodale : le bon seigneur qui réglera mieux les problèmes que le mauvais seigneur.
Je me rappelle en 1969, j'étais en Pologne à la campagne dans la maison de campagne de ma tante. Son mari était un mathématicien connu et ils avaient reçu un bout de terre de l'académie des sciences pour pouvoir avoir un lieu de réflexion et de repos. Donc dans ce village où il n'y avait plus de "Seigneur" depuis 1944 (le manoir était devenu une école pour enfants handicapés), je me rappelle que je me promenais avec ma tante dans les champs et un vieux paysan nous a croisé. Il a pris la main de ma tante et la lui a baisé en s'agenouillant.
...Il avait visiblement retrouvé le "bon seigneur" et sa femme et en était très content, rassurés. D'ailleurs ensuite, j'ai pu confirmer cette vision des choses. A chaque cérémonie et à chaque grande question touchant le village, on montait chez mon oncle (sa maison était au sommet), pour l'inviter ou lui offrir quelque chose ou le consulter.
Rien ne les obligeait à se retrouver un seigneur et ils étaient très contents d'avoir reçu la terre suite à la réforme agraire des communistes en 1944, mais ils continuaient à rêver du "bon seigneur" qui remplacerait "le mauvais" et règlerait leurs problèmes intelligement, plutôt que de démocratie basiste. Le Parti a joué collectivement ce rôle un temps, mais finalement ce qu'on lui reprochait, c'est d'avoir des cadres trop "peuple", pas assez "comme il faut".
Un tsar c'est quand même plus beau qu'un secrétaire général !
Byzance contre Sparte !, comme disait Staline (et Staline de rajouter à Churchill à Yalta : "la Russie, quand c'est Sparte, c'est bien" ...il avait oublié que les Russes préféraient Byzance). Mais il ne s'agit sans doute pas que des Russes !"
Les droits des minorités et l'impérialisme
Un ami qui travaille pour une commune de la petite couronne parisienne solidaire des Tamouls qui ont manifesté au Trocadéro dimanche dernier, me demandait dans un mail ce matin : "Le combat anti-impérialiste présuppose-t-il et/ou implique-t-il la légitimation de toute revendication identitaire d'une minorité ou communauté ? (je pense ici au Kosovo, aux Tamouls au Sri Lanka...), et d'ailleurs, où commence une minorité ou une communauté ? "
Sans répondre à tous les aspects de son interrogation, je me suis permis de ramasser ma pensée en quelques paragraphes. Comme sur ce blog l'heure est aux grands récapitulatifs, je vous livre donc la réponse que je lui ai adressée qui synthétise l'état actuel de ma pensée sur le sujet :
"La question que tu m'adresses est de celles que la gauche ne peut pas ne pas se poser si elle veut rester en prise avec les réalités humaines du monde complexe dans lequel nous vivons.
Le Béarnais ex-bourdieusien (donc plutôt disposé à défendre les droits des minorités) que je suis qui fut confronté de plein fouet à la manipulation par Clinton de la cause des albano-kosovars en 98-99 ne peut qu'avoir une réponse nuancée à ta question.
En même temps, on ne peut pas non plus se perdre en nuances, ni s'enfermer dans des positions de purs principes abstraits qui permettent de renvoyer dos à dos les positions des uns et des autres tout en jouissant de sa supériorité morale - le "ni ni" (spécialité de la LCR à la grande époque).
Je pense qu'au niveau des principes, une pensée antiimpérialiste doit défendre la diversité culturelle et l'héritage historique, linguistique, etc dont les individus et les groupes se réclament. Mais il ne faut pas pour autant "fétichiser" ces identités, qui sont souvent défendues par des groupes petits-bourgeois en lieu et place de la question sociale (tendance actuelle du PCF par exemple à mettre les combats identitaires des femmes, des homosexuels, peut-être un jour des minorités régionales, au dessus de la lutte des classes). Il était frappant de voir qu'à Tiraspol (Transnistrie) en 2007, le combat de la minorité moldave roumanophone était surtout porté par des profs de fac amoureux de la littérature roumaine du 19 ème siècle - ce n'est qu'un exemple entre 1 000).
Nous devrions donc être défenseurs du droit des minorités, mais méfiants à l'égard de leur fétichisation, et aussi, surtout, attentifs au contexte géopolitique et aux résultats de l'histoire coloniale.
L'histoire coloniale a fait naître des entités nationales fragiles partout dans le monde, où les minorités (religieuses, linguistiques, ethniques) sont très faciles à manipuler contre les Etats. C'est pourquoi les Etats du Tiers-Monde sont très attachés à la charte des Nations unies qui sacralise le principe de non-ingérence (ce pourquoi seulement 25 % des membres des Nations Unies, principalement les pays occidentaux, ont reconnu l'indépendance du Kosovo). C'est une façon aussi pour eux de défendre une paix civile fragile (et d'autant plus fragile dans les contextes de crises économique et de pauvreté).
Le sujet s'illustre autour des Tamouls srilankais (sur un mode d'autant plus sensible pour un homme de gauche que le Sri Lanka est un pays non aligné très attaché à la souveraineté des Etats du Tiers-Monde, et très ami de Cuba) mais aussi à propos des Tibétains, des Kabyles en Algérie, du Sahara Occidental pour les Marocains.
Je crois qu'il faut beaucoup de tact, de prudence, pour défendre les droits de chacun sans attiser des logiques de guerre civile à l'irakienne... Et il faut aussi beaucoup s'informer par delà les clichés diffusés par des organismes faussement indépendants (souvent financés par la fondation Soros, USAID etc) prompts à classer les protagonistes politiques entre "bons" et "méchants" là où les choses sont souvent bien plus subtiles. Cela oblige aussi à réfléchir à un ton juste pour s'adresser à toutes les diasporas, et leur manifester notre solidarité sans ingérence néo-coloniale, et sans attiser les tensions communautaires ni remettre en cause la légitimité des Etats dont elles proviennent."
FD
Algérie, Cuba, Thaïlande
"Je viens d'avoir deux échos en même temps. Mohammed m'a skypé d'Algérie où il se trouve et m'a dit que la rue algérienne est enthousiaste de la fusée nord-coréenne. Ils rêvent peut-être un peu là-bas, mais il est intéressant de noter que des gens simples à 1000 km d'Alger s'identifient spontanément à la Corée du nord et croient dans sa version sur la fusée et pas dans celle de "l'ONU". Cela montre des potentiels. Le passage de Galloway par l'Algérie a aussi eu un grand impact par rapport à Gaza et aux dictateurs arabes bien sûr mais aussi parce que Galloway a réussi à faire ouvrir la frontière algéro-marocaine fermée depuis une décennie. Du coup, son action a réveillé la rue arabe en direction de la gauche.
Et mon ami syndicaliste vient de me téléphoner pour me faire un compte rendu de l'atmosphère à Cuba.
Cuba est devenu la porte de l'Amérique latine, c'est devenu un "must" pour les chefs d'Etat. Il y a des semaines où jusqu'à 3 chefs d'Etat passent, car c'est souvent via La Havane que les contacts avec les dirigeants de toute l'Amérique latine passent. Donc c'est une bonne carte de visite, y compris pour ouvrir les portes commerciales aux hommes d'affaire. (...) A Paris un conseiller UMP a déposé au Conseil de Paris une proposition d'aide humanitaire à Cuba lors du dernier cyclone. Elle a été votée par tous les groupes sauf ...le PCF qui a voulu se démarquer de Cuba !!!! (...)A l'UMP, il existe aussi un lobby castriste et un lobby anticastriste pour contrebalancer bien entendu, comme au PS. Selon mon camarade, La Havane en fait une vraie capitale culturelle, où festivals du cinéma suivent expositions de peintres du monde entier, visites d'artistes , de cinéastes, etc. Un vrai tourbillon dit-il qui fait de l'Europe quelque chose de très provincial en comparaison. (...) Fidel écrit beaucoup et se promène dans les rues de la Havane et discute avec les gens. Les récentes purges dans la direction du Parti visent des personnes qui se sont crues trop puissantes et on voit cela là-bas comme un retour à la "morale révolutionnaire". Bref peut-être qu'il faut regarder de ce côté ?"
Je n'ai pas pu avoir confirmation sur le vote au Conseil de Paris, mais sur les liens de l'UMP avec Cuba, un militant m'a confirmé par mail qu'une association d'aide à Cuba proche du PC "a des relations avec les jeunesses de l'UMP qui participent à certaines de ses opérations. Et ils se financent avec un dîner sélect au Sénat présidé par Poncelet du temps où il était président du Sénat." Cela m'a rappelé les échanges entre l'ex-ministre de Franco Manuel Fraga et Fidel Castro au milieu des années 1990. Il y a toujours eu une forme d'entente possible sur les bases de la Realpolitik entre les Etats révolutionnaires et les partis conservateurs, qui a le don d'exaspérer les tendances idéalistes et moralisatrices de la gauche (le PS, les trotskistes, les anarchistes).
Que vous dire d'autre ? Une jeune activiste de l'Acrimed, à la suite de mon article sur la Thaïlande a attiré mon attention sur un papier profondément écoeurant du journal Libération sur les "Chemises rouges". L'article, dont j'ai ajouté la référence au bas de mon texte, en dit long sur le regard que ce journal porte sur les pauvres. C'est quand on parle de l'autre bout du monde que les préjugés s'expriment avec le moins de retenue.
