Soirée Abkhazie à l'ICD
Moi je pense à mon livre sur l'Abkhazie, celui que je suis en train d'écrire. Les gens qui sont là sont mon public naturel (l'ex diplomate ne m'a t il pas demandé d'ailleurs où il peut acheter mon livre sur la Transnistrie ?). Mais je sais qu'il ne peut plaire ni aux Abkhazes, ni aux Russes, ni aux Géorgiens. Il ne peut en fait plaire à personne, pour une bonne et simple raison : ce n'est pas un livre d'expert. J'ai souhaité qu'il ne le fût point. Il faut réintroduire de la littérature là où il y avait de la pseudo-expertise. Si possible de la bonne, façon Voyage au Congo de Gide, à la rigueur de la médiocre. Mais halte à l'expertise ! Le réel ne peut être découpé en messages calibrés pour cénacles de gens raisonnables. Ca n'a absolument aucun sens. Je préfère n'avoir aucun lecteur plutôt que d'écrire un livre raisonnable.
En réalité je suis tiraillé entre deux contraintes : une volonté de réhabiliter le style littéraire (et sa liberté) dans l'approche de l'histoire contemporaine, un devoir de délivrer magré tout des informations rigoureuses sur les conflits décrits (question de responsabiité et de respect à l'égard des protgonistes). Je ne sais pas trop comment tenir un équilibre.
Howard Zinn est mort hier
Deux histoires de la banlieue et autres nouvelles politiques
Dans ma ville de la banlieue nord, qui n'est pas très loin du Blanc Mesnil, il y a quelques jours je suis arrivé à l'arrêt de bus. Un type m'a dit que le bus n'était pas encore passé. Quand il est arrivé au bout de 5 mn il ne s'est pas arrêté, laissant plusieurs personnes attendre à l'arrêt. Il a est allé se garer 100 mètres plus loin pour une pause d'une demi heure (il y a un bus environ toutes les heures à cette heure là).
Ce n'est pas la première fois. Un chauffeur qui refuse de s'arrêter, c'est une type qui vous méprise, un micro-événement qui vous rappelle que de toute façon tout est "glauque", rien n'avance, que les gens ne se respectent pas, que c'est l'impasse de la banlieue nord, la petite vie tout le temps, loin des centres du pouvoir. Inutile d'appliquer une lecture sociologique en termes de luttes des classes. Le chauffeur est souvent du même milieu que le type qui va lui casser la gueule. Des coups vaches entre petites gens.
Comme moi, je sais écrire, j'ai préféré signaler l'incident au syndicat des transports. Celui-ci m'a renvoyé vers un prestataire privé qui administre la ligne concernée. Là, j'ai ressenti comme une hésitation. Je sais que le prestataire en question n'est pas plus honnête que son chauffeur négligeant. Puisqu'il gère à des fins d'enrichissement privé un service public qui devrait être aux services de tous. Le vice ne peut enseigner la vertu au vice. C'est le serpent qui se mord la queue. La politique libérale immorale rend impossible tout rappel à l'ordre moral.
Autre histoire de banlieue, pas très loin du Blanc Mesnil à Drancy un "commando" de 80 personnes s'est introduit dans la mosquée de Drancy (Seine-Saint-Denis) et a proféré des menaces à l'égard de l'imam, lequel a accueilli le CRIF dans sa moquée il y a peu, et soutenu le projet de loi contre la burqa. Là encore devant un incident pénible, on ne peut que réfléchir au rôle des pouvoirs publics, et constater que leur action réduit toujours plus les chances d'apporter des solutions. Pourquoi avoir laissé deux rustiques députés (rustiques est un euphémisme) accaparer le champ médiatique avec un sujet (le voile intégral) qui concernait à peine quelques dizaines de femmes, et sur lequel on ne peut manifestement avancer que par le dialogue et la pédagogie ?
Voilà synthétisés en deux anecdotes les problèmes de nos banlieues : un enlisement dans la médiocrité économique et la médiocrité éthique entretenus par la logique libérale, la concurrence des territoires, et le libéralisme (un démographe me disait il y a peu que les pôles de développement économique en Seine Saint Denis n'ont aucunement profité aux quartiers populaires) ; une islamophobie offensive devenue le vain cache-sexe d'une république en panne de message émancipateur, qui encourage l'opposition entre un clergé soumis aux relations cliéntélistes et de extrémistes qui accaparent le désarroi identitaire de la jeunesse. Voilà qui n'est pas bon du tout.
M. Chevènement sur son blog ces derniers jours tient des propos très censés sur l'atteinte au cadre territorial par le réforme Sarkozy, et sur la mauvaise foi de Jospin dans ses récentes déclarations autour de son livre. Même si l'on peut reprocher au vieux sénateur certaines de ses rigidités sur la conséquences du colonialisme, son attachement à ce que la République porte de progressiste reste constant, et sa position sur le voile intégral est plus raisonnable que celui de M. Mélenchon : M. Chevènement ayant au moins la sagesse de constater que l'arsenal juridique actuel suffit à combattre les inconvénients de ce vêtement, sans qu'il faille recourir à une stupide loi propagandiste.
Pour compléter ce chapitre politique, notons que l'assiduité des 8,8 millions télépectateurs à recueillir le verbe divin de notre inénarrable président dans leurs trompes d'Eustache, ainsi que leur taux de satisfaction (40 % incompressibles), confirme mon propos récent sur l'aliénation de nos compatriotes. Heureusement que M. Le Boucher nous rappelle que M. Sarkozy est un gaulliste...
Enfin pour ceux qui aiment Haïti et s'interrogent sur sa brillante contibution au renversement de son gouvernement légal aux côtés de M. George W. Bush, je recommande la lecture du blog de Claude Ribbe, avec une serie de témoignages dont le dernier en date est ici.
Il n'y a pas qu'Hypatie dans la vie !
Après avoir vu le film Agora, je puis vous le confier : il y a aussi Hipparchie (Hipparchia), que j'admire bien plus !
Voici ce que Diogène Laërce en dit (je reprends la traduction de Robert Genaille de 1933 en la rendant un peu plus réaliste sur certains points clés) :
"Les discours de ces philosophes convertirent encore la soeur de Métroclès, Hipparchia. Comme lui, elle était de Maronée. Elle s’éprit si passionnément de la doctrine et du genre de vie de Cratès qu’aucun prétendant, fût-il riche, noble ou bien fait, ne put la détourner de lui. Elle alla jusqu’à menacer ses parents de se tuer si elle n’avait pas son Cratès. Cratès fut invité par eux à la détourner de son projet : il fit tout ce qu’il put pour cela, mais finalement, n’arrivant pas à la persuader, il se leva, se dépouilla devant elle de ses vêtements, et lui dit : « Voilà votre mari, voilà ce qu’il possède, décidez-vous, car vous ne serez pas ma femme si vous ne partagez mon genre de vie. »
La jeune fille le choisit, prit le même vêtement que lui, le suivit partout, fit l’amour avec lui en public, et alla avec lui aux dîners. Un jour où elle vint à un dîner chez Lysimaque, elle confondit Théodore, surnommé l’Athée, par le raisonnement suivant : « Ce que Théodore ferait sans y voir une injustice, Hipparchia peut aussi le faire sans injustice. Or Théodore peut se frapper sans dommage, donc Hipparchia, en frappant Théodore, ne lui fait aucun dommage. »
L’autre ne répondit rien, mais lui enleva son vêtement. Mais Hipparchia n’en fut ni frappée, ni effrayée, bien que femme. Et comme il lui disait : « Qui donc a laissé sa navette sur le métier ?» elle lui répondit : « C’est moi, Théodore, mais ce faisant, crois-tu donc que j’ai mal fait, si j’ai employé à l’étude tout le temps que, de par mon sexe, il me fallait perdre au rouet ? »
On raconte encore bien d’autres bons mots de cette femme philosophe.
Bon, il faudrait quelques soustitres, comme toujours quand on parle de l'Antiquité. Les "dîners" sont les sumposion (cena en latin), véritables institutions publiques réservées aux hommes. Faire l'amour en public et aller au sumposion est aussi sacrilège (comme se masturber et manger dans la rue, comme le faisait Diogène). Le "vêtement" d'Hipparchie qu'enlève Théodore est le manteau des cyniques qui était leur unique accoutrement. La philosophe assume la nudité publique comme le lui dicte la doctrine cynique. La question "qui donc a laissé sa navette" est une citation d'Euripide. Parce qu'on a beau être un abominable machiste comme Théodore l'Athée, on n'en est pas moins fin lettré. Il faut l'être de toute façon pour être admis à la table de Lysimaque, général d'Alexandre le Grand devenu gouverneur de Thrace. Car en effet tout cela se passe en Thrace... longtemps, longtemps avant la naissance d'Hypatie - à la louche six siècles plus tôt...
Gloria Inés Ramírez Ríos et les réseaux alternatif
Je ne sais pas où est Bucaramanga, ni de quel pays Mme Ramírez est sénatrice. Je me renseigne. Je découvre sur Wikipedia que c'est une éducatrice membre du parti communiste colombien. C'est un peu court pour se faire une opinion.
La Colombie est typiquement le genre de pays sur lequel on voudrait être honnêtement informé : troisième destinataire de l'aide militaire américaine, Obama va y construire de nouvelles bases qu'on présente comme des avant-postes d'agression contre le Vénézuela et de conquête de l'Amazonie. En 2006 c'était le premier pays au monde pour les assassinats de syndicalistes. On aurait tendance à penser que là bas un bon leader anti impérialiste est un leader mort, ou alors un leader qui a rejoint la guérilla des FARC. Y a t il encore des sénateurs communistes"honnêtes" dans ce pays ?
En me posant ces questions, je me dis à nouveau qu'il est dommage que nous n'ayons jamais pu constituer un réseau d'info alternative dans la sillage de l'Atlas alternatif. Comme dans les milieux politiques anti Union européenne (UPR, DLR, Parti des travailleurs etc), comme dans les milieux anti-néo-libéraux (NPA, PCF, etc), comme au sein du PC lui même (voir la déclaration de Gérin dans Le Monde "je ne prends plus mes ordres au Colonel Fabien", ce qui est en effet le cas de tous les élus), les milieux d'info alternative sont très divisés, chacun cultive ses choux dans son coin et l'info reste fragmentaire. A un ami qui voulait faire une fondation d'information alternative Jacques Sapir aurait répondu : si vous n'avez pas un million d'euros pour le faire, ça ne servira à rien.
Donc aucune fondation crédible ne peut nous renseigner sur l'échiquier des forces de gauche en Colombie (pas même le Monde Diplo, qui n'a pas toujours une grille de lecture très rigoureuse sur les forces anti-système, voir ce que Badiou en disait à juste titre dans Le Siècle).
Dans le même ordre d'idée un ami m'écrivait ce matin : "Un correspondant m'envoie un article ukrainien assez bien documenté en apparence, selon lequel des agents (nommés et retracés dans l'article) de la sécurité d'un pays allié des Etats-Unis que l'article nomme ont été envoyés en Ukraine suite à un accord avec Timochenko (les sources de cet accord proviennent d'opposants du pays en question infiltrés dans le pouvoir) pour que le second tour soit caractérisé par des provocations qui rendraient l'élection de Yanoukovitch impossible. Cet article sera publié en Pologne et en Allemagne et mon correspondant me demande si cela n'intéresserait pas un média français (de nos amis) ?"
Nous n'avons même pas un bon réseau pour faire circuler cette info auprès de relais vraiment utiles.
Bilan d'activité de la semaine
J'ai continué à travailler sur le livre sur l'Abkhazie cette semaine en interviewant un correpondant géorgien. Je suis résolu à produire un livre équitable sur ce dossier. C'est curieux, je viens de me souvenir d'un mail où Régis Debray m'avait qualifié d' "équanime" sur les Balkans. Mais je pense qu'il voulait dire "équitable". Ce n'est pas le seul mot sur lequel je l'ai vu trébucher. C'était il y a longtemps.
A part ça, je prépare tranquillement la tombe de mes bouquins tout comme la tombe de mes activités sur Internet. Après tout, je sacrifie déjà suffisamment au bien public de par mes activités professionnelles de conseiller auprès du maire de Brosseville (où nous mettons en oeuvre des projets intéressants au profit des jeunes des quartiers populaires). Pas besoin de perdre en plus du temps sur la toile où il ne se passe somme toute rien de bien stimulant.
Histoire de France
Je me faisais cette réflexion en regardant la vision de l'histoire que propose l'anti-européiste François Asselineau. C'est peu dire que son exposé sur le devenir de notre pays est daté. Il est même hanté par le refus obstiné de lire les découvertes des historiens contemporains, délibérément figé dans le 19ème siècle, toute cette vulgate stérile qu'on nous enseigna à l'école primaire sous Charles de Gaulle ou peu après sa mort. Pourquoi ce dogmatisme ? Pourquoi cette crainte du réel ?
Non M. Asselineau, la Gaule n'était pas cette France en gestation que vous vous figurez. Lisez Goudineau qui lui même ne fait que synthétiser un grand nombre de monographies des dernières décennies. Des Gaulois il y en avait de l'Armorique à l'Asie mineure. Il y avait peut-être un sentiment celte commun ("celte" étant la version grecque du mot latin "gaulois"), mais personne ne sait guère sur quel mode ni de quelque façon. En tout cas cette Gaule crypto-hexagonale de nos manuels scolaires est une plaisanterie. Exclure de notre vision de la Gaule l'Italie du Nord, la Hongrie, l'Anatolie centrale (le pays des Galates), au nom de quoi ? Et puis on ne dit pas des "tribus" pour des peuples qui occupaient de régions entières comme l'Auvergne (les Arvernes) ou la Bourgogne (les Eduens). Laissons ce vocabulaire aux auteurs du 19ème siècle. Les Romains et les Grecs avaient des termes très approximatifs pour désigner les groupes humains, inutile de traduire leurs mots par les vocables les plus péjoratifs de notre propre lexique. Et puis et puis, oui, je suis tout à fait la démonstration de Goudineau quand il dit que la Gaule telle que nous la voyons aujourd'hui est largement une invention romaine. Bien sûr dans l'Antiquité personne n'avait une vision claire du contour des pays des Gaulois (d'autant qu'aucun cartographe méditerranéen ne s'était aventuré au nord du Rhone et du Danube. Alors les Romains, en fonction de leurs propres calendriers de batailles, on fait leurs découpages. La Gaule Cisalpine, la Gaule Narbonaise, la Transalpine. Ils l'ont arrêtée sur le Rhin en fonction de l'intérêt qu'avait César de se présenter comme un rempart anti-Germain aux yeux des Gaulois, tout en sachant que des Celtes, il y en avait bien au delà. Jusqu'à Belgrade...
Et oui, la Gaule était traversée d'influences méditerranéennes. Certes comme le dit Asselineau, César a sans doute corrompu délibérément quelques élites gauloises. Mais cela faisait bien longtemps que beaucoup de nobles gaulois étaient "pro-romains". Sait-il, M. Asselineau que les troupes de Gabinus dans les années 60 av. JC (avant la conquête de la Gaule transalpine) qui maintiennent l'ordre à Alexandrie sont largement composées de cavaliers gaulois ? Les Gaulois de Provence sont de fervents admirateurs de la culture grecque massiliote, et tout le sillon rhodanien est marqué par les influences gréco-romaines (pas étonnant que les Eduens au nord de Lyon aient le titre d' "amis du peuple romain" et sollicitent l'aide du Sénat). Comme le dit Paul Veyne, à cette époque là, la civilisation hellénistique (dont Rome est un prolongement) incarne la modernité. Tout le monde autour de la Méditerranée, de Carthage à Damas en adopte le style, parce qu'on l'identifie à une forme de progrès de l'humanité. Et donc naturellement les Gaulois les plus au contact des Romains et des Grecs les admirent. Tout comme les Scythes admirent les Grecs de Panticapée en Crimée et les copient, ou comme beaucoup de peuples de Bactriane sont "philhellènes" comme on disait à ce moment là (amis et admirateurs des Grecs). Tout cela est dans l'ordre des choses. Il n'y a pas de Gaule "gaulliste" et anti-impériale. Il y a peut être à un moment donné un chef insurgé (Vercingétorix) comme il y en eut dans beaucoup de peuples, petits ou grands. Mais il est vraisemblable aussi - Goudineau a raison - que César ait gonflé le rôle de ce chef arverne, à un moment où il devait grossir ses mérites de guerre devant un Sénat romain inquiet de la prorogation de son imperium, et qui avait hâte de désarmer ses légions.
Je ne suis pas d'accord avec Goudineau sur tout. Je trouve notamment, qu'il devrait, sur l'Aquitaine, intégrer davantage les travaux d'historiens basques qui rappellent que cette région était bien moins celte (et donc bien moins gauloise) que ne le voulut la tradition du 19ème siècle (de là à dire, comme certains nationalistes basques, que l'Aquitaine romaine n'était qu'une composante d'une vaste Vasconie qui s'étendait jusqu'à l'Ebre, il y a un fossé que je me garderai bien de franchir !).
Mais Goudineau, au diapason de beaucoup d'autres, a le mérite de nous sortir des mythes franco-français les plus absurdes. La Gaule n'est pas plus "exceptionnelle" qu'aucun autre espace géographique de l'Antiquité. S'il devait y avoir un espace plus exceptionnel à la rigueur; ce serait la Germanie. Car à l'époque d'Arminius elle fut la seule à pouvoir faire reculer le pouvoir romain qui l'avait conquise, et ce malgré un fort investissement en légions de la part d'Auguste. On peut dire aussi que la Crimée ou des peuples du Caucase se sont affranchis de Rome à divers moments mais Rome n'a pas fait de grands efforts pour les garder. La Gaule ne s'est pas affranchie de Rome, et dans un sens, c'est à son honneur, car cela signifiait son intégration dans les réseaux d'échange méditerranéens. Elle y a incontestablement gagné.
Si vous voulez vous amuser deux secondes, lisez cette attaque chauvine contre Goudineau. Elle ne brille en tout cas pas par son respect de la liberté d'enseigner ni par son respect pour le collège de France... Le plus injuste dans cet article est qu'il laisse entendre que Goudineau minimise les crimes de guerres romains en Gaule. Or c'est tout le contraire, jamais je n'ai mieux compris à quel point la conquête militaire avait détruit ce pays qu'en découvrant dans César et la Gaule de Goudineau les évaluations des morts, des blessés, et surtout des ventes d'esclaves. Mais on peut déplorer la brutalité de l'opération militaire tout en reconnaissant que son résultat (l'inclusion de la Gaule transalpine dans l'empire romain) allait dans le sens d'une intégration de ce pays aux circuits d'échanges méditerranéens, intégration déjà amorcée depuis plus d'un siècle et qui ne lui a apporté que des progrès sur le long terme - introduction de nouvelles cultures comme la vigne, de l'alphabet, disparition des sacrifices humains etc.
Donc M. Asselineau a tort. Il a tort aussi sur Clovis évidemment. A trop nous ressortir le catéchisme de notre enfance, il oublie l'essentiel : que les Francs étaient un peuple lié à Rome par un traité d'amitié (feudus), chargé de défendre la frontière (limes) contre des peuples plus orientaux, et donc influencé par la culture romaine. Que le ralliement de Clovis au catholicisme était inespéré pour l'Eglise romaine car tout le reste des l'Occident était sous la coupe de Germains ariens (les Goths et les Vandales). L'image du Clovis-De Gaulle (comme le Vercingétorix-De Gaulle) adversaire des empires en prend un coup, parce que c'est Clovis qui aida à la restauration de l'empire universel ecclésiastique (et "papiste" diraient les protestants), que le règne des Goths aurait pu mettre à mal. Lisez là dessus l'Histoire de la chrétienté d'orient et d'occident de Jacques Brosse.
Bref je ne comprends pas ce refus de lire les historiens contemporains que manifeste Asselineau, la complaisance à rester dans l'enseignement d'autrefois complètement décalé par rapport à tout ce qu'on peut savoir du réel. Pourtant seul le réel est intéressant, seule sa connaissance permet de fonder des projets politiques féconds. Mais notre époque ne trouve aucune voie entre le vide intellectuel complet et le dogmatisme passéiste.
Ré-enchantement du monde
La camarade Méchaï (la future Catherine Samary du 21ème siècle) rappelait dans un article récent que "les relations internationales telles qu’elles sont dites par les médias sont le lieu privilégié du "réenchantement " du monde ".
Le propos se vérifie pleinement en ce qui concerne les Etats autoproclamés. Je commence à lire le court livre de Léon Colm "Improbable Abkhazie", que j'aurai l'occasion sans doute de commenter dans mon propre ouvrage. Je tombe sur cette phrase p. 6 "Vue comme un régime criminel, pire comme un no man's land, l'Abkhazie vit dans une fussure de notre géographie politique. On ne la connaît pas, on en présume le pire".
C'est ce "on en présume le pire" qui me froisse et qui me rappelle un peu le livre de Deleu sur la Transnistrie. Pourquoi ce besoin d'emblée de "présumer le pire" à propos d'un Etat non reconnu ? Il faut que ce soit pour les gens comme une côte des pirates, comme la Cilicie au temps de Pompée, ou des îles perdues dans les Caraïbes de l'époque des corsaires... Voilà typiquement une façon de "réenchanter le monde" à peu de frais.
Peut-être parce que j'ai été vacciné par la Transnistrie (et auparavant par la Serbie, diabolisée quoique non autoproclamée) l'idée que l'Abkhazie pût être un pays à propos duquel il faut "présumer le pire" ne m'a jamais effleuré l'esprit avant que je prenne l'avion pour m'y rendre, et encore moins bien sûr quand j'y étais. Comment peut-on supposer ce genre de chose ? Partout les gouvernements sont soumis aux mêmes contraintes : il faut nourrir une population, lui apporter des réseaux d'adduction d'eau, la débarrasser de ses ordures. Partout la condition humaine est éminemment prosaïque, et pèse sur les décisions politiques dans le sens de la plus plate rationnalité. Seuls les trop grands consommateurs de films américains peuvent croire qu'il existe des pays extraordinaires où tout marche sur la tête. Le fait que partout (et même en Corée du Nord je parie) l'on capte les mêmes satellites offrant le même genre de pub pour le même genre de savonnette à quelques détails près, concourt davantage encore à rendre chaque pays, même autoproclamé, hautement prévisible.
Mais, c'est vrai, Méchaï a raison : l'on réenchante, on ne cesse jamais de réenchanter. Je songe souvent à cette remarque de Paul Veyne selon laquelle, à l'époque de Sénèque, il était obligatoire pour tout esprit distingué d'avoir un avis sur le moyen d'atteindre la paix de l'âme, tout comme aujourd'hui il est obligatoire d'avoir un avis sur les relations internationales. Voilà qui est très vrai. Vous souvenez vous combien dans le Journal de Bridget Jones l'héroïne paraît stupide quand, assise à une table londonienne branchée, elle ne trouve rien de pertinent à dire sur la guerre de Bosnie ? Les relations internationales sont le nouvel espace de projection de nos valeurs métaphysiques (et d'affirmation de notre "leadership moral" comme vient de dire M. Obama après avoir envahi Haïti). Il est donc normal que tout y soit "enchanté" et magique...
L'enchantement est enraciné dans le point de vue des dominants. Mais il l'est aussi chez les opposants. Des milieux diplomatiques du tiers-monde diffusent en ce moment un texte de Chevige González Marcó, qui attribue la paternité du tremblement de terre d'Haïti aux Etats-Unis via le système de radar Haarp ! J'ai dénoncé ce délire quand on l'appliqua dans les mêmes termes au tremblement de terre chinois le 4 juin 2008 exactement. Mais les fables ont la vie dure. Une camarade américaine me faisait remarquer cette phrase dans l'article de González Marcó : "Los Haarp potencialmente tendrían también la capacidad, de desintegrar objetos, generar combustiones espontáneas e inducidas..." Ben voyons...