"Le lièvre de Patagonie" de Claude Lanzmann
Je lis en ce moment les mémoires de Claude Lanzmann, l'ami de Sartre et amant de Simone de Beauvoir (et auteur de Shoah). C'est comme une lettre écrite d'un passé très ancien. Elle m'a rappelé ces femmes que j'ai aimées à 27 ans (en 1997) et qui avaient 15 ou 16 ans de plus que moi. Elles avaient connu Saint germain des Près des années 70. Elles avaient été les héritières de celui de Sartre, comme j'avais été l'héritier du leur, en quelque manière. Pourtant moi je n'ai jamais trop accroché à Sartre, malgré une lecture enthousiaste de La Nausée à 16 ans, et une soutenance d'un oral sur l'Imagination en maîtrise de philo. Les anti-sartriens m'ont plus marqué que lui.
Lanzmann ressuscite ce monde de grands intellectuels bourgeois où les mots sont encore beaux, et les sentiments encore nobles. Malgré l'inévitable cruauté qui ponctue les vies amoureuses. Les ombres du passé, la librairie des PUF, celle du Divan. J'aime ce qu'il dit sur sa soeur, son histoire avec Deleuze, sa première nuit avec Beauvoir.
L'individu et le geste (encore...)
Nous avons été aux prises plusieurs fois dans ce blog avec le problème philosophique, esthétique et politique de l'individualité. Le lecteur anonyme JD m'a fait remarquer que je n'ai pas pu tenir jusqu'au bout la ligne "deleuzienne" qui valorise le geste par delà la personne.
Hier soir, je prenais un verre avec Agnieszka R, une chorégraphe polonaise qui apparaît notamment dans le clip ci dessous.
La Pologne avec son catholicisme obstiné, combattant, underground, est un objet mystérieux en Europe, assez peu compréhensible - à la différence de la république tchèque par exemple, si laïcisée, si proche de la France de ce point de vue là, si lipide. Même dans une pensée polonaise laïcisée comme celle de Gombrowicz il y a cette marque du christianisme des confins. Les confins, le limes, les zones frontières entre deux religions (comme dans la Krajina serbe et l'Ukraine - deux mots qui portent le mot slave pour frontière dans leur nom). Ce sont des endroits où l'on ne badine pas avec les principes. Parce qu'on a toujours été structuralement aux avants postes, on ne peut pas ne pas avoir une mentalité d'avant-poste (qui est le contraire d'une avant-garde). L'avant-poste est ambigu : ferment potentiel d'une conquête ou d'une reconquête comme ces armées polonaises qui envahissent la Russie en 1918 ou prêtent main forte à Bush en Irak en 2003, mais aussi toujours susceptible d'être vaincu, submergé, de redevenir "le pays qui n'existe pas". Il y a peut-être encore de cela aussi en Europe dans la Vieille Castille, même si elle a cessé d'être un avant-poste il y a 500 ans.
Je ne voudrais pas trop épiloguer sur le travail d'Agnieszka R, ce qu'il a de polonais ou pas (par exemple dans sa décision d'organiser un striptease au ralenti d'une heure et demi dans un musée, un rapport extrêmement intéressant à la temporalité). Car ce n'est pas le lieu ici d'en parler. Je veux surtout retenir de la soirée d'hier ce moment où nous évoquions les gestes et les sujets des actes (avec une chorégraphe c'était inévitable). Deleuze m'est venu à l'esprit, évidemment. L'artiste (qui connaissait la citation à laquelle je faisais référence) m'a répondu, le regard fixé sur l'horizon : "Oui, mais je le trouve hypocrite. Il a quand même besoin des gens. C'est comme le fait qu'il n'ait jamais franchi les frontières de la France".
Quelques phrases comme ça. Peu de mots. Mais sans doute pas des mots prononcés à la légère. Moi j'essaie toujours de légitimer le fait qu'on ne s'attache pas aux gens, ou qu'on ne voyage pas (comme Kant), au nom de cette vie du concept qui est une autre vie, même si c'est une vie par procuration. J'avance Derrida, la mort dans l'écriture, sur "Otobiographies" de Nietzsche. Agnieszka R objecte avec Bukowski (c'est souvent qu'on me balance cet auteur ces derniers temps). En même temps, elle aussi doit reconnaître qu'elle dissocie les gestes des personnes dans son travail.
On ne sort toujours pas de l'aporie.
Témoignage reçu à propos de la Libye
Un ami m'écrit :
"Je viens de rencontrer hier des amis polonais qui rentraient de Tripoli où ils ont passé quelques jours comme observateurs. Voilà en résumé quelques unes de leurs observations qui sont évidemment très partielles mais donnent un écho différent de celui qu'on entend le plus souvent, et qu'il faut aussi prendre en compte à côté des autres. C'est fourni 'brut de béton" sans aucune opinion personnelle de ma part. Pour essayer de comprendre dans la jungle d'infos contradictoires qui nous tombent dessus :
- ces amis étaient logés dans un hotel au bord de la mer et donc dormaient très mal car il y avait juste à côté d'eux des batteries de DCA qui se mettaient à tirer à chaque passage des avions de la coalition humanitaire, mais ils ne descendaient pas dans les abris car personne à Tripoli ne pense se mettre dans les abris. Ce serait une honte ! La population vaque à ses occupations sans porter attention aux bombardements, inch' Allah...
- La vie à Tripoli est normale comme si le pays n'était pas en guerre. On ne voit à Tripoli centre ville la guerre qu'à la TV, dans le ciel ...et quand on va dans les hôpitaux.
- Le régime organise des manifestations d'appui à Kadhafi (pour les étrangers) qui apparaissent très manipulées. En revanche, il suffit de se promener disent ils dans les rues de la ville ou dans les villages environnant pour voir des gens qui d'une façon ou d'une autre témoignent spontanément de leur appui au régime contre l'intervention étrangère. L'impression générale est que, plus on descend dans l'échelle de la richesse, plus l'appui est fort, plus on monte, moins l'enthousiasme en faveur du régime est débordant. Les officiels de leur côté reconnaissent que si le peuple de l'ouest libyen est largement pro-Kadhafi, les tribus de l'Est, où était implantée l'ex famille royale, sont au moins en partie opposées au régime, et l'ont toujours été en partie. Ils ont tendance à présenter cela comme "Libyens modernes et éduqués" contre "Libyens archaïques et incultes". "islam dynamique" contre "islam conservateur". "nationalisme arabe contre tribalisme", "révolution contre réaction". mais on peut supposer que c'est "un peu plus compliqué que cela"....