Pourquoi j'ai cessé d'être bourdieusien
Les lecteurs de ce blog sont fort aimables je dois dire, je reçois plus de fleurs que d'insultes et ceux qui daignent laisser des commentaires le font souvent dans un esprit constructif. JD hier dans son commentaire estimait utile (au moins utile pour lui, peut-être pour moi aussi, et donc, quand une chose est utile à deux personnes, elle peut l'être à quinze) que je précise pourquoi j'ai cessé d'être bourdieusien. Ce genre de sujet pour être traité correctement doit l'être dans la forme livresque, et donc je le réserve pour une publication ultérieure.
Mais le blog permettant d'user d'un ton expérimental et personnel, je me contenterai ici d'expliciter les trois ou quatre étapes de mon itinéraire qui m'ont éloigné de Bourdieu, mais il me faut d'abord préciser dans quelles conditions je m'en suis rapproché. Et je livre, en forme de clin d'oeil, au bas de cet article une petite vidéo d'un message que m'a laissé Bourdieu en mai 2001 (un message parmi beaucoup d'autres).
Bourdieu au départ n'incarnait rien de positif à mes yeux parce qu'il n'était pas apprécié des philosophes. Je ne sais pourquoi, en 1990, mon ex prof de philo de terminale que j'avais revu aux vacances m'avait dit avec une sorte d'ironie : "Vous êtes plutôt du côté de Bourdieu non ?" et j'avais rejeté l'accusation avec véhémence. D'une manière générale, les philosophes n'aimaient pas les sciences humaines. Même lorsqu'on n'était pas spécialement heideggerien, on avait le sentiment que les sciences humaines (comme les sciences de la nature) décrivaient des choses très triviales : des mécanismes de causalité un peu stupides, un peu artificiels qui imposent a priori des articulations entre des phénomènes aléatoires. Les sciences humaines traitaient de l'étant, tandis que la philosophie traitait de l'Etre . D'une manière générale, notre commerce intime avec l'Etre justifiait notre supériorité sur tout, notre dédain à l'égard de tout... même et surtout à l'égard de nos souffrances intimes.
Le hasard m'a conduit à rencontrer Bourdieu en personne en 1990 au début des opérations américaines dans le Golfe arabo-persique. Un entrepreneur béarnais voulait me présenter un sien ami d'enfance "prof d'université" (je croyais que c'était un prof de Toulouse) pendant les vacances d'été. Cet ami était prêt à nous accueillir dans sa maison familiale à Lasseube. Seulement quelques jours avant la rencontre j'appris que cet ami se nommait Pierre Bourdieu. Paniqué, moi qui n'avais jamais rien lu de lui je lus "Ce que parler veut dire" que l'entrepreneur avait chez lui. C'est une chance d'ailleurs que ce fût ce livre précisément et non un autre L'attaque sociologique du langage qui fondait mon engouement philosophique était peut-être un des meilleurs moyens de déstabiliser ma croyance. Lors de notre rencontre je parlai à Bourdieu de ma déception face à l'ennui des cours de la Sorbonne. Bourdieu répondit qu'en effet la faculté de philosophie "baignait dans le ronron" académique. Lui me conseillait de faire de la sociologie. Il était clair à ses yeux que les jeunes agrégés dans les lycées ne parvenaient pas à faire de la véritable philosophie, faute de temps. Au contraire, en me consacrant aux sciences sociales, je redécouvrirais des questions que les philosophes ne se posent plus.
Dans les années qui suivirent, je lus "Homo academicus", "La Noblesse d'Etat", "La Distinction", qui parlaient à mon expérience de fils d'ouvrier devenu étudiant à Sciences Po. J'explorai aussi l'ouvrage de Bourdieu sur Heidegger qui me laissa des impressions très mitigées, et je suivis le cours de Bourdieu au Collège de France chaque semaine. Je me payai même le luxe d'envoyer une carte au sociologue l’interrogeant sur son rapport au relativisme et il me renvoya aimablement à un sien article publié dans les "Actes de la Recherche en sciences sociales" à ce sujet. Mais finalement je ne suivis pas le conseil de Bourdieu de m'inscrire en DESS de sociologie à Sciences Po et entrai dans une autre grande école dont je tairai le nom ici; Je me suis à nouveau rapproché du bourdieusisme vers 1998, au début de ma carrière professionnelle, et arrêtai en 2001 en concertation téléphonique et épistolaire avec Bourdieu le sujet de ma thèse que je fis dans son labo (le CSE) de 2001 à 2006.
Voilà pour le contexte.
Les éléments qui m'ont éloigné du bourdieusisme.
1) La guerre de Yougoslavie (je le raconte dans "10 ans sur la planète résistante") - la question pour moi fut la suivante : une pensée qui empêche de réfléchir sur l'Etat, la souveraineté des nations, l'impérialisme, la guerre, au point de conduire son auteur à signer un texte aussi inapproprié que l' "Appel pour une paix juste et durable dans les Balkans" au début de la guerre contre la Serbie, est-elle une pensée pertinente ? Bien sûr Bourdieu a ensuite approuvé des textes que je lui envoyai (notamment mes comptes rendus de voyage à Belgrade) et signé l'Appel de Bruxelles en 2000 qui fut un très bon texte, mais rien n'est vraiment sorti de sa plume ni de celles de sa mouvance pour analyser correctement ce tournant essentiel de l'histoire de l'Europe. Il est d'ailleurs intéressant de constater que les bien-pensants bourdieusiens d'Agone n'aient pas repris l'Appel de Bruxelles dans le recueil des pétitions importantes signées par leur maître qu'ils ont publié dans les années 2000.
2) La rencontre des chomskyens en 1999-2000 (ceux que j'appelle Boris et le Scientifique belge dans mon livre). J'ai détaillé dans le Cahier de l'Herne sur Chomsky (dans un chapitre consacré à Bourdieu et Chomsky) les implications épistémologiques et politiques pour moi de cette rencontre, et les raisons qui m'ont fait sur ces deux volets préférer Chomsky à Bourdieu.
3) Mes travaux en sociologie du corps. J'ai commencé un DEA tard, à 30 ans, en 2000, alors que j'avais déjà un statut social confortable. Je travaillai (juste cette année là - et je n'ai repris ce travail ensuite qu'après ma thèse) sur un sujet qui n'intéressait guère les bourdieusiens. Donc je l'ai fait à Paris 5 avec des bourdieusiens dissidents, ce qui m'a sensibilisé à d'autres aspects de la sociologie (le weberisme notamment) dont Bourdieu prétendait injustement "capter" tout l'héritage. En outre, j'explorais aussi dans le cadre de cette étude la psychologie évolutionniste américaine que l'on commençait à peine à étudier en France et qui faisait vieillir d'un coup tous les présupposés structuralistes du bourdieusisme (même si je ne suis ps un inconditionnel de toute la psychologie évolutionniste).
4) Les travaux du jeune anthropologue anarchiste David Graeber sur le don, qu'il faudrait traduire en français, et qui sont une porte de sortie hors de la "sociologie de l'intérêt" à laquelle se rattache le bourdieusisme.
Voilà, pour faire court, dans un format adapté à ce blog, les raisons de ma prise de distance à l'égard de Bourdieu. Je pense aujourd'hui que les profs de Sciences po qui raillaient les côtés "bourdivins" de sa sociologie propre à "plaire aux jeunes esprits naïfs" n'avaient pas tout à fait tort, car il y avait dans sa tournure d'esprit une façon quasi-religieuse d'enchanter les concepts, et les mettre en système, avec une manière proprement épiscopale d'écarter les objections, bref quelque chose qui n'est pas digne d'un bon débat rationnel (et ce vice est hélas commun à toute la pensée française, aux gens de sa génération, toute cette façon "postmoderne" de penser, et qui remonte peut-être au "Jazz Age" de la philosophie que Stove situe dans les années 1920). En même temps c'est peut-être à ce prix que les paradoxes de la domination (pour les dominants et les dominés) ont reçu un statut académique, ont été jugés dignes de débat chez les lettrés et les savants (même si ce n'est pas toujours dans les termes qu'il faudrait, et même si c'est souvent sur un mode obsessionnel et monomaniaque, comme beaucoup de discussions universitaires).
Pourquoi "la Révolution des montagnes" ? (II)
Pourquoi « la Révolution des montagnes » ?
(texte inachevé du 15 octobre 2006) Voir le début de l'article ici.
Le Béarn
Le Béarn est bien plus qu’un simple cadre à l’aventure politique. J’ai passé les dix-huit premières années de ma vie dans cette région, et n’ai cessé d’y revenir pendant les vacances pour y voir mes parents ; Si mes rapports avec ceux-ci avaient été meilleurs, je m’y serais sûrement installé à nouveau après la fin de mes études.
Je ne cèderai pas à la tentation essentialiste qui consisterait à croire que j’ai connu quelque chose de « vrai » du Béarn. Le paysan qui en a labouré les versants toute sa vie, où le Juif qui fuit la persécution nazie, comme feu le professeur Schwarzemberg, qui n’a connu de Pau que l’arrestation de son frère par la milice en 1943 ou 44, tous ont connu quelque chose de « vrai » du Béarn. Ma position à moi fut juste un peu plus originale dans ma génération parce que, ayant passé mon enfance à Jurançon, dans la banlieue de Pau, j’étais entre ville et campagne, entre le Béarn du XX ème siècle et celui du XIX ème, et ce notamment que je passais beaucoup de temps avec mon grand père, qui était un homme du monde rural, et qui d’ailleurs m’apprit à parler un béarnais du quotidien, populaire, ajusté aux besoins du corps, très souvent francisé et dépourvu des néologismes savants dont les artisans du renouveau de la langue le parèrent sur le tard.
Nous n’étions pas si nombreux que cela, au lycée de Pau dans les années 1980, à avoir des notions de langue béarnaises, des notions qui renvoyaient à des souvenirs du cadre familial – des chansons, des repas – et non de l’espace scolaire.
Je crois en l’importance de l’attachement territorial dans la nature humaine, à son inscription dans les gènes. Et je crois que la psychologie évolutionniste conforte cette thèse. Nous avons le même besoin d’un espace auquel on s’identifie que les félins ou les pachydermes (pour ne citer que ces exemples). Ce qui n’empêchera pas sans doute les humains un jour de quitter la terre dans un vaisseau spatial, mais cela supposera qu’ils développent un nouvel attachement territorial au dit vaisseau Comme beaucoup d’émigrés (qu’on songe à la « double appartenance » de Sayad), je n’ai jamais pu m’identifier à d’autres terroirs que celui-là. Il est vrai que ma mère, qui a vécu toute sa vie autour de Pau, m’avait beaucoup conditionné à ne pas vouloir aimer d’autre province que celle-là, d’autant que j’i voyagé peu durant l’enfance, et même durant ma vie d’adulte, même quand je suis devenu un bourgeois.
Le vieux particularisme béarnais, hérité de la politique de Gaston Phébus, mais lié aussi à la conquête française, et à la marginalité géographique de cette province montagnarde (« une province particulièrement particulière » disait d’elle Bourdieu).
J’avais un grand besoin de replonger dans les sensations que le Béarn avait inscrite dans mes fonctions neurovégétatives, et y retrouver une forme d’assise psychologique pour m’inscrire avec force dans ma maturité, après des expériences qui m’avaient affaibli. Mais en même temps il n’était pas question de verser dans les vieilles lunes du roman régionalistes. Aucune idéalisation de la terre, de son histoire ou de sa pureté ne devaient inspirer ma plume.
Il fallait présenter tout à la fois ce qui dans l’identité d’une région s’enracine dans les temps anciens, et ce qui l’ouvre à l’avenir, ce qui perdure, et ce qui change, ce qui se réfléchit dans une identité fixe, et ce qui ne peut prendre sens que par rapport à un « ailleurs ». A vrai dire je ne suis dupe d’aucune représentation identitaire. Je n’ignore rien des débats qui animent les délimitations des territoires : par exemple les luttes entre béarnistes et occitanistes. Je n’ai utilisé la notion de Béarn que par commodité. Et si j’ai mis un point d’honneur à citer de nombreux villages et lieux du Béarn des vallées et de celui des côteaux et des plaines, ce n’était pas pour défendre ceux qui dans cette région ne se figurent leur identité qu’à travers le quadrilatère du « royaume qu’on traverse à cloche-pied ». Il fallait délimiter l’espace de référence, j’ai choisi de le délimiter à l’ex royaume de Navarre (moins la Soule), voilà tout. Il est vrai que j’aurais pu pousser Fulgaran à ne provoquer la sécession que de Pau ou de son agglomération – un quartier de Madrid en 1990 avait bien proclamé son indépendance. J’ai choisi l’ensemble du Béarn parce que cette représentation correspond historiquement à quelque chose dans l’imaginaire des gens du coin, mais je ne tiens pas spécialement à sa perpétuation dans les siècles à venir.
J’ai profité de ce roman pour rappeler qu’une identité politique quelle qu’elle soit dépend d’une définition des rapports avec les voisins, et notamment d’une opposition avec ce qu’on exclut de l’espace de définition. C’est ce que veut dire l’opposition avec les nationalistes basques. Je suis absolument certain que, dans la réalité, des luttes territoriales surgiraient avec les partisans de l’identité basque, comme le sécessionnisme flamand crée des problèmes aux Wallons ou le sécessionnisme albanais (auquel je fais référence dans le roman suite à mes expériences balkaniques) en provoqua avec les Serbes dès les années 1920.
Dans ce processus je ne prétends donner raison à personne. Si je rappelle que les Basques considèrent le Béarn et toute la Gascogne (voire tout le nord-ouest de l’Espagne) comme un sous-produit de leur culture , à travers la notion de Vasconie, alors que les Béarnais se considèrent comme un peuple roman clairement distinct des Basques, c’est justement pour rappeler tout ce que les tracés frontaliers comportent d’arbitraire et de problématique. J’ai voulu que ces aspects figurent dans le roman non seulement en raison des conclusions philosophiques que l’on peut en tirer mais parce que ces éléments relèvent beaucoup de l’impensé collectif et à la confiscation de la mémoire par la colonisation française. Dans aucun livre d’histoire des années 1980 on ne parlait dans les collèges gascons de Vasconie, et aujourd’hui encore, la réflexion sur ce genre d’espace historique (et sur les « proto-basques » qui la peuplaient) reste cantonnée aux cercles académiques et aux sites d’archéologies spécialisés sur Internet – dont un fort intéressant fut créé peu avant que je n’écrive la nouvelle version du roman.
Il m’intéressait de retravailler ces questions, et de me demander quel sens cela pouvait prendre dans le monde d’aujourd’hui ou dans un projet futuriste comme celui de Fulgaran. Je reconstruisais ainsi imaginairement le lien indélébile entre les questions d’identité et les projets politiques.
Ainsi on ne peut nier aujourd’hui que le renouveau des cultures occitanes, basques, bretonnes etc, après avoir été lié au romantisme de droite allemand ou français (spécialement monarchiste en France) au XIX ème, puis au tiers-mondisme de gauche des années 1970, a quelque chose à voir avec cette Europe vaticane (la démocratie chrétienne irrigant aussi bien le centre droit que les socialistes) née avec le traité de Maastricht. Qui peut nier par exemple que la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, texte de facture chrétienne des années 1970, est devenue aujourd’hui la matrice centrale du renouveau culturaliste des « peuples sans Etats » ?
Une des questions que devait se poser Fulgaran dans sa révolution, c’est si cette trame culturaliste catholique, et le réseau petit-bourgeois d’enseignants qui l’exploitent pour s’affirmer dans l’espace social, ne pouvait pas être à nouveau « gauchisé » dans le sens d’une réforme sociale radicale, comme au temps du tiers-mondisme post-soixante-huitard.
La question oblige à examiner le rapport du Béarn à la mondialisation et la solidarité possible entre cette province et les peuples du tiers-monde. En 2006 un député chrétien-démocrate béarnais, Jean Lassalle, a entamé une grève de la faim à l’assemblée nationale française pour protester contre un projet de délocalisation d’une entreprise japonaise basée dans sa circonscription. Malgré son positionnement au centre de l’échiquier politique, il a invoqué sa solidarité avec le président bolivien Evo Morales qui au même moment nationalisait les grandes compagnies d’exploitation de gaz dans son pays.
La possibilité d’inscrire l’identité béarnaise dans une dynamique de contestation d’un ordre mondial globalisé suppose qu’on se demande jusqu’à quel point le Béarn est ou non un pays de dominés. C’est à ce propos que je place dans la bouche de Tanya Heaven des considérations sur le fait que de nombreux Béarnais comme la plupart des Français, ont eu partie liée avec l’entreprise de colonisation de l’Afrique et de l’Asie. Cela rend très problématique la solidarité avec les peuples du Tiers-Monde, mais cela vaut aussi pour les Bretons, ou en Espagne, pour les Catalans à l’égard de l’Amérique latine). On ne peut pas faire l’économie d’un examen lucide de la participation de chacun aux injustices de l’histoire.
Le paradoxe du Béarn est qu’en effet une bonne partie de ses ressources culturelles ont été confisquées par la domination française – au point que presque pus personne n’en parle la langue, ni n’en connaît l’histoire -, mais qu’il a tiré un grand profit économique et culturel de cette confiscation, à travers laquelle nombre de Béarnais ont accédé à des places sociales et des fortunes très enviables, et l’ensemble de la province a connu un développement important. Ce genre d’ambiguïté se retrouve dans des régions comme le Tibet, ou la Tchétchénie dont les occidentaux soutiennent l’indépendantisme pour des raisons géopolitiques, mais qui doivent leur développement au fait qu’ils ont été colonisés.
La complicité qui unit le Béarn colonisé à ses colonisateurs dans la colonisation de peuples tiers (complicité qui s’est nourrie de l’amnésie et de la confiscation culturelle) rend non seulement problématique l’alliance entre cette province et les peuples du tiers-monde, mais aussi au quotidien le rapport avec les enfants des ex-peuples colonisés (maghrébins et noir-africains). D’où le fait que le racisme ordinaire n’est pas moindre en Béarn que dans les autres régions de France.
J’ai voulu décrire cela à travers le discours de Marouf tel que le rapporte Tanya Heaven. Et je crois le faire sans manichéisme, car le récit montre que tout le monde est « happé » par les structures de domination sociale. Si bien que Marouf lui même, et Tanya Heaven, qui sont pourtant des incarnations par excellence de l’ « ailleurs » au sein de la culture béarnaise, et de ce qui dans cette culture peut aller vers le sécessionnisme et vers la solidarité avec les peuples du tiers-monde, seront eux-mêmes récupérés par les forces conservatrices, et travailleront pour les dominants.
Ainsi je crois avoir évité l’écueil de décrire un « Béarn en soi » qui serait « bon » ou « mauvais », colonisé ou colonial. Je montre des conjugaisons de forces individuelles et collectives, qui sont prises entre des pôles opposés. Par les jeux d’opposition elles occupent des positions différentielles variables. Un homme comme le vieux Crésouret, est parfois acculé à incarner l’ouverture du Béarn, en soutenant la promotion politique de Tanya Heaven, parfois il devient le porte parole du conservatisme et du repli sur soi, face aux « internationalistes » par exemple, sans qu’on puisse jamais dire s’il a raison ou s’il a tort. Il se situe simplement là où son passé et les rapports de forces que personne ne contrôle vraiment le poussent à se situer. Ce n’est point de l’aléa, du chaos, c’est une mouvance dont la raison peut restituer la logique.
La révolution
Le roman essaie de décrire les possibilités d’une révolution dans le contexte de la société de consommation d’aujourd’hui. Ce n’est ni une apologie ni une condamnation de la révolution.
Fulgaran est une image du volontarisme politique, tantôt pathétique, tantôt admirable (et d’autant plus méritante qu’il doit lutter contre lui-même pour parvenir à cela) . Il n’est pas question de savoir s’il a raison ou s’il a tort, ni s’il faut vouloir la révolution ou pas.
Ce qu’on constate c’est qu’il manque de carburant. Il n’est pas vraiment porté sur un mouvement social qui aurait un intérêt puisant à l’égalitarisme ou à la rupture avec la France. Il provoque un mouvement à partir de jeux d’images ; Il travaille sur une matière première libidinale un peu indéterminée, la sienne, celle des gens auxquels il offre les slogans érotiques de sa révolution. Et puis cela prend, on ne sait pas trop pour quoi, comme a pris pendant quelque temps le phénomène Berlusconi en Italie ou le phénomène Sarkozy en France.
Le mérite de Fulgaran est qu’il réussit son pari en s’en tenant à des valeurs de gauche, généreuses, ouvertes à autrui, meême si à certains moments critiques il est obligé, comme les politiciens conservateurs, à miser sur des valeurs conservatrices.
J’ai le sentiment profond que dans les sociétés occidentales, la social-démocratie et le système de répartition des richesses, même minés par le néo-libéralisme, continuent de neutraliser les aspirations à un changement social profond, de sorte que le programme le plus radical qu’on puisse imaginer est en fait la conservation des structures socialdémocrates (c’est le programme que défendent par exemple les trotskistes et les communistes en France). Fulgaran ne peut aller au delà qu’avec des jeux d’image qui interrogent, comme le faisait la révolution de 1968 un autre rapport possible à la sexualité, en essayant de réorienter dans un sens non-consumériste mais convivial la logique d’exploitation de la pornographie. Mais on voit bien que dans un univers où les hiérarchies sociales ne créent pas d’injustices insupportable set où tout le monde est hypnotisé par les médias et la consommation, ces images ne peuvent rien produire de vraiment subversif et sont à tout moment récupérables par l’ordre établi (ce pourquoi le gouvernement français ‘inquiète finalement assez peu de la révolution béarnaise).
Les seuls détenteurs d’un programme politique sont les « internationalistes » qui veulent faire du Béarn un champ d’expérimentation et un levier pour la révolution mondiale. Je me suis inspiré pour traiter leur cas d’intellectuels que j’ai connus dans le combat anti-guerre. On reconnaîtra dans Den Yellow (dont le nom évoque Den Harrow chanteur à succès de mon adolescence) un personnage que je mentionnais déjà dans mon roman yougoslave.
Je ne prête à ce groupe aucune vertu particulière – notamment on les voit par moment capables d’affabulation et d’autosuggestion à propos de plans des services secrets – mais par la connexion qu’ils créent entre le Béarn et le tiers-monde eux seuls peuvent donner un sens « global » durable à cette révolution particulariste.
On observera toutefois qu’à aucun moment ils n’établissent de lien concret avec des leaders comme Marouf et Tanya Heaven qui eux sont issus des peuples du tiers-monde. Peut-être parce que ce tiers-monde « sur place », celui qui vit déjà en France et en Béarn depuis longtemps, est en quelque manière embourgeoisé malgré son mal-être culturel, à moins qu’il ne soit trop atomisé. Mais les internationalistes eux aussi ont quelque chose de bourgeois.
En mettant en scène les pressions de l’Ambassade américaine, et celles du gouvernement, je rappelle que les projets politiques se déploient nécessairement à l’intérieur de cadres dont ils n’ont aucune maîtrise – ce pourquoi bien peu de changements profonds ne sont possibles dans un pays s’ils ne sont pas poussés à l’échelle mondiale. Seule une population béarnaise en armes pourrait desserrer l’étau des contraintes posés par les grandes puissances, mais cette réalité sociale fait défaut, et la révolution est condamnée à rester une farce.
Ce sont là bien évidemment des leçons que je tire sur mon engagement politique contre les guerres américaines dont on trouvera des traces dans l’Atlas alternatif publié au Temps des Cerises.
L’échec politique sans cesse annoncé depuis le début de l’entreprise, trouve toutefois son dépassement dans une expérience singulière que va faire Fulgaran, qui est sa rencontre avec une secte eugéniste.
J’ai été très sensible aux débats scientifiques autour des manipulations génétiques et certains de leurs échos philosophiques, notamment dans la mauvaise polémique contre Sloterdijk. On sait déjà que l’intérêt pour le corps tend à supplanter le déclin du religieux et du politique. Cependant le projet d’une transformation collective et globale de la physiologie humaine pourrait bien devenir , dans les pays développés, le dernier horizon politique possible – un horizon sur lequel, comme le note Badiou, le débat est déjà largement confisqué par les spécialistes et les technocrates.
C’est d’ailleurs au regard des enjeux de ce débat que ma critique de la sociologie et de l’académisme en sciences humaines prend tout son sens. Les sciences dures montrent de plus en plus, conter les sciences sociales, ce que la psychologie humaine doit à l’héritage génétique, en même temps qu’elles découvrent des moyens d’agir sur ce patrimoine génétique. C’est un enjeu politique majeur dont les laboratoires pharmaceutiques et des intérêts économiques puissants ne manqueront pas de s’emparer tôt ou tard, tandis qu nos vieux comités d’éthique s’évertueront en vain à clamer « ne faites pas cela c’est immoral ».
Dans mon roman un type assez sympathique quoiqu’énigmatique, Abraham Stanley, s’empare du sujet et le traite sous un angle inattendu : à la fois technique et poétique. Fulgaran y voit une dernière chance de sauver son volontarisme politique. Le résultat est dérangeant. On ne sait plus si on se situe sur le terrain du rêve ou du cauchemar, d’un socialisme généreux ou d’un immense délire fasciste. Fulgaran ouvre une boîte de Pandore, qui, malgré son incongruité, a sa place dans notre époque, et correspond à certaines de ses tendances, répond aux questions qu’elle se pose.
La fuite « hors de l’humain » qu’elle annonce, vers le sur-homme- non un surhomme de force, mais un sur-homme d’amour, ou de tendances dépressives, correspond à la fois à la lassitude qu’inspire à Fulgaran tout ce qu’il sait, tout ce qu’il a vécu, tout ce dont il a conscience, et un certain taedium vitae des sociétés développées. Après avoir brisé les religions, les croyances superstitieuses, les idoles, et garanti un bien-être matériel à tous, l’Europe et l’Amérique n’auraient plus qu’à rêver d’abolir l’humain, le remplacer par une espèce hormonalement et génétiquement modifiée, moins consciente des contadictions du monde, mais finalement plus heureuse.
Encore une fois, insistons-y, il fallait que cette perspective soit décrite non sous l’angle répulsif dont les tenants de l’éthique nous présentent d’ordinaire dans la chose : la perspective de créer des titans qui aspirent à l’éternité et à l’optimisation de toutes les vertus. Il s’agit seulement de créer des êtres qui aiment...
Le mouvement transhumaniste m’intéresse, comme m’intéressent les mouvements humains, qui à diverses époque ont u le courage de penser, d’innover, de briser les routines de pensée, que ce fussent les philosophes grecs, les premiers chrétiens, les rationalistes scolastiques, les cartésiens, les premiers révolutionnaires. Comme tous ces mouvements, les transhumanistes renversent les barrières et posent sans doute les questions les plus importantes.
Partant de l’évolutionnisme darwinien, il prend le primate humain à la fois dans son animalité la plus flagrante, son besoin de manger, dormir, se reproduire, surmonter les maladies, et dans ses inventions culturelles et technologiques. Il veut placer les secondes au service des premières en les mobilisant sans limites, au point de ne poser aucun tabou à l’inscription de la technologie au coeur de la corporéité charnelle – une inscription qui peut aller de l’introduction de prothèses en plastique à l’incrustation de microprocesseurs nanologiques dans les neurones humaines. Tout cela étant fait pour que l’espèce accède au maximum de sa puissance – qui reste bien modeste face aux cataclysmes environnementaux – et parvienne à survivre à la destruction programmée de notre système solaire.
Cette doctrine est intéressante, et les questions qu’elle pose, loin d’être considérées comme de la science fiction, sont peut-être les seule dignes de figurer dans l’espace public et dans le domaine de la discussion philosophique. Nous sommes peut-être les premiers êtres humains à savoir à quel point notre existence en tant qu’espèce est précaire face à des risques aussi absurdes – et pourtant ô combien réels – que de voir une comète faire exploser notre planète.
Au lieu de disserter sur des futilités de notre culture notre priorité devrait être de réfléchir au moyen de rendre notre culture pérenne et d’en assurer la survie, sans que ladite survie de l’homme dépende du pouvoir d’une élite « éclairée » ou obscurantiste qui en aura seule anticipé les enjeux.
La conversation de la culture et de la politique au service d’une métamorphose de l’humain indispensable à sa survie, voilà une des questions majeures que pose le roman dans sa dernière partie.
Mais elle ne la pose pas dans un sens aussi minimaliste que l’impliquerai la question de la simple survie. Car Abraham garde un vieux fond rousseauiste et pense que l’humain se sauve autant par sa santé physique que par sa santé affective, c’est à dire par l’amour, et que l’un ne doit pas aller sans l’autre. Pourtant l’amour est-il possible sous la catégorie de l’épanouissement et non pas de la destruction, comme support de puissance physique collective, et non d’anéantissement ? Voilà ce que Fulgaran avec son vécu difficile ne peut s’empêcher de demander. Mais il veut donner une chance à Stanley, car tel est le sens qu’il assigne finalement à sa vie : donner sa chance au maximum de possibilités « progressistes » dans tous les domaines. Il fait sans fausses ratiocinations théoriques, avec une sorte d’abnégation (ou d’idéal de sainteté ?) de « vicaire du bien » et de « vicaire de la vérité » tout en sachant que ses choix sont potentiellement erronés.
Bien sûr le choix de Fulgaran est beaucoup plus qu’un choix d’abnégation, car il sait ce que le projet de Stanley comporte d’explosif. Il y a chez Fulgaran une réflexion minimale – quoique le plus souvent non formulée en mots – par delà le simple besoin de « servir », mais dans les moments de doute ou d’aporie théorique, c’est le besoin de servir qui devient le moteur des actes (ce qui est peut-être finalement le côté féminin de Fulgaran).
N’ayant pu favoriser l’Amour dans sa révolution (à travers la figure de Tanya), il donne sa chance à l’espèce d’Eglise de l’Amour qu’est la secte de Stanley, pour composer une humanité amoureuse – encore une fois au risque qu’elle soit une humanité dépressive, et plus autodestructrice que l’humanité froide et calculatrice.
Cette dévotion au possible est quelque chose d’assez mystérieux, mais qui caractérise sans doute une situation historique donnée : on est prêt à accorder beaucoup au possible dans les moments où on le sent brimé et confisqué. Ainsi j’ai moi même grandi dans l’amour du possible, et j’ai beaucoup agi dans ce sens là, mais l’aurais probablement moins éprouvé si j’avais eu 20 ans en 1968, dans une époque où tout le monde professait sa foi en lui...
Cette réalisation technocratique de l’Amour que propose Stanley, mélange ambigu de catharisme et de protestantisme – ou, peut-être, dans le cas de Stanley qui un Noir américain, de cultures africaines et de protestantisme – via les manipulations génétiques, ne peut se réaliser que dans un cadre ecclésial, l’Eglise de la Bonté (un nom naïf et ironique que je tenais à donner à son entreprise).
Ainsi ressurgit le religieux dans le politique (comme il le fait déjà dans les divers intégrismes chrétiens, protestants, juifs, hindouïstes). Le religieux comme dernier refuge des affects.
Si le religieux fut toujours affectif, il n’a jamais été uniquement cela. Indexé à un ordre social, il s’attachait aussi au plus strict des rationalismes. De philosophes comme Epicure (malgré la coupure qu’il instaure entre l’Olympe et les humaines), Plutarque, Averroes ou Kant sont très profondément rationalistes en même temps que profondément religieux. La démystification des (dures) lois de la nature par les sciences font de l’affect le dernier refuge de la poésie religieuse, seule la rationalité politique pouvant encore être accessible aux hommes épris de transcendance. D’ailleurs cette religiosité affective est de moins en moins indexés à la transcendance, qui est un notion presque trop rationnelle, est rabattue sur des dimensions purement personnelles : est religieux ce qui touche les liens entre un Dieu personnel et ses fidèles, et entre les liens de ces fidèles entre eux. On pourrait même avancer que dans l’Islam, qui place si haut la transcendance au delà des visages humains, désormais les liens interpersonnels de l’oumma, et leur union dans la miséricorde matricielle (voir l’étymologie du mot en hébreu et en arabe) divine importent davantage que la verticalité de l’Ordre (on pourrait dire du Gestell) de la divinité.
On sent de plus qu’un ordre religieux très basé sur l’affect devient le seul espace possible d’élaboration d’une alternative à l’ordre chaotique des marchés. Certaines sectes religieuses, mais aussi un Etat comme la Corée du Nord – qui trouve la force de se doter de l’arme atomique à force de communion dans l’amour religieux du grand chef – en sont de très vivantes illustrations.
On ne peut que ressentir un sentiment très ambigus devant ces dictatures affectives remplies de dogmes et de mythes, qui neutralisent les contradictions, épargnent le coût de la dépression aux plus faibles, au prix d’une stérilisation complète des intelligences. Et pourtant, dès lors que le paradis perdu des sociétés agraires holiste (sexistes, racistes, intolérantes, physiquement surexploitées) n’encadre plus les psychés individuelles, les équilibres humains ne passent-ils point par ces reconstructions de cocons de substitution ?
La secte de Stanley est d’autant plus troublante qu’elle mêle raison et affect, ouverture au possible et contrôle dictatorial de ce dernier, d’une manière paradoxale, indécidable.
Les premières images que Fulgaran en a sont associés à une femme nue dans une église, puis à des petites maisons en bois façon marché de Noël. Tous les signes du fascisme inhérent à l’esprit sectaire en sont visiblement abolis, et s’abolissent encore davantage dans le personnage de Stanley qui semble dépourvu de tout fantasme de domination où de « maîtrise de l’étant », pour employer le vocabulaire heideggerien. S’il veut manipuler les gènes, c’est pour préparer une sorte d’ouverture absolue de ceux-ci à travers l’amour véritable et éternel. Mais n’abolit-on pas la notion même d’ouverture dès qu’on envisage de la systématiser ? voilà une question qu’on laissera sans réponse mais qui fait planer une ombre menaçant sur le sens même d’une politique de gauche, telle que la conçoit Fulgaran, c’est à dire une politique d’ouverture à l’autre (ou à l’Autre ?).
Pourquoi « la Révolution des montagnes » ? (I)
Pourquoi « la Révolution des montagnes » ?
(texte inachevé du 15 octobre 2006)
Introduction
Alors qu’il était encore peu connu en Allemagne – et il le fut jusqu’à sa mort – Nietzsche intitula un des essais d’Ecce homo « Pourquoi j’écris de si bons livres ». N’étant point aussi provocateur que le philosophe moustachu, je me contenterai d’un « Pourquoi la Révolution des montagnes ». Certes il n’est point de réponse définitive au « pourquoi » d’une oeuvre littéraire, ni non plus de commentaire meilleur qu’un autre. L’auteur ne peut délivrer aucune clé, et toutes sortes d’éclairages subjectifs sur son oeuvre peuvent valoir mieux que le sien.
Je me bornerai donc ici à simplement rappeler dans quel contexte historique et psychologique est né le roman « La révolution des montagnes », et quelle vision du monde et de la vie, je n’ose dire quelle philosophie, sous-tendait au moment où je l’écrivais, certaines de ses scènes.
Qui furent pour moi Fulgaran, Tania Heaven, qu’ont représenté les grands thèmes auxquels je les ai confrontés ? Je voudrais expliciter quelque peu l’arrière-plan de toute cette affaire, ne serait-ce que pour limiter certains malentendus grossiers.
Je dois tout d’abord préciser que ce roman eut une histoire un peu singulière. J’en ai écrit une première version en 1990, à l’âge de 20-21 ans. J’étais alors étudiant à Paris, très loin de mon Béarn natal. Issu d’une famille ouvrière du Sud-Ouest, je supportais assez mal à la vie dans les chambres de bonne et l’ambiance bourgeoise de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Cet univers de solitude et de dureté tranchait avec la douceur des années de lycée à Pau. En même temps, j’étais tenu par l’ambition. Il semblait que le sacrifice que je vivais était rempli de promesses. C’est à cette époque que j’ai commencé à réfléchir à l’identité béarnaise, à sa place dans la France du XX ème siècle.
J’écrivis alors une première version de La Révolution des Montagnes. Ce fut un roman très long (300 pages) dont le personnage central, François Delorca était une sorte d’homme à femmes et de philosophe charismatique qui portait pour ainsi dire sur ses épaules une révolution identitaire un peu « post-moderne » en Béarn. Il était assisté par une compagne très belle, Patricia Dumonteil, et tout le roman racontait l’essor et le déclin du couple, tout en alimentant l’intrigue de personnages secondaires (des étudiants révolutionnaires notamment) qui allaient problématiser cette histoire, jusqu’à l’effondrement final de la République pyrénéenne.
Le roman collectionnait les clichés, quoi qu’il prétendît en jouer, dans la forme du roman philosophique. Je l’envoyai à quelques éditeurs qui tous le refusèrent. Et je ne le repris que 15 ans plus tard, en 2006, à l’âge de 35 ans.
J’avais désormais vécu 15 années loin du Béarn. Mes travaux en sciences sociales, mon engagement politique autour de la Yougoslavie, mes lectures en histoire et en anthropologie avaient sensiblement modifié ma vision de l’ordre social et du sens de la politique, sans parler de mes expériences affectives qui m’avaient éloigné de la naïveté de mes 20 ans. Il va sans dire aussi que le monde dans son ensemble avait beaucoup changé.
J’éprouvais le besoin d’écrire sur mon identité béarnaise, et de retrouver à travers cette écriture des traces de mon enfance, voire de mon adolescence. Il me fallait absolument recoudre les fils du passé pour trouver une cohérence à mon projet actuel. En outre je pensais ne pouvoir me pencher à nouveau sur le Béarn que du vivant de mes parents, tant qu’il restait des traces de ce que j’avais connu. Or ceux ci étaient septuagénaires ; . L’idée de remanier ce vieux roman me vint assez naturellement à l’esprit. J’y vis non seulement un lien possible avec l’enfance, mais aussi l’occasion de faire le point sur ma conception de l’existence humaine sans rien sacrifier de sa complexité.
Etant par ailleurs en pourparlers avec les éditeurs pour la publication de l’Atlas ainsi que d’un récit sur la Yougoslavie, j’étais conscient désormais de l’urgence qu’il y avait à verser pour ainsi dire dans le domaine public le plus de phrases possibles, avant que la culture du livre – sous la pression d’Internet – ne disparaisse complètement, enfouie sous un foisonnement de sites et de textes fragmentaires. Ayant déjà une trame romanesque à ma disposition, j’économisais pour ainsi dire quelques années de travail et de recherche d’inspiration, tout en rendant justice au jeune homme que j’avais été.
Le « François Delorca » qu’il avait imaginé était un homme de 36 ans, et pour ainsi dire, la projection idéale de ce que j’aimais concevoir de moi-même si j’avais cette âge là. J’avais cet âge désormais, à quelques mois près, et Delorca était devenu – à la suite de quelques hasards que je ne détaillerais pas ici, mon pseudonyme auprès des milieux militants. Il était temps pour moi de construire un nouveau personnage central de ce roman, d’imaginer une autre vie pour lui, une autre « révolution ». Je voulais offrir ce livre au jeune homme que j’avais été, et le donner à tout le monde, en espérant qu’il apporterait quelque chose à mon époque.
Mais entrons plus avant dans recoins de cette nouvelle version de l’œuvre, dont bien des aspects ont surgi dans mon imaginaire souvent à mon corps défendant (ou plutôt à ma conscience défendante) et qui, à bien des égards, restent aussi obscurs à mes yeux qu’à ceux de mes lecteurs.
Fulgaran
Commençons par le personnage central, Stéphane Fulgaran.
Son nom vient de nulle part. J’ai seulement cherché des associations gratuites de phonèmes. Il fallait qu’il ne puisse être rattaché à aucune culture particulière, même si on dit quelque part qu’il est d’origine espagnole. C’est un premier élément d’universalité. La culture du XXI ème siècle valorise les mélanges dans lesquels au temps de la puissance des Etats-nations on décelait plutôt des signe de corruption et de bâtardise. Fulgaran est un nom de mélange (u de bâtardise) par excellence. J’ai cherché sur Internet, après l’avoir inventé, si quelqu’un le portait, et je l’ai trouvé associé aux Philippines, c’est à dire presque aux antipodes de la France, ce qui me convient tout à fait. A certains égards il fait penser à la culture des mangas (les « cornofulgures » de Goldorak) dont je ne suis pas friand, mais qui était présente dans mon enfance, et à la fulgurance, mais aucune de ces connotations n’était présente au moment de l’écriture, et je voulais seulement que ce nom soit bizarre, et atopos comme disait Platon à propos de Socrate.
Le prénom Stéphane, français, hérité du christianisme grec, et très à la mode dans les années 1970, partage ces trois caractéristiques avec mon véritable prénom. Il enracine le personnage dans des circonstances de temps et de lieu auxquelles « Fulgaran » contribue à l’extraire ce qui immédiatement crée une tension interne dans l’identité du personnage.
Le héros de la version initiale de La Révolution des Montagnes était un philosophes. Au sortir de mon bac de lettres, avec un prix au concours général de philo en poche qui me consacrait aux yeux des institutions, j’étudiais la philo parallèlement à mon cursus à Sciences Po, et je trouvais dans cette discipline un mélange de modestie et de noblesse que je ne décelais dans aucune autre. Logiquement le roman devenait une sorte d’épopée hegelienne dans laquelle l’Idée rencontrait sa réalisation historique au prix de nombreux détours dialectiques. Non sans quelque distinction, voire sans quelque snobisme, j’affectais de prendre mes distances avec tout ce que j’écrivais – notamment l’emploi abondant de stéréotypes que je feignais de mobiliser à dessin – y compris à l’égard de la philosophie elle-même (dont je n’étais pas tout à fait résolu à faire mon métier).
Quinze ans plus tard, sans rien renier de ma profonde adhésion à la philosophie, je me reconnais si peu dans ses dérives académiques qu’il n’était plus question de faire de ce roman un texte hegelien, pas même sur un mode ironique. Il y avait bien mieux à faire que de faire l’apologie du monde des Idées, et notamment il n’était plus du tout question de faire de la politique le simple champ d’expérimentation (problématique ou non) d’une théorie quelconque.
En vérité, le mot « philosophe » lui-même est aujourd’hui complètement piégé puisqu’il désigne soit un professionnel de la métaphysique (ou de la post-métaphysique), dissertateur ennuyeux et pompeux, enfermé dans Heidegger, Derrida et les illusions de l’académisme, soit des bonhommes incultes qui se disent « philosophes » parce qu’ils sont détachés de leurs pulsions, ou simplement plus pacifiques que les autres. L’avantage du roman est précisément qu’il peut se situer dans un ailleurs. Hors les murs de l’université, et hors les murs de la bêtise épaisse. Je craignais que le mot « philosophe » ne le tire vers un de ces deux pôles auquel il fallait à tout prix le soustraire.
J’ai fait de Fulgaran un sociologue, pour des raisons multiples.
La principale est sans doute qu’en 2006 quand j’ai écrit ce roman, la sociologie était bien plus prestigieuse auprès des jeunes gens qu’en 1990, en partie sous l’influence de Bourdieu. En France on avait basculé d’un monde où on lisait Deleuze et Foucault à un univers qui valorisait les enquêtes de terrain et les gloses infinies autour des classes, des habitus et des formes de domination. Cette nouvelle approche « sociologique » du réel, qui se veut moins académique que la philosophie, l’est en réalité bien davantage, et elle est l’affaire, comme la philosophie universitaire, de pauvres pontes qui traînent leur mal-être dans des huis-clos poussiéreux. On eût envie de leur lancer comme Deleuze le disait aux psychanalystes : « ouvrez les fenêtres ».
Moi qui ai décroché un doctorat en sociologie (j’étais dans l’attente de ma soutenance au moment où j’ai écrit ce livre), j’ai déjà raconté dans un autre livre combien Bourdieu lui-même, et plus encore ses épigones (* ?) m’ont déçu, notamment par leur incapacité à faire intellectuellement et éthiquement face à des problèmes de vaste ampleur comme la guerre de Yougoslavie, ou la mainmise américaine sur le monde. Leur pusillanimité conceptuelle, en même temps que leur plaisir à rester sur le terrain condescendant et « charitable » (chrétien au pire sens du terme) de l’étude des déshérités. Beaucoup de grands esprits se fourvoient dans cette impasse, pas seulement dans les laboratoires bourdieusement orthodoxes (qui restent politiquement un peu radicaux), mais aussi dans les labos « modérés », qui ne prennent de Bourdieu que le vocabulaire et en rejettent le côté révolté.
Il serait long de décrire à la fois ce que je dois et ce que je reproche à Pierre Bourdieu, avec qui j’avais entretenu une correspondance de son vivant. On en trouvera quelques traces également dans ma contribution au livre de Jean Bricmont sur Chomsky. Je m’y essaye à comparer la pensée du grand linguiste et celle du sociologue, en montrant où se situent selon moi les mérites et les limites de ce dernier.
Faire de Fulgaran un sociologue me permettait de dire un mot de l’enfermement sociologique. L’anecdote du déplacement des archives de Magloire (dans lequel on reconnaîtra sans peine Pierre Bourdieu) m’a été inspirée par le fait que le bureau de Bourdieu à l’Ecole des Hautes études en Sciences sociales est resté pendant deux ans inoccupé après son décès en janvier 2002, et ce bien que les chercheurs fusent à l’étroit à la Maison des sciences de l’homme, tandis que personne n’osait enlever son nom sur sa porte. Le directeur du Centre de Sociologie lors de l’éloge funèbre de Bourdieu dans un colloque retransmise à la radio disait « Père Bourdieu » au lieu de « Pierre ». Tous ces signes de dévotion, entrecoupés de dénégations occasionnelles (« ce n’est parce que Bourdieu pensait cela que nous devons faire de même ») qui tenaient plus de la rebellion adolescente contre le cadre familial que d’une recherche intellectuelle honnête m’agaçaient profondément d’autant que la pensée de Bourdieu elle-même invitait à refuser la « bourdivinisation ».
Les raisons profondes pour lesquelles je n’ai jamais pu intégrer pleinement et sincèrement tiennent à mon hostilité à l’espèce de religiosité qu’engendre toute forme d’académisme, mais aussi au fait que la rencontre avec la linguistique chomskyenne, ainsi qu’avec l’empirisme de Bricmont me faisaient révoquer en doute les principaux présupposés épistémologiques des sciences sociales – notamment leur constructivisme (là encore je renvoie à l’article sur Bourdieu et Chomsky).
J’ai donc pris le risque de faire de ce roman une machine de guerre non seulement contre la mode des sciences humaines, mais aussi contre une manière académique de concevoir le rapport au réel humain. Et il importait que je le fasse d’un point de vue « de gauche » qui n’ait rien à voir avec les critiques que certains sociologues ou philosophes conservateurs ont adressées à Bourdieu, ni avec l’anti-intellectualisme d’une certaine droite (la droite populiste) dont le président des Etats-Unis de l’époque, et le ministre de l’intérieur français étaient les incarnations les plus imposantes.
Fulgaran est donc l’homme en rupture avec la sociologie académique, avec tout académisme d’une manière général, et avec Paris, support de toutes les vanités qu’engendre cet académisme.
Mais les conditions de son « décrochage » de cet univers n’étaient pas faciles à mettre en scène. Il fallait que cela procède à la fois de motivations intérieures, liées à un passé rempli de contradictions, et de la médiation présente de personnages qui font irruption dans sa vie – des femmes, dont on reparlera plus loin, mais aussi son ami d’enfance Perdu, petit instituteur de province investi dans la défense un peu fétichiste de la culture occitane à Paris.
C’est là encore un épisode un peu autobiographique puisque je venais de revoir l’année précédente un jeune instituteur palois perdu de vue depuis 15 ans et avec qui j’avais manifesté contre le projet de loi Devaquet en 1986. Mais lui ne grenouillait pas dans les cercles occitanistes et il travaillait en Béarn. Les instituteurs de la « diaspora » occitane, j’en entendais davantage parler en 1990-91 quand j’écoutais Radio Pays à Paris et songeais à fonder un syndicat occitaniste dans ce fief du parisianisme qu’était Sciences Po. C’est même dans l’exil parisien que j’ai le plus réfléchi à mon identité et appris le plus de choses sur le culture occitane.
Perdu ne peut pas être du tout sur la même longueur d’ondes que Fulgaran ne serait-ce que parce que leurs vécus diffèrent radicalement. L’un a vécu dans sa région jusqu’à trente ans, l’autre s’est brûlé au feu de la culture des grandes écoles parisiennes à 18. Cela crée des visions très différentes du monde social, un rapport différent aux institutions, aux diverses classes même si les deux partagent des opinions de gauche communes. Néanmoins Perdu se sent pousser des ailes au contact de Fulgaran, et ce dernier se laisse gagner par son pragmatisme.
Je n’ai pas beaucoup creusé la personnalité de Perdu, parce que les personnages sont principalement appréhendés à travers le regard que porte sur eux Fulgaran, or celui-ci est toujours surdéterminé par le projet existentiel et politique qui l’anime. De ce point de vue là, le roman rejoint l’existence dans laquelle, comme le notait Searle, chaque être est saisi sous la catégorie du « considéré comme... en vue de.. ». Tel est particulièrement le cas chez Fulgaran, qui, toujours inquiet du caractère potentiellement absurde et ubuesque de son entreprise a beaucoup de mal à s’interroger sur la personnalité des gens qu’il rencontre en dehors du cadre de son projet donquichottesque.
Il était important que Fulgaran dépende d’un bout à l’autre de personnages comme Perdu ou Crésouret – le vieux poète béarnais –, car Fulgaran est un être plein d’incertitudes, facilement sujet au découragement, comme le sont d’ailleurs beaucoup de rejetons de la société de consommation contemporaine. C’est l’exaltation souvent un peu naïve de ses lieutenants qui le persuadent d’aller de l’avant.
Fulgaran est le contraire d’un charismatique, il est incapable de porter à bout de bras un mouvement politique, et doit une large partie de son succès au vide qu’il rencontre face à lui, tant des notables locaux que des autorités françaises.
C’est une figure de la mélancolie, qui a du mal a assumer le poids de tout ce qu’il sait sur l’humanité, mais qui malgré tout garde une légèreté, une désinvolture, une liberté suffisantes pour jouer avec l’ordre social (et donc avec sa propre vie), le défier, tenter de définir de nouvelles règles du jeu.
Les femmes
Dans la version initiale du roman, Patricia Dumonteil était le personnage féminin principal. Mais elle manquait singulièrement de relief et reflétait à elle seule la faible connaissance de la psychologie féminine qui me caractérisait à l’époque (mes lacunes sur ce point ont été partiellement comblées depuis lors, mais il me reste sans doute beaucoup à apprendre). Elle reflétait alors mon fantasme de séduire une bourgeoise parisienne (blonde), le nom « Dumonteil » procédant lui-même en partie du patronyme d’une étudiante de Sciences Po que j’avais vaguement draguée un jour.
Dans la version de 2006, Patricia Dumonteil reste une journaliste, comme en 1990, mais elle n’assume plus qu’un rôle secondaire. Elle eût été pour Fulgaran une maîtresse parfaite voire un jour peut être une épouse si précisément le sociologue était resté dans l’univers académique, car les deux personnages se rejoignent et se complètent par leur position à l’égard de l’université : l’un vivant à l’intérieur mais rêvant d’en sortir, l’autre rêvant de l’intégrer en venant de l’extérieur.
Si Fulgaran n’avait pas franchi le pas d’une rupture avec le milieu universitaire leurs deux positions se seraient probablement équilibrées. Mais le chemin que prend Fulgaran, et les formes baroques de sa propagande électorale sont incompatibles avec les attentes de Dumonteil.
Il revient alors à Tania Heaven de devenir, nolens volens, la partenaire principale de Fulgaran dans son entreprise révolutionnaire.
Le personnage de Tania Heaven représente sans doute l’invention la plus importante du roman, celle qui m’a aussi apporté le plus de satisfaction personnelle.
Tania Heaven est le support parfait de toutes les craintes que Fulgaran (mais aussi que moi-même, et avec moi une grande partie des hommes du début du XXI ème siècle) peuvent projeter sur la féminité.
Ses origines mêmes (le Caucase) la rapprochent explicitement de Médée et de cette barbarie féminine qui hante l’imaginaire masculin d’Euripide à Pasolini. L’idée des origines caucasiennes m’est venue pour échapper au cadre habituel de mes fantasmes, qui jusque là m’avait plutôt porté vers les pays baltes ou les Balkans. Quelques mois auparavant une franco-géorgienne ministre des affaires étrangères à Tbilissi avait donné du fil à retordre au Quai d’Orsay. C’est une histoire dont j’avais eu à connaître. J’avais aussi en mémoire le mépris dont un Letton de mes connaissances avait accablé les peuples du Caucase, semblable au dédain des Serbes à l’égard des Albanais.
Il était intéressant pour moi de mettre en lumière cette figure de l’altérité qui est doublement autre parce qu’elle ne se rattache pas à l’histoire coloniale française en en faisant aussi une figure de la pauvreté – Tania Heaven est née dans une famille ouvrière comme une fille bulgare que j’ai aimée. Elle en a hérité une sorte de soif de revanche sociale, et ces origines la rapprochent de Fulgaran. Au fond tout ce roman est une histoire de dominés, de gens qui ont des revanches à prendre, à ceci près que Fulgaran, lui, met une sorte d’aristocratisme dans son positionnement social, un aristocratisme tout entier lié à l’intellectualité et qui le place plus d’une fois au bord du nihilisme complet.
Heaven n’est jamais connu que sous son nom d’artiste – son vrai nom probablement se termine pas en « vili » ou quelque chose comme ça, mais on ne le saura jamais.
Il importait pour moi que cette fille des bas-fonds soit une actrice de film X. Pendant toutes les années 1990 le porno a connu une explosion en Occident et les sociétés de tournage se sont ruées vers l’Est. En 2000 quand j’ai réalisé une enquête à la sortie d’un salon de la vidé érotique, j’ai croisé une ou deux filles de bars qui voulaient tourner dans des films pornos. L’image de la féminité dans l’esprit masculin est désormais très fortement marquée par la possibilité pornographique, même chez les gens qui ne regardent pas ce genre de film. La possibilité de basculement du corps – et donc de la personnalité de la femme – sous cette catégorie fait absolument partie de l’arrière-plan de la culture occidentale actuelle (et peut-être même des cultures du tiers-monde, dès lors qu’elles savent que l’Occident consomme ce genre de chose).
L’apparition du porno, comme le développement des sciences cognitives, ont joué un rôle très positif dans la pensée analytique et dans la démystification des illusions poético-religieuses. Elle participe de ce mouvement critique issu des Lumières qui aboutit à constater que les choses sont ce qu’elles sont, une fois qu’on les a soustraites aux artifices dont les entourent des stratégies de pouvoir malséantes. On a souligné à juste titre que la pornographie était l’envers du féminisme, et qu’il participait du même mouvement que lui. A partir du moment où l’émancipation des femmes a été voulue et où le romantisme et la galanterie ont été démystifiés comme autant de cache-sexes, si l’on peut dire, du machisme patriarcal, reste une sorte de positivité objective du corps de la femme, et de la relation sexuelle homme-femme, une sorte de réduction (peut-être une épochè ?) du matériau à sa nue objectivité dont la pornographie est l’expression. Je ne pense pas que cette réduction implique nécessairement une « consommation » des corps, voire une consommation violente et machiste comme la pornographie des années 1980 l’a engendrée sous l’influence de l’emballement néo-libéral du système capitaliste. Certes la pornographie crée une sorte de « disponibilité » de l’objet corporel qui le rend vulnérable à une dérive consumériste. Mais cette orientation n’est pas univoque. Après tout la pornographie des années 1960 par exemple n’est pas aussi consumériste que celle de notre époque, elle est porteuse de critique sociale, et le reste dans aussi dans des tentatives actuelles de définir une pornographie féministe.
Evidemment, le roman n’entre pas dans ce débat. Il fait seulement de Tanya Heaven un corps qui est « passé » par la pornographie, passé à la moulinette pornographique, et qui, de ce fait, en est aussi le produit.
Cette situation crée d’emblée une cassure dans la relation Fulgaran-Heaven, qui se surajoute aux cassures de la relation entre Fulgaran et les femmes en général. Heaven, qui est une femme sans nom, une femme sous pseudonyme (mais « Fulgaran » lui-même a-t-il un nom ?) et aussi, pour le chef de la révolution béarnaise, une femme sans corps, parce qu’elle est la femme de tout le monde.
En posant ce principe je pose une équivalence entre actrices de porno et prostituées qui est sans doute contestable, mais qui dans l’ordre des représentations me paraît assez justifié. Tout spectateur veut s’approprier le corps d’une actrice de X, et se l’approprie par le fantasme, comme tout client est susceptible de s’approprier pour une durée limitée le vagin d’une prostituée. Pour cette raison il n’y a pas de mainmise véritable sur ce corps là, qui par la-même devient extrêmement abstrait. Il en est résulté très logiquement qu’il ne peut y avoir de relation sexuelle entre Fulgaran et Heaven. Plus précisément s’il peut y en avoir une, elle serait de toute façon dépourvue de sens. Or les deux personnages, dans le cadre de l’absurdité potentielle de leur aventure commune, ne peuvent se payer le luxe d’actes dépourvus de sens. Ils sont absorbés par autre chose...
Bien sûr au tiers du roman une relation physique intervient entre Fulgaran et Heaven mais il s’agit de tout autre chose que d’une relation sexuelle délibérément et mutuellement consentie. C’est un acte que Heaven « inflige » pour ainsi dire à Fulgaran du fait de l’impossibilité pour elle d’inspirer une confiance par le truchement des mots. A vrai dire cette confiance n’existera jamais, mais l’acte physique qu’impose Heaven dans un contexte de kidnapping a au moins pour effet d’inscrire Fulgaran dans une posture d’ouverture, d’humilité, d’acceptation du devenir (d’amor fati) tandis que le couple sera désormais fortement (quoique problématiquement) uni au point qu’in fine ils entretiendront des rapports d’ex amant et maîtresse.
Je pense que cette relation ambiguë dit quelque chose des rapports homme-femme de notre époque en Occident. En même temps elle est complètement assumée par ses protagonistes qui n’adhèrent plus de toute façon aux conte de fée d’autrefois.
Le roman est un roman masculin, qui voit beaucoup à travers les yeux de Fulgaran. Du coup, on ne saisit jamais vraiment le point de vue véritable de Tanya Heaven ni sa psychologie. Cela procède d’un choix, afin de mieux installer l’intrigue dans l’ambiance d’angoisse et d’indécidabilité qui hante les actes de Fulgaran. Jusqu’à quel point Heaven n’est-elle que le rouage d’une société de production pornographique liée à la mafia. Jusqu’à quel point est-elle susceptible ensuite de faire le jeu de l’Etat français (et des Américains) ?
A divers moments Heaven apparaît comme une femme sincère et lucide, qui porte en elle l’histoire de son pays, qui manifeste une grande volonté psychologique et politique, notamment lorsqu’elle exhorte Fulgaran à défendre son peuple contre l’humiliation. Mais, leurs trajectoires ne se rejoignent jamais au bon moment. Heaven est absente quand Fulgaran a besoin de soutien et, lorsqu’elle fait ressortir son volontarisme, c’est à contre-temps, ou sur un mode décalé (par exemple quand Fulgaran sait qu’il ment à son peuple sur la question des attentats). De toute façon la solitude, l’incompréhension, arrangent Fulgaran qui est très enclin à faire taire Heaven à chaque fois que celle-ci essaie de le rejoindre. Sans doute cette solitude est-elle nécessaire à l’idée qu’il se fait de sa vie et de sa dérive. Et c’est elle finalement qui va conduire Heaven à se rabattre sur un programme de vie assez conventionnel (s’éprendre de Marouf, rêver de procréation) qui la mettra définitivement en porte-à-faux avec le projet de Fulgaran et en fera effectivement le rouage d’un ordre politiquement stérile. Fulgaran produit ainsi une prophétie auto-réalisatrice, un effet Oedipe.
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"The Plato cult" et la foi dans les philosophes
Je parcourais aujourd'hui, sur les conseils du Scientifique belge, "The Plato cult and other philosophical follies" de l'Australien David Stove, en vente pour 19 euros sur Amazon, un très bon livre qui décape tout ce que la philosophie porte d'idéaliste de Platon à Popper en passant par Kant. Le livre a été justement encensé par Daniel Dennett, WV Quine, et tout ce que la philosophie américaine compte ou a compté de grands noms à la fin du 20 ème siècle (Stove a toutes sortes de qualités, sauf sur le plan politique : c'est un fieffé conservateur). Il est temps que les Français le traduisent !
Pour des raisons qui tiennent peut-être à mon idiosyncrasie personnelle, je suis au fond plus intéressé par les tentatives de démystifier les religions philosophiques, que les grands débats, à la mode dans le monde anglosaxon en ce moment, sur les religions tout court (leur utilité, leur danger - songez au dernier livre de Dawkins sur ce thème par exemple). J'ai adhéré, je l'avoue, à ce vice qui consiste à "diviniser" (ou presque) les philosophes, auxquels nous prêtions jadis toutes les vertus intellectuelles, aux pensées desquels nous accordions toute notre foi. Moi et mes condisciples considérions leur pensée comme des tableaux. Nous les choisissions selon nos goûts, renonçant à leur appliquer notre raison critique, et, qui plus est, leur accordions de surcroît une valeur de vérité objective - ce qu'heureusement personne n'accorde à l'art.
Je me demande aujourd'hui pourquoi nous étions allés si loin dans le culte des grands philosophes (et pas seulement nous, mais avant nous tous les autres philosophes, depuis que la philosophie est philosophie). Cela incontestablement nous aidait à vivre, et à supporter les inquiétudes de notre jeunesse. Sans mon cursus de philosophie à la Sorbonne, je n'aurais sans doute supporté ni Sciences Po (où j'étudiais en parallèle), ni ma solitude, ni la nullité de mon statut social, alors pourtant que l'enseignement sorbonnesque était des plus rébarbatifs. J'avais besoin de cette proximité avec Kant, avec Nietzsche, avec Heidegger, avec des problématiques que je croyais plus radicales et plus élevées que celles qui travaillaient les autres jeunes de mon âge. C'était peut être de l'ordre de la consolation philosphique à la Boèce. Je me consolais d'une existence en pointillés.
Aujourd'hui je trouve surtout chez des anglo-saxons comme Chomsky, Dennett, Stove, Dawkins, une très grande capacité à réfuter en bloc des pans entiers de bibliothèques sans même se donner la peine de les lire (la "dismissive attitude", comme on dit). Russell aussi était comme ça. Cette façon de procéder n'a pas beauoup de succès en Europe continentale où, si les écoles de pensée s'affrontent sans se lire, elles se respectent néanmoins suffisamment pour faire mine de se juger l'une l'autre respectivement dignes de lectures. Peut-être parce que la philosophie continentale n'est pas engagée dans le même Kulturkampf anti-religieux que la philosophie anglosaxonne, ni animée par la même radicalité puritaine. Je pense que cette radicalité a du bon car elle permet de ne pas perdre de trop précieuses années à assimiler des théories qui sont fausses.
Stove en adresse le reproche aux marxistes, mais je crois qu'on peut mettre en oeuvre une critique semblable à l'égard de la pensée de Bourdieu, qui est une philosophie "laïcisée" dans un savoir empirique. J'ai passé beaucoup de temps (quelques années avant de ma lancer dans une thèse de sociologie, que j'ai d'ailleurs rédigée en commençant à perdre la foi, comme j'avais perdu la foi chrétienne quelques mois avant la confirmation). Avec le recul, je pense que j'aurais dû abandonner le bourdieusisme plus tôt. Garder du bourdieusisme ses intuitions puissantes sur la "domination symbolique" mais laisser de côté tout le côté systématique de cette pensée, qui était aussi son côté le moins honnête (le plus chargé en "pirouettes" intellectuelles). Mais c'est la peur qui a retardé cet abandon, comme elle peut retarder l'abandon d'une religion. On hésite à cesser de croire en Dieu par peur de la vie que l'on devra endurer après la perte de cette foi (c'est la même chose aussi dans la passion amoureuse). J'avais peur qu'en cessant d'être bourdieusien je deviendrais un connard de droite, résigné devant les injustices de ce monde.
C'est une erreur. On affine d'autant mieux sa compréhension de l'humain, et donc sa force critique sur le plan politique, qu'on refuse les dogmes.
La difficulté est ensuite de ne pas être humainement trop sévère avec les pensées qu'on a réfutées, sans pour autant rationnellement les réhabiliter. Je n'ai pas d'affection pour Marx, je ne sais pas trop pourquoi, mais j'en ai gardé une pour Bourdieu, peut-être parce que je comprends mieux l'époque dans laquelle il a vécu, son contexte social et affectif. J'ai aussi, je l'ai déjà dit sur ce blog, une grande sympathie humaine pour Platon, et pour sa façon de positionner la philosophie dans le contexte humain de son époque. Mais la sympathie vient quand la passion est morte. Elle porte le costume du deuil.
Le business français en Iran (suite)