Fête de l'Humanité 2009 (fin)

Une bonne fête néanmoins. Nous avons parlé plus de mon futur poste en Seine-Saint-Denis que d'anti-impérialisme, mais tout de même. Je garderai un souvenir ému du stand Bolivie où une dame faisait de l' "Alba libre" (de la tisane de coca au rhum). Du stand Nicaragua où nous avons bu du Sequito au miel. Souvenir de l'historien de l'ARAC qui m'a dit "il ne faut pas laisser la Russie à l'extrême droite", et du patron de Correspondances internationales qui pense qu'un jour la Chine s'intéressera à son bulletin (auquel je vais collaborer). De ce cinéaste amateur chilien qui vend le DVD du documentaire qu'il a tourné sur Evo Morales. Souvenir de cette dame très digne au stand de l'ACER qui, quand je lui ai demandé à quel nom je devais dédicacer le livre de mon grand-père a dit :
"Mme Rol-Tanguy.

- Comme le résistant ? ai-je demandé.
- Oui, je suis sa fille" a-t-elle répondu avec une sobriété presque protestante.
J'ai beaucoup songé depuis deux jours en en parcourant les allées à tout ce qu'il y avait de faible dans cette fête, toutes les facilités de comportements et de pensée qui rendent sceptique sur ce qu'un peuple (même un peuple de militants) peut arriver à faire. Mais à partir du moment où on s'oppose à un système politique, il faut accepter d'agir avec ses opposants, par delà leurs insuffisances - et les siennes propres.
Un décryptage qui m'avait échappé (il y a quelques mois)
Il y a ceux qui décryptent les médias juste pour se sentir plus intelligents qu'eux, dans une logique narcissique, et ceux qui le font avec un esprit de compassion pour les victimes du mensonge et une révolte, dans l'intention ferme de changer l'ordre des choses. Ceux là feront sans doute un bon usage de la vidéo ci dessous - vidéo qui date d'il y a quelques mois, mais les biais de l'approche médiatique dénoncés ici sont omniprésents, et sur tous les sujets.
Défaite de l'écriture (DDE) 1
Crépuscule de l'écriture
Je relisais l'Art du Roman de Kundera ce soir. J'avais oublié à quel point ce livre était réactionnaire (son anti-soviétisme, son apologie des Habsbourg, dire que j'ai baigné là dedans il y a 20 ans). Et puis cette façon qu'il avait de partir de Husserl et Heidegger pour les concurrencer sur leur propre terrain. Un peu pathétique. Reliquat du temps où la philosophie régnait en maitre (en maîtresse ?) sur les classes littéraires. Ce livre est daté.
Comme sont datés les films de la série Magnum que je regarde le soir avant de m'endormir. Ces scènes de violence si stylisées, ce machisme de pacotille, avec du romantisme facile, chronique d'un sexisme ordinaire. Tout cela sentait encore son petit univers bien ordonné encadré par les valeurs scolaires (celles du majordome anglais). Vraiment un autre monde.
Aujourd'hui je lis dans l'Express (sur Internet) des horreurs sur les jeunes ados qui demandent aux filles de leur envoyer des photos d'elles nues. On avait la même chose hier dans Le Monde. Encore l'attendrissement des journalistes sur le sort des filles est-il sans doute un fait de génération (l'influence de Magnum), parce que dans la réalité la jeune gent féminine n'est sans doute pas en reste pour elle aussi renverser les tabous, si j'en juge par ce que je vois sur Facebook.
Ce qui frappe surtout en ce moment c'est l'abandon généralisé des références culturelles classiques. En 1989 on jouait encore avec elles. En 2009 on les ignore complètement (c'est ce qui permet aux articles d'une Hassina Méchaï de ressortir par effet de contaste). Or on y perd. Et beaucoup. Notamment en recul à l'égard du réel. Nous souffons tous d'un excès d'émotivité dû au manque de culture. Tout devient hystérique en nous, parce que nous perdons le sens du style, et cela est vrai parmi les partisans du système comme chez ses adversaires (voyez par exemple certains articles délirants sur les "mensonges de la grippe A", presque aussi stupidement excités que le martelage dans l'autre sens, sur le même thème, par le journal de 20 h).
Naguère on s'appliquait à contrer la culture dominante. Maintenant ça n'a plus de sens. Puisqu'il n'y a même plus de culture nulle part (au sens où on l'entendait autrefois). C'est vrai particulièrement dans le domaine de l'écriture qui n'est plus qu'informative. Même ceux qui écrivent des romans ne cherchent qu'à "informer" les autres de leur imaginaire (voire de leur propre vie). Mon éditeur me disait hier que pour un manuscrit de sciences humaines il en recevait 10 de littérature (roman, poésie). Chaque petit égo doit cracher son petit sperme littéraire. Pauvres éditeurs !
Mais la nostalgie ne sert à rien. Et puis cette vieille culture c'était largement de la fausse monnaie indexée à des valeurs de hiérarchie sociale, à des prétentions spiritualites aussi (l'héritage chrétien). Il fallait l'amender de toute façon. L'était-elle ans subir un bazardage complet ? Je ne sais.
Pour ma part j'ai écrit (et publié) un roman. Il n'y en aura jamais d'autres, malgré certains éloges qu'il m'a valu.
Je voudrais tirer toutes les conséquences de la mort de l'écriture en ne postant plus sur ce blog que des vidéos. Qu'en dites vous ? Tous les jours je me filme parlant d'un sujet pendant 10 mn, je le poste sur You Tube puis sur ce blog. Une manip' un peu lourde, mais pourquoi ne pas essayer ? Mieux encore : il faudrait que vous me donniez un sujet chaque jour. Ca me donnera encore plus envie d'en parler. C'est trop vous demander n'est-ce pas ? Vous aimez tant, chers lecteurs, la passivité et le zapping... Allons relevez le défis ! envoyez moi des sujets, n'importe lesquels : Brejnev, Kierkegaard, le sextoys, les feuilles de menthe, les poils de chats, n'importe. Donnez moi des sujets, je vous ferai la causette. Ainsi nous cesserons de mobiliser de l'écriture pour rien.
Abandonner les stratégies

J'aurais plutôt dit : "Chaque centaine de livres vendue est une victoire". Mais je sais que c'est lui qui a raison. Je raisonne en stratège. J'ai des ambitions décalées par rapport au réel.
Quand je vois les gens dans le métro jouir tranquillement d'une conversation téléphonique, de la lecture d'un journal, je me dis que je devrais faire comme eux. Arrêter de courir après des projets stupides. Porter un regard d'écrivain sur le monde. Sur le millier d'amis du "réseau Atlas alternatif" sur Facebook, 80 ont annoncé qu'ils viendront à la Fête de l'Humanité dimanche pour ma séance de dédicaces, 170 ont dit "peut-être". Je devrais tranquillement décortiquer les fiches de ces gens, surtout celles des jolies femmes, et me réjouir à l'idée d'échanger quelques mots avec eux entre deux verres de mojito, sans me soucier déjà du prochain livre à paraître, du prochain mouvement politique à construire. On n'a qu'une vie après tout.
Les "dingues de l'écriture"
C'est marrant - dans l'Occident démocratique devenu "néolibéral", les gens qui écrivent sont devenus comme les cathos intégristes, les buveurs de bière, les fétichistes du pied et les collectionneurs de timbres : une association, une "communauté" parmi d'autres. Plus rien de sacré là dedans (je me rappelle les textes ennuyeux de Walzer sur cette cohabitation des inclinations dans la diversité libérale). L'écriture n'est plus qu'une marotte, une perversion de "dingue" même. Tout cela devient d'un ennui infini... à hurler... En ce siècle il n'y aura plus de Gide, mais il y aura des Lafcadio, je le crois bien.
J'ai reçu le programme du salon du premier roman de Draveil en novembre. Beaucoup de gens qui y sont allé disent qu'ils y furent traités comme des princes. Je crois bien que c'est le cas au vu de ce que je lis dans cette lettre. Peut-être les jeunes romanciers y éprouvent-ils pour la première et dernière fois de leur vie ce à quoi les écrivains de la jet set ont droit toutes les semaines pendant des années.

The unbearable lightness of being
Souvenir de l'accueil triomphal que nous réservâmes à Dubcek en 1990 à l'amphi Boutmy. Nous aimions tant la Tchécoslovaquie. Dans la décennie qui suivit je rencontrai pas mal de gens, des femmes surtout, que ce film avait marqué.
Pourtant je ne peux m'empêcher de voir dans ce goût que nous eûmes pour lui un des aspects supplémentaires de l'arrogance bourgeoise. Aujourd'hui au nom de l'Insoutenable légèreté de l'Etre, Prague est devenu un parc à touristes odieux, à ce qu'on dit. Les ouvriers tchèques, ou ce qu'il en reste, dépités continuent à voter pour le parti communiste qui est un des plus florissants d'Europe centrale. Maintenant quand je pense au mai 68 tchèque, ma sympathie va aux braves soldats ouzbeks et ukrainiens envoyés en Bohème au nom de l'internationalisme socialiste plus qu'aux jeunes tchèques amateurs de jazz, même si j'admets qu'en la matière au fond aucun des deux camps n'avait tout à fait ni raison ni tort.
Je ne sais pas si nous avons eu raison d'aimer ce film. Les "révolutions colorées"d'Europe de l'Est depuis 2000 jettent une étrange lumière sur lui. A part ça quid de sa morale sexuelle ? Je me souviens de la phrase du film reprise du livre : le héros qui se demande s'il avait raison de rester avec Teresa estime que pour en juger il devrait pouvoir connaître toutes les vies possibles avec toutes les autres femmes. A ce prix là seulement il eût pu évaluer le bienfondé de son choix. Il y avait chez Kundera comme chez Montaigne un vertige des possibles qui se résolvait en une sorte de conservatisme épuisé Quelque chose de leibnizien aussi, dans un sens, et qui ne m'est pas étranger, à ceci près qu'avec l'âge on finit par se persuader de ce que tous les possibles se valent. Il faut s'en défendre, en matière de coeur comme en matière politique. C'est peut-être le choix final du cinéaste du reste quand il fait périr ses protagonistes au faîte de leur hymen. La légèreté interdit la résignation. Reste à la concilier avec le sens des responsabilités... Affaire de dosages...
Delenda Carthago est
Je repensais à l'article d'Hassina Méchaï ce matin. Il me semble que c'est faire beaucoup d'honneur à Mme Cinton et M. Obama que de les comparer à Caton le Censeur. Si je me souviens bien la phrase de Caton fut prononcée dans le cadre de la troisième guerre punique. Carthage ne représentait plus une menace pour la République romaine comme elle l'avait été par le passé (de mémoire les troupes de Carthage avaient été aux portes de Rome, et une bonne part de la noblesse romaine avait été massacrée dans un bataille au nord de l'Italie). Mais pendant longtemps on avait cru que Carthage et Rome ne pouvaient construire leur puissance commerciale que l'une au détriment de la survie de l'autre. La paranoïa romaine n'était pas complètement infondée (quand on se souvient de la trace dans l'inconscient collectif de a mise à sac par les Gaulois). Si l'Iran avait, dans les années 60 ou 70, assiégé Washington et massacré des parents, oncles ou tantes de M. Obama ou Mme Clinton, leur obstination à désarmer ce pays se comprendrait plus aisément. Mais notre impérialisme à nous occidentaux est bien plus inhumain que celui de la vieille Rome. Il ne se nourrit d'aucun instinct de survie. Seulement d'une intolérance à l'égard de tout ceux qui ne nous vénèrent pas.
Des femmes utiles à notre époque

Pourtant ce matin, je n'étais pas parti pour citer cette publiciste (dont à ma grande honte j'ignorais même le nom). Je voulais vous dire un mot de ma correspondante italienne qui découvre une université très à gauche du Nord-Est des Etats-Unis, et me dit que sur la Côte Est, les directeurs de thèse font la bise aux doctorants pour faire plus "européens".
Je voulais aussi vous parler de mon amie Sophie qui est éducatrice spécialisée et qui encadre des adultes mentalement très attardés.
L'accompagnement des familles qui sont touchées par ce handicap est essentiel. Il nous faut les soutenir, les rassurer, les aider à accepter l'inacceptable: à savoir que leur fils, fille, certes est adulte, mais n'atteindra jamais plus que l'autonomie d'un enfants de 3 ans (pour les plus chanceux!). La moyenne d'âge mental de la population que j'accompagne, ne dépasse généralement pas les 6 mois, 1 an. Souviens toi de ton fils à cet âge là et transpose le tout sur des adultes et tu auras une image assez proche des personnes que je prens en charge.
Ce métier n'en demeure pas moins formidable. C'est un remède absolu contre la grosse tête. En effet, ce qui peut convenir un jour, en terme de prise en charge, peut ne pas convenir le jour suivant. Il faut donc se réinventer sans cesse, se réinterroger, trouver ce qui aidera le patient à aller mieux. Parfois, plus rien ne marche...et cela nous rappelle que l'on ne peut "sauver" tout le monde...que la toute puissance n'existe pas dans notre domaine. C'est à ce moment là que l'on sait si on est fait pour ce métier... ou pas."
Sophie a toujours été une littéraire. Elle devrait écrire sur sa profession.
"Disperser le pouvoir" de Raúl Zibechi