- Cela étant, il y a en fait "trois Libyes" : l'ouest qui se bat majoritairement pour Kadhafi, l'Est majoritairement rebelle, et les réfugiés en Egypte de la Libye orientale qui sont dans des camps dont personne ne parle, qui ont fui les violences et répréssions des anti-kadhafi et qui sont pro-kadhafi. Et sur qui Kadhafi compte pour "rentrer" un jour par l'est, avec l'appui des Egyptiens en révolution pour marcher sur Benghazi. Car, selon les kadhafistes, l'opinion egyptienne est majoritairement contre les rebelles et surtout contre l'OTAN, et soutiendra bientôt avec les élections libres le camp "anti-impérialiste". Déjà disent-ils des Egyptiens, et des tribus du côté egyptien de la frontière, aident les kadhafistes à rétablir des réseaux et des groupes armés dans l'est libyen, en particulier dans le desert au sud-est de Ajdabiya.
- Les kadhafistes expliquent leur rapprochement avec les USA après 1991 par le soucis de préserver dans un monde désormais dominé par les USA les "acquis économiques et sociaux" du régime sur le plan intérieur, en renonçant à être présent sur la scène internationale et même arabe, ...mais cela a semble-t-il permis l'émergence d'une bourgeoisie libyenne réellement pro-libérale et pro-occidentale, y compris au sein du régime kadhafiste, qui est la véritable source du conflit actuel et de la rébellion, en liaison avec les royalistes de Londres.
- A Misrata, la vie est disent ils normale, sauf le quartier du port qui est aux mains des rebelles, mais cela ne concerne que quelques rues. La ville est très largement contrôlée par les kadhafistes et les administrations fonctionnent normalement.La TV gouvernementale libyenne a passé en boucle les "images de Misrata" qui passaient sur CNN ...et qui se sont révélées être des images des bombardements de ...Falloujah, en Irak. Ce qu'on pouvait facilement déceler en regardant les plaques des voitures ....incendiées. - Kadhafi n'a pas placé la grande partie de "son" argent (en valeurs occidentales) à l'étranger comme les princes du Golfe, ce qui fait qu'il est toujours en Libye, ce qui garantit aux Libyens qui vivent dans les zones gouvernementales au moins deux ans (en cas de blocus prolongé) de versements des prestations sociales (santé, assurance chômage, allocations familiales, salaires, etc...) versées par le régime à la population ...Dans les zones rebelles, les versements ont cessé et le délabrement du système social, sanitaire et urbain commence ...Kadhafi compte sur la lassitude de la population dans cette zone pour reprendre pied. Il compte sur le développement d'une "opposition à l'opposition" dans l'Est. Certains envisagent de recommencer déjà à verser les prestations sociales dans ces zones ...sous condition d'allégeance politique.
- les kadhafistes reçoivent des armes et des munitions via plusieurs pays africains qui l'aident, ce qui permet de contrebalancer l'effet des aides occidentales aux rebelles. Et les Africains ont très peur que la circulation des armes dans les zones mal gouvernées aux mains des rebelles ne généralisent les groupes armés et mafieux dans tous les pays du Sahel. D'où leur appui à Kadhafi qui a une vraie armée. l'Algérie partage apparemment aussi cette approche, mais c'est le Tchad qui est le plus actif.
- Les kadhafistes soupçonnent les occidentaux de vouloir que la Libye soit durablement divisée en deux parties dans une guerre longue, qui feraient leur affaire en casant durablement le monde arabe. ils ont, pour éviter cela, offert à plusieurs reprises de négocier un gouvernement d'union nationale avec les rebelles. Et ils comptent sur les fissures qui vont apparaître dans l'OTAN pour favoriser ces initiatives. ...en jouant en particulier sur la concurrence entre les grandes compagnies pétrolières, en particulier en Italie et en Allemagne. - Les kadhafites, mais plus largement la population dans la rue, ne semble pas comprendre "pourquoi la France est tombée si bas avec un Sarko "fou" et "guignol de cinéma" ...Le thème de la "folie" des dirigeants de l'ouest semble revenir souvent à Tripoli ...Comme en écho au "fou" Kadhafi présenté par nos médias.
- Kadhafi continue à exporter selon les contrats signés gaz et pétrole vers l'Italie, même s'il n'est plus payé par les Italiens, car il compte sur le fait qu'à moyen terme, l'Italie reviendra sur une position pro-Kadhafi dans le cadre de la rivalité Franco-italienne pour les contrats en Libye et quand elle aura compris que "le régime kadhafi ne tombera pas" ...Apparemment, Ashton aurait dit : "dans un an, nous serons bien obligé de recommencer à négocier avec Kadhafi puisqu'il n'est pas tombé et ne tombera donc pas".
- les négociations sont pour le moment impossibles en raison des divisions dans les deux camps. Divisions chez les Occidentaux, mais aussi chez les Libyens. Chez les rebelles, il y a un conflit larvé entre les ex-kadhafistes qui représentaient le "lobby" pro-occidental dans le gouvernement libyen, ce que reconnaissent les officiels kadhafistes, et les différents groupes dits islamistes qui ne sont pas d'accord entre eux par ailleurs (Iran, Saoudie, salafi, Aqmi, "CIAlqaida" revenus d'Irak, etc...) et les royalistes liés à la Grande Bretagne. ...Mais dans le camp kadhafi il y a aussi des divisions. Seif el islam dirige la fraction prête à la négociation, à un compromis avec l'occident et les rebelles, et à un gouvernement d'union nationale avec kadhafi sur le retrait avec une simple position honorifique de "conseiller", et la faction dure du régime qui veut mener le combat sur tous les fronts possibles, intérieurs et extérieurs, y compris en passant à la guérrilla pour reconquérir les tribus de l'est ...Cette faction s'appuie sur Aicha Kadhafi, la fille du "guide".
- l'armée de kadhafi n'a plus d'aviation mais plus de tanks non plus. Mais pour les combats de rues, c'est la kalachikov et les mortiers qui suffisent, et entre les villes les embardées en pick-up.
- les médecins libyens sont extrêmement inquiets des conséquences des bombardements à l'uranium appauvri pour l'avenir de la santé publique de la population. la véritable bombe à retardement de l'OTAN sur le peuple libyen, toutes orientations politiques confondues, comme en Irak, où les taux de mortalité infantile et de malformations natales chez les sunnites comme chez les chiites, les Kurdes ou les chrétiens, ont déjà atteint des sommets inconnus dans un pays "normal". Selon eux, c'est là que se réalise le génocide réel des peuples arabes, en différé, et inéluctable. Il en est de même à Gaza d'ailleurs (et au Kosovo, Serbie, Bosnie). - les combats ne sont pas très durs dans les faits car, de part et d'autres, ce sont des Libyens, et aucun des deux camps n'a vraiment envie de tirer pour tuer sur ceux d'en face, qui sont souvent des mêmes familles ou des copains de lycée ou de promotion, ce qui explique les va et vient rapides des lignes, et le fait que très peu de soldats sont tués de part et d'autre. On fait beaucoup de bruit et on tue peu. Les militaires kadhafistes, eux même le reconnaissent, ils n'ont pas trop envie de tuer ceux d'en face, qui eux aussi font de même. ...en revanche, ils ont envie de tirer sur les interventionnistes occidentaux et pensent que les simples combattants de ceux d'en face retourneraient leurs fusils contre les occidentaux si ceux ci débarquaient avec des troupes dans le pays ...ce qui explique pourquoi les militaires US ne veulent pas d'autre intervention que aérienne... ce qui en plus garantit une guerre longue, sans camp victorieux. - les conseillers militaires étrangers, surtout russes, ukrainiens et biélorussiens, qui travaillaient pour l'armée libyenne, travaillent toujours. Ils sont (bien) payés par les Libyens. Un salaire nettement supérieur à celui qu'ils reçoivent dans l'armée de leur pays. L'armée n'a pas besoin de "mercenaires étrangers", mais elle a besoin de ces conseillers.
- les kadhafistes préparent une campagne médiatique sur "les meurtres racistes et massifs de noirs, étrangers mais aussi libyens (populations Toubous originaires du sud libyen) qui ont été perpétrés dans la région de Benghazi" et sur les traitements dans les prisons aux mains des rebelles. - les entreprises et les chantiers sont la plupart fermés à cause du départ de la main d'oeuvre étrangère. Beaucoup de boutiques aussi sont closes. Sur le long terme, cela menace l'avenir du pays.
- Beaucoup de Libyens parlent français et s'adressent spontanément aux étrangers dans la rue en français (plus rarement en anglais !). Les gens parlent spontanément aux étrangers et veulent surtout comprendre pourquoi, comme ils disent, "tant de haine en Occident contre le peuple libyen"."
Souvenir de l'école républicaine
Le vendredi 17 octobre 1980, les Etats-Unis sont en pleine campagne électorale entre Reagan et Carter, le pape Jean-Paul II rencontre la reine d'Angleterre et le duc d'Edimbourg au Vatican, et moi, à 10 ans et 21 jours, en classe de CM2 de l'école primaire de Jurançon je réponds aux questions : "Quelle est la vitesse de la lumière ? Où pousse le figuier ? Comment est l'intérieur de la grenade ? Quelle direction au départ de Pau prend un avion qui veut aller en Suisse ? Quels sont les trois âges de la Préhistoire ?" etc. Chaque question est notée et les scores comptent pour le cahier mensuel.
C'est la rubrique "Activités d'éveil".
Aux questions "Que penses-tu des racistes ? Pourquoi ?", je réponds : "Je pense qu'ils ne sont pas sociables et qu'ils sont assez bêtes de tuer d'autres hommes pour leur religion ou pour leur race. Car comme nous sommes en démocratie, il est interdit de le faire, il faudrait qu'ils se mettent à la place de ceux qu'ils détestent" (sic)
Remember Pancevo
Le 21 avril 1999 j'écrivais dans mon journal anti-guerre encore accessible sur le Net :
"Le bombardement du complexe pétrochimique de Pancevo au nord de Belgrade a provoqué l'émanation d'un nuage de gaz toxiques: phosgène [composé chloré gazeux suffocant, a été utilisé comme gaz de combat], chlore, et acide chlorhydrique. Selon le ministère de l'environnement serbe, le taux de substances cancérigènes dans l'atmosphère au dessus de Pancevo était 7200 fois supérieur aux normes. Les ouvriers du site ont dû verser des tonnes de dichloroéthane, cancérigène [liquide irritant, volatile, avec risque de formation de mélanges explosif, polluant aquatique majeur] dans le Danube pour éviter l'explosion. Le fleuve risque d'être pollué jusqu'à la Mer Noire [et pas qu'un peu, la Roumanie et la Bulgarie vont être contentes], de même les nappes phréatiques qui fournissent l'eau courante à Belgrade. La pollution de l'air par les substances cancérigènes s'avère également préoccupante. En outre, selon la BBC l'OTAN reconnaît que des armes contenant de l'uranium (uranium appauvri) sont utilisées sur le terrain, avec les mêmes effets pour la santé des civils que ceux qu'on a connus pendant la guerre du Golfe [L'uranium appauvri, métal très dense, est censé avoir moins d'effet radio-actif que l'uranium naturel, mais les fines particules dégagées lors des impacts et des explosions ou bien la proximité prolongée avec ce métal ont été incriminées dans diverses pathologies] "
Avant hier, Arte consacrait un reportage à l'enfer que vivent les 70 000 riverains de Pancevo (cancers, maladies génétiques)... mais en abordant le sujet comme s'il s'agissait d'une catastrophe naturelle, en oubliant qu'une décision humaine a présidé au bombardement de Pancevo : celle de M. Solana, de M. Westley Clark, et des chefs d'Etat ou de gouvernement - MM. Clinton, Blair, Schroeder, Chirac - qui n'ont pas mis leur véto au sein de l'OTAN comme ils l'auraient dû (Chirac l'a fait seulement pour les ponts de Belgrade). Ces gens là ont la mort des victimes de Pancevo sur la conscience, eux, et les millions de demi-habiles qui, en Europe, ne juraient que par les nouvelles des grands médias traitaient de "rouge-brun" le premier qui osait s'opposer au bombardement de la République fédérale de Yougoslavie.
Normale sup - Voyage en classe intello
Mélenchon à propos de Canto-Sperber et Normale Sup' :
"J’étais dans cet état d’esprit en allant à l’ENS de la rue d’Ulm, que dirige à Paris madame Canto-Sperber. Dans ce haut lieu de l’école républicaine, comment croire que l’on va trouver cette situation. Dix travailleurs précaires de chez précaire. L’une d’entre elles additionne les contrats à durée déterminée depuis dix ans ! Certains n’ont pas duré plus d’un mois ! Et qui couvre ces pratiques ? Qui fait des remarques de caste et de classe à ceux qui argumentent pour améliorer leur quotidien ? Qui refuse toute avancée de la condition de ces gens qui travaillent sans rechigner et assez bien pour être sans cesse réembauchés ? Une directrice qui tient une émission sur l’éthique et signe des tribunes sur ce thème ici et là dans la presse. Duplicité des puissants ! Cruauté de leurs mœurs ! A côté de moi, tandis qu’on cassait la croute ce jour où je faisais une petite visite de solidarité, un gars vraiment bien costaud, grand et bâti comme une armoire à glace. Il me dit d’une petite voix ce qu’est sa vie de précaire à vie. D’abord "j’ai la boule au ventre tous les jours que le chef me dise que c’est fini je ne serai pas repris » « Il vous menace ? » « Non, il me le fait sentir. Si je me plains de quelque chose il me dit que je ne suis pas obligé de rester là ». Ensuite la vie « je n’ai pas de CDI, alors ma demande de logement ce n’est pas possible, ni le prêt à la banque. Mais je viens de me marier, alors c’est dur tout ça ». « Je ne comprends pas. Si je travaille bien pourquoi est-ce que je ne suis pas reconnu ? » Et pour finir, parmi le reste ceci, dit sur le mode de l’évidence résignée. « Le trajet depuis chez moi La Courneuve, c’est long. Et il y a les contrôles à cause des trafics. Parce que moi je suis noir, alors les flics me contrôlent ». Voila, madame, ce qu’est « l’éthique » quotidienne de notre société et des valeurs que vous défendez tous les jours comme libérale."
Ce passage m'a fait penser aux lignes de l'autobiographie de Bourdieu sur les marxistes de Normale Sup des années 50 qui n'avaient jamais parlé avec des prolos.
J'aime pas les artistes
Interview d'Alpha Blondy dans l'Humanité :
"Le 11 avril, Laurent Gbagbo a été arrêté . Etes-vous soulagé ?
Alpha Blondy : Oui. Je suis reconnaissant que, durant son arrestation, aucune atteinte à sa vie et à celle de ses proches n’ait été perpétrée."
Exact, ils ont juste tué son ministre de l'intérieur et violé sa femme. Il y a aussi des ministres dans le coma.
Socialisme et barbarie
(Je dis bien "Socialisme ET barbarie" et non "Socialisme OU barbarie" comme la revue de Lefort et Castoriadis jadis).
Je discutais naguère avec un marxiste sri-lankais qui me disait à peu près ceci : "Je suis très intéressé et même fasciné par le sujet suivant : l'élan révolutionnaire socialiste qui sombre dans la barbarie, dans le nihilisme le plus atroce. Je ne veux pas dire par là comme le prétendent les gens de droite que le socialisme mène nécessairement à la barbarie. Mais nous avons eu beaucoup d'exemples au cours des dernières décennies de mouvements révolutionnaires qui ont fini dans le nihilisme le plus complet : les Khmers rouges, les naxalistes, le Sentier lumineux". Son propre pays a payé un prix lourd pour cette dérive avec le phénomène des Tigres.
Un texte récemment m'a rappelé cette conversation. Un article du journaliste ivoirien Venance Konan qui se plaint de la dérive de Mouammar Kadhafi et de Laurent Gbagbo qui étaient les idoles de sa jeunesse.
Ce n'est pas vraiment le propos central de l'article qui m'intéresse car je ne crois pas que Kadhafi ou Gbagbo soient des illustrations de l'enlisement du socialisme dans la barbarie. Gbagbo n'a jamais été très socialiste, et ni l'un ni l'autre ne sont des nihilistes comme le fure les Khmers rouges : juste des chefs d'Etats autoritaires prêts à employer des methodes musclées pour éviter d'être renversés.
Ce qui m'intéresse dans ce texte c'est ce paragraphe à propos des années 1990 :
"[Kadhafi] était resté celui qui soutenait toutes les révolutions du monde, de l’IRA irlandaise à l’ANC sud-africaine, en passant par le NPFL (Front national patriotique du Liberia) de Charles Taylor et le RUF (Revolutionary United Front) de Foday Sankoh de la Sierra Leone.
Devenu journaliste, j’eus l’occasion d’aller au Liberia et en Sierra Leone. Je n’oublierai jamais «Two For Five», cette jeune fille qui avait combattu pour Taylor et Prince Johnson, célèbre dans tout le Liberia pour sa cruauté et dont l’une des spécialités était de couper les testicules de ses ennemis et de les leur faire bouffer, ni Ziza Mazda, qui mangeait carrément la chair de ses victimes, ni cet enfant que je vis à l’aéroport de Freetown, le jour de mon départ. Il avait les deux mains coupées et me tendait son écuelle du bout de ses moignons.
Les révolutions libériennes et sierra-léonaises ressemblaient à de la pure barbarie. Kadhafi n’avait rien à y voir, mais je me mis à douter de ses choix en matière de révolutionnaires. Le monde occidental le mit en quarantaine et l’Afrique était l’un des rares endroits où il pouvait se rendre."
Ce passage m'intéresse parce que, je dois l'avouer à ma grande honte, je n'avais jamais entendu parler d'aucun des personnages qui y sont cités à part Kadhafi et Charles Taylor. Et surtout je ne savais pas que Charles Taylor avait été inspiré par un élan révolutionnaire quelconque et pouvait donc lui aussi être invoqué à l'appui d'une vaste réflexion sur la dérive barbare du socialisme. Intoxiqué par les médias sur l'Afrique comme je l'étais aussi à la même époque sur la Yougoslavie (avant mon grand éveil de 1998) j'en étais resté à l'idée que sa guérilla libérienne n'était qu'un groupe mafieux inspiré par la soif de pillage. Il y avait donc au début quelque chose au delà de leur violence et de leur sadisme brutal. Il est donc temps de se pencher sur toutes ces affaires et de mener une réflexion sur ce thème de l'articulation entre révolution et destruction qui a tant assombri l'histoire récente du Tiers-Monde sans qu'en Occident nous en mesurions toute la portée...
La polémique entre Le Grand Soir et des proches d'ACRIMED : comment combattre le rouge-brunisme
La polémique qui oppose Marie-Anne Boutoleau et Joe Rashkounine d'une part, au site Le Grand Soir d'autre part (voir ici), pose à nouveau la question du combat contre le rouge-brunisme : où le commencer, où le finir.
Je connais cela depuis 12 ans, depuis mon engagement sur le Kosovo (je vous renvoie à mon récit "10 ans sur la planète"), depuis ce temps où je faisais en sorte que des collaborateurs d'une revue d'extrême droite ne puissent pas signer l'Appel de Bruxelles que nous avions lancé contre la politique de l'OTAN dans les Balkans.
Oui, il faut se tenir loin de l'extrême droite, le plus possible. Ce n'est pas de l'ostracisme. C'est une question de cohérence interne de ce que l'on fait et de ce que l'on dit. Et non seulement de l'extrême droite, mais aussi de ces esprits aventureux qui, inspirés par des valeurs de "gauche " au départ (comme il y en a par exemple beaucoup dans la bande à Dieudonné), se retrouvent ensuite à faire des projets communs avec des gens d'extrême droite.
Ce n'est pas par goût narcissique pour la "pureté" que je dis cela. Mais parce que l'extrême droite vit dans une tournure d'esprit, une fantasmagorie, aux antipodes du rationalisme, et que, si l'on prend ce chemin, on se retrouve très vite dans des délires du type "complot judéo-maçonique", "illuminati" et autres qui sont le triangle des Bermudes de la compréhension des phénomènes sociaux.
Je l'ai déjà dit à beaucoup d' anti-impérialistes sincères : pas de citation de LaRouch par exemple (un complotiste étatsunien) sans avoir recoupé dix fois les informations qu'il donne. Et si ses informations viennent d'ailleurs, autant citer les sources directes et pas ses interprétations hasardeuses. Idem pour ses équivalents français. Toujours garder des repères rationnels, éviter les délires interprétatifs. Qu'on le veuille ou non la culture de la compréhension rationnelle des phénomènes sociaux (et donc des relations internationales qui en font partie) est historiquement à gauche (même si l'on peut reprocher à la gauche de parfois faillir à cette obligation et de s'embarquer dans des spéculations plutôt religieuses comme le marxisme-léninisme, mais refermons cette parenthèse).
Donc oui, le refus du rouge-brunisme est nécessaire. Mais attention à ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain. L'article qui attaque le Grand Soir me semble aller trop loin en accusant aussi de "soutien aux dictateurs" (assimilé, dans leur logique, au rouge-brunisme), la remise en cause du chiffre des "6 000 opposants morts sous les bombes de Kadhafi" qu'on nous sort partout. Si l'on suit cette logique personne n'aurait jamais démystifié la pseudo "opération fer-à-cheval" de 1999 au Kosovo, ni réfléchi sereinement sur les révolutions colorées en Europe de l'Est. Pourquoi n'a-t-on pas le droit de pousser l'analyse jusqu'à remettre en cause les dogmes les mieux ancrés de la propagande de guerre ? Je crois que, pour le coup, les auteurs de l'article vont trop loin dans ce qu'ils reprochent au Grand Soir, en tout cas en ce qui concerne le dossier libyen.
Mais le sujet est empoisonné jusqu'à la moelle. La Guilt by association est au détour de chaque article. Je sais que si Le Grand soir a souvent ignoré mes articles (ce dont je ne me plains pas), d'autres sites épinglés par l'article de Marie-Anne Boutoleau et Joe Rashkounine en ont publié certains. Et je sais que ces reprises ont probablement poussé certains à me considérer - parfaitement à tort - comme un rouge-brun moi-même. Qui sait si ce n'est pas la raison pour laquelle l'Huma Dimanche n'a plus jamais répondu à mes mails depuis 2007 et Syllepse a refusé de me publier ? On ne sait jamais qui dit quoi derrière votre dos, quelle réputation on vous fait, et on ne peut jamais jurer, quand on combat l'impérialisme, qu'un de vos amis n'est pas considéré (à tort là aussi) comme un rouge-brun.
En 1999 le champion de la chasse aux sorcières rouges-brunes était Didier Daenyncks, il a fait des émules à gauche. Le bout du bout de cette logique d' "épuration" de la gauche, est qu'on finit par ne plus faire de journalisme d'investigation de peur que l'investigation ne profite à des régimes qu'on n'aime pas, ce qui nous reviendrait en boomerang sous l'étiquette infâmante du rouge-brunisme. On n'ose plus remettre en cause les thèses officielles sur Kadhafi, l'Iran,Milosevic, Chavez (la Guilt ne s'arrête jamais), et l'on n'est plus que dans le discours abstrait : "vive la démocratie parfaite, la laïcité parfaite, la paix parfaite, la bonté, la générosité, ni-méchant OTAN, ni-méchant Milosevic, ni-méchant rien du tout, notre idéal politique et cela seul mérite qu'on agisse pour lui". Le mécanisme implacable de l'enfermement de la contestation dans un idéalisme impuissant.
Saurons nous tenir le cap du refus du rouge-brunisme sans paralysie complète de l'action ? Facile en théorie, compliqué en pratique. Tenez : ce weekend j'ai publié un article sur Kadhafi vu par le Baas. Un ami (peut-être pas assez vigilant à l'égard du rouge-brunisme) me l'avait transmis par mail en provenance de je-ne-sais-où. Je le trouve intéressant d'un point de vue psychologique. Mais je découvre en lisant Marie-Anne Boutoleau et Joe Rashkounine que celui qui l'a traduit est proche des rouges-bruns. Que dois-je faire ? Gommer le nom du traducteur - ce qui est contraire à l'étiquette d'Internet ? Supprimer carrément l'article au risque de priver le lecteur (et ma réflexion) d'un outil de compréhension des régimes arabes ? Je choisis de laisser l'article sur mon blog, tout en étant conscient que des lecteurs rapides y verront des raisons supplémentaires de me soupçonner.
Dommage quand même. La grande question que je me pose depuis 2000 est de savoir si nous pourrions un jour faire un courant anti-impérialiste vraiment de gauche et sans ambiguités. Un courant avec des auteurs, des traducteurs, des informateurs, des distributeurs qui n'aient strictement aucune accointances, aucun rapport avec l'extrême droite. Sera-t-on capable de n'avoir dans nos rangs, autour de nous que des gens qui ont les idées parfaitement claires sur les dangers des théories du complot, sur la nécessité de séparer strictement judaïsme et sionisme, et d'arrêter de prêter à ce dernier des pouvoirs qu'il n'a pas, sur l'impératif de vérification de l'information et d'encadrement critique de l'interprétation ?
Dans un monde où l'extrême droite n'existerait pas ce serait facile. Mais à l'heure où le FN atteint bientôt les 20 % le nombre des papillons attirés par cette lumière ne fera qu'augmenter.
Mon retour à la littérature très souvent (notamment dans le choix de publier des récits de voyage plutôt que des essais) procède d'une forme de découragement devant l'ampleur du laminage de la problématique anti-impérialiste par le rouge-brunisme. Tout est assêché et perverti. Le terrain de l'action contre la domination euro-atlantisme me paraît avoir été rendu aussi stérile par la compromission rouge-bruniste que par le fantasme idéaliste d'une purification dans des cieux éthérés. La littérature reste alors le dernier moyen de s'amuser de ces impasses, en attendant des jours meilleurs...
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ps : quelques mois après la publication de ce billet, un addendum à l'article polémique mentionné ici, pubié sur "Conspihorsdenosvies" a qualifié l'auteur de ce blog d' "admirateur de Milosevic et de Chavez", ce qui est d'autant plus savoureux qu'en 2000 F. Delorca avait fondé un site d'info alternative avec des opposants au président serbe et dont le webmestre était membre d'Otpor... En sens inverse, sur une page http://aredam.net/revue.html, le blog de l'Atlas alternatif dirigé par F. Delorca était classé dans la catégorie "Sites renfermant des informations mais crypto-sioniste, ou sioniste de gauche ce qui est équivalent, à façade pro palestinienne" au même titre qu'Europalestine, ISM et Info-Palestine...
Prose des cités
Lu sur Facebook à propos des policiers:
"Mwa di i font tro lé fiere kan y zont leur uniforme mé kan tu lé voi en tnu normal il baisse la tete et trace pffff y zont pa kouille
je vais pas les mettre tous dans le meme sac mé 99,99% des filcs sont des grosse merdes c tout si y zon peur bin fallait pas faire se metier ensuite y se plaigne au media kan tu pense ke quand un filc bute un gar de kartier ont n en entend pa parlé mé quand c l inverse la ont en fait toute une polemi!!!! ya un truc ki tourne pa rond serieux
chez nous ont fait la difference entre pompier et flics ok mwa jai vu mn meilleur ami sfaire buté a 20m de moi tou sa pour un controle d identé resulta 2 mois de coma et maintnan mwa jdi paix a son ame tou sa pour un controle d identité putain tan na ekouté parlé nan. et dpui se jour lé filc la b.a.c et tou le tralala il peuvent meme pa metre un pied au quartier ont te konai pa tu ne rentre pa ya ke lé pompier ki rentre eux ont sen fou c dé mek bien.
et biensur qu ont vou kaillassent vou nous controleré pa toute les 20 minute parce que ont né blak rebeu.... et le pire c ke c tjr lé meme vou nous laisserai au lieu de nous faire chier h 24 sa changerai ptetre. c la loi de la rue c toi c chakun sa peau vou avez une grande bouche mé vien vivre o je vie et apré ont nan reparlera ok
Petre ke les 50 gosses vou leur avais fait kelke choze ya pa de fumé sen feu kome ont dit hein!!!!
Mais j agresse pas je dit juste vennez ou j habite et ont nan reparle apres meme vous vous les verrez otrement ont fait rien dmal ont est en bas des batiment ont discute ont rigole et vous vous arivé et faite les mariolles c pas une honte kan meme d etre 8 contre 1 et ensuite ont dit que c nous les violant attendez laissez mwa rigoler Pfff
Mwa oci jvien dune cité ou meme mé grand parent rentre pa kome sa c pour dire pour mwa c dé bouffon je changerai pa d avi "
Kadhafi vu par les amis du Baas irakien
Un article intéressant du point de vue politico-psychologique :
" Les hommes de Saddâm … et les hommes de Qadhafi
Si quelqu’un, quel que soit ce quelqu’un, veut juger un « régime donné », il doit regarder ses hommes, ou plus exactement, il doit examiner la qualité de la cour entourant ledit régime, le niveau de son sérieux, de son dévouement ou de sa fidélité tant au pays qu’au chef du régime, ou aux deux, en particulier lors des tournants difficiles à négocier. C’est à cette condition que l’on pourra être assuré que le jugement sera plus proche de la vérité, même s’il ne sera pas totalement véridique.
Nous disons cela tout en suivant la succession des défections des hommes du leader libyen Muammar al-Qaddhafi, qui quittent son navire tant ils sont désormais convaincus que celui-ci va couler, si ce n’est déjà fait. La plupart des hauts responsables ayant eu l’opportunité de quitter la base militaire d’Al-Aziziyyah, à Tripoli, sont passés en Tunisie, puis ils ont sauté dans le premier avion susceptible de leur faire gagner un abri sûr en Europe, abandonnant le « guide » qu’ils ont si longtemps encensé, dont ils ont si longtemps bénéficié des largesse et dont ils ont si longtemps chanté les laudes de sa révolution se battre, seul, avec ses fils et une poignée de membres de sa tribu, dans l’espoir de rester quelques années de plus sur son trône.
Tandis que nous suivons cette grande débandade, nous sommes placés devant une équation morale extrêmement sérieuse et importante, en particulier lorsque nous voyons une personnalité du rang et de la hauteur de Monsieur Mûsâ Kûsâ, le ministre des Affaires étrangères du colonel Mu‘ammar al-Qaddhafi, l’homme considéré comme le plus proches d’entre les proches, l’homme en lequel Qaddhâfi plaçait une confiance absolue, se réfugier en Grande-Bretagne, c’est-à-dire dans le pays qui conduit la campagne militaire visant à faire chuter le régime libyen, et peut-être bien, même, à liquider son chef, si l’opportunité lui en est offerte.
Monsieur Mûsâ Kûsâ n’est pas n’importe qui, il a dirigé les Comités révolutionnaires libyens au moment où ils étaient à leur apogée, il a dirigé les services de renseignement libyens dont la plus éminente des missions était de protéger avant tout la sécurité du régime, celle du pays venant en second. Le tout fait de son exil à Londres, préparé en coordination avec les services du renseignement extérieur britanniques, quelque chose d’absolument inouï. En effet, cet homme est accusé d’avoir joué un rôle déterminant dans l’attentat de Lockerbie et d’être également impliqué, d’une manière ou d’une autre, dans l’assassinat de la policières anglaise Yvonne Fletscher devant l’ambassade de Libye à Londres, en 1984, à l’époque où il était ambassadeur de Libye dans la capitale britannique, et beaucoup d’activistes de l’opposition libyenne pensent qu’il a joué un rôle direct ou indirect, en tant que chef des services de renseignement libyens, dans des opérations de liquidation dont ont été victimes nombre de leurs camarades dans diverses capitales européennes.
Les quotidiens britanniques ont consacré leur une, ces derniers jours, à la « coopération » dont a fait preuve Monsieur Kûsâ lors des interrogatoires serrés auxquels il a été soumis dans un lieu tenu secret par les services de sécurité britanniques. Il se dit qu’il aurait donné des informations très importantes concernant le régime libyen, ses secrets militaires et les activités de ses services de sécurité tant en Libye qu’à l’étranger, en particulier en ce qui concerne la chasse et la liquidation des opposants au régime ou la fourniture d’armes aux Républicains irlandais, et sans doute aussi à certaines factions palestiniennes et arabes.
Autrement dit, l’on peut penser que les services de sécurité britanniques et leurs homologues français et américains, qui participent à l’interrogatoire (de M. Kûsâ) ou peuvent en connaître les détails, sont en train de mettre la main sur un « précieux trésor » d’informations et de secrets d’une valeur inestimable, en particulier en ce moment, qui concernent non seulement la Libye et sa sécurité, mais la sûreté nationale arabe dans son ensemble, voire la sécurité de pays, dans le monde entier, qui sont des alliés des Arabes, comme le Venezuela, la Russie, Cuba, l’Inde, la Chine, la Turquie, le Pakistan et d’autres, avec lesquels les services de renseignement libyens ont coopéré tout au long des quatre décennies écoulées.
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Nous ne pensons pas qu’il s’est lancé dans ce pari risqué parce que ce serait quelqu’un qui croirait en la démocratie, aux libertés, aux droits de l’homme, aux valeurs de la justice, car si tel était le cas, il y a belle lurette qu’il se serait distancé du régime libyen, et même il n’aurait sans doute pas choisi de travaillé avec lui, pour commencer, en dirigeant un service de sécurité considéré comme le plus oppressif, du fait que celui-ci, je veux dire le régime, a été dictatorial dès son accession au pouvoir à la suite d’un coup d’état militaire contre un roi bon et modeste, totalement désintéressé, voici, aujourd’hui, quarante-deux années de cela. Nous ne pensons pas non plus qu’il soit dans son intention de rejoindre l’alliance des révolutionnaires libyens qui veulent renverser le régime qu’il a servi « fidèlement » plus de trente années durant.
Le leader libyen Mu‘ammar al-Qaddhafi porte la plus grande part de responsabilité de ce qui lui est arrivé et de ce qui ne manquera pas de lui arriver en fait de drames et de coups de poignard dans le dos assénés par les plus proches d’entre les plus proches, et nous ne ressentons nulle sympathie ni nulle pitié pour cet homme qui mérite bien pire, car il a choisi délibérément de s’entourer et d’apporter foi à des « saltimbanques » et à des thuriféraires, à toute une troupe d’hypocrites, qu’il a préféré aux gens honnêtes, dignes et compétents, et ce châtiment est d’ores et déjà compris et attendu, quoi qu’il en soit, car cet homme n’a pas bâti d’Etat, n’a pas mis sur pied d’institutions de gouvernement, ni d’infrastructures ni de superstructures, et il a excellé dans la violation des droits de l’homme, il s’est délecté de la suppression des libertés, il a permis à ses fils et à une poignée de parents et de membres de sa tribu de monopoliser les potentialités et les richesses du pays.
Nous avons vu des régimes arabes dictatoriaux chanceler sous les clameurs de jeunes révolutionnaires et sous leurs protestations retentissantes, nous le savons vues tomber lourdement, en fin de compte, après qu’ils eurent reconnu alors qu’il n’en était plus temps leurs erreurs et leurs turpitudes, mais nous avons pas vu un responsable égyptien ou un responsable tunisien – et il n’y a pour eux strictement aucune gloire à en retirer – abandonner un dirigeant et quitter son navire pour aller coopérer avec ses ennemis, comme nous voyons les responsables libyens le faire : tous sont restés dans leurs pays respectifs et, s’ils ont tenté de fuir, ce fut après la chute du régime, et non pas avant celle-ci.
Nous nous souvenons, à cet instant, du dirigeant irakien disparu Saddâm Husaïn. Nous ne contesterons pas une seconde qu’il s’agissait d’un dictateur, mais il avait un projet, que nous ayons ou non été d’accord avec celui-ci, et il a fondé un pays puissant qui a éradiqué l’analphabétisme et réalisé de grandes avancées scientifiques et dans le domaine de l’éducation. Certes, il a commis des erreurs. Mais c’était un homme au plein sens de ce terme et sans doute que beaucoup de ceux qui redoutent le danger iranien, selon leur vision des choses, le pleurent aujourd’hui, lui qui a combattu contre l’Iran huit années durant. Il a tenu bon face à un embargo occidental inique, à des zones d’interdiction aérienne, aux complots ourdis par ses opposants rabes (je veux dire les régimes arabes) et irakiens durant plus de treize années extrêmement difficiles, et il n’a jamais été abattu, il n’a jamais élevé la voix et nous n’avons jamais entendu dire, ni jamais lu dans la presse qu’un seul de ses ministres aurait quitté le navire irakien lorsqu’il était à la barre.
Plus de cinquante des plus hauts responsables militaires et sécuritaires, ministres et ambassadeurs sont restés à ses côtés jusqu’à la dernière minute de son règne, ils ont souffert de la faim, après celui-ci, et certains d’eux ont dirigé ou dirigent encore aujourd’hui la résistance contre l’occupation de l’Irak, ils ont affronté des condamnations à mort ou à la prison à vie. Or, nous n’avons pas vu l’un quelconque d’entre eux, alors mêmes qu’ils étaient dans le box des accusés, lors de procès expéditifs bidons, se parjurer, se dédire ou condamner leur leader. Au contraire, ils le défendirent bec et ongles, alors même qu’ils savaient pertinemment que s’ils l’avaient, au contraire, condamné, cela leur aurait évité la potence.
Les Américains avaient envoyé des émissaires à Monsieur Tareq Aziz, ex-vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères de l’Irak afin de marchander sa mise en liberté en l’échange de sa coopération avec eux ; ils lui demandaient de couper les ponts avec son président et de condamner son régime de gouvernement, de révéler ses secrets et ils lui demandèrent même de témoigner contre le député (britannique) George Galloway. Mais il refusa avec beaucoup de dignité, alors même qu’il était âgé de plus de quatre-vingts ans et qu’il était rendu impotent par la maladie, lui qui est soigné pour une véritable « encyclopédie médicale » d’affections diverses et qui risque de mourir à tout instant.
Il en va de même en ce qui concerne le général Hashim Sultan, le ministre de la Défense et le chef d’état major de l’armée irakienne, un homme héroïque, qui a résisté aux très importantes offres financières des Américains et qui est resté fidèle à son leader, refusant de fouler aux pieds, en collaborant avec les occupants, son honneur militaire et ses actes héroïques sur divers champs de batailles avec ses camarades officiers.
Même les ministres civils, contre lesquels les occupants n’ont trouvé aucun motif d’inculpation et qui ont quitté l’Irak pour divers pays d’exil, n’ont pas eu une seule parole offensante pour leur président ou pour leur régime alors qu’ils auraient pu, s’ils l’avaient fait, gagner des millions de dollars. Mais ils ont préféré se retirer loin des projecteurs de l’actualité et se contenter du strict minimum susceptible de les maintenir en vie, eux et les membres de leur famille.
J’ai rencontré deux d’entre eux. Le premier étant M. Muhammad Saïd al-Sahhâf, ancien ministre irakien des Affaires étrangères et de l’Information et le second étant le Dr Nâjî Sabrî al-Hadîthî, qui lui succéda au poste de ministre des Affaires étrangères jusqu’à l’occupation de Bagdad. Le premier vit à Abû Dhabi, où il mène une existence paisible, et le second vit à Doha, où il a repris son enseignement universitaire, pour un salaire extrêmement modeste. J’ai appris qu’il est parti à la retraite cette année.
Aucun regret pour des régimes qui ont opté pour l’hypocrisie et les hypocrites, des régimes qui se sont entouré d’une cour de poètes de cour, car ces régimes, quoi qu’il en soit, en raison de leurs exactions répressives et de leur acharnement à piller l’argent public ne méritent que des gens tels que ceux-là. Mieux : ils ne peuvent pas gouverner avec d’autres que ces gens-là et ils ne peuvent finir que par la fin infâmante et humiliante dont nous voyons disparaître aujourd’hui ceux qui sont déjà tombés ou ceux qui ne vont pas tarder à suivre ces derniers.
par Abdel Bârî Atwân
in Al-Quds al-Arabiyy
4 avril 2011 traduit de l’arabe par Marcel Charbonnier"
L'art du bombardement furtif
Dans ce billet je ne vous parlerai pas des bombes de l'OTAN qui tuent des insurgés libyens "par erreur", mais des bombardements israéliens au Soudan... C'est une histoire un peu mystérieuse qui ne fait pas la "une" de nos journaux.
En janvier 2009, des avions israéliens ont bombardé au Soudan un convoi soupçonné de livrer des armes à Gaza.
39 personnes auraient été tuées selon les sources officielles, 17 véhicules ont été détruits (vous lisez bien 17 : ce n'était pas un petit convoi). Le diplomate soudanais Khalid Al-Mubarak le 7 mai 2009 (cf vidéo ci dessous http://www.youtube.com/watch?v=jJjYg1nSfM8) faisait remarquer que si Israël avait eu connaissance du déplacement de ce convoi la moindre des politesse eût été de demander préalablement au gouvernement soudanais de l'arrêter. Ils auraient pu aussi le demander aux Egyptiens (une fois que le convoi aurait franchi la frontière). L'Egypte a déjà détruit ou arraisonné des convois d'armements sur son territoire y compris sous le nouveau régime militaire en place depuis le 11 février dernier. Mais peut-être Israël ne faisait-il déjà pas confiance au gouvernement égyptien pour ce genre de chose, et de toute façon il était plus important pour ce pays de pouvoir montrer (notamment aux Iraniens qui financent les livraisons d'armes) qu'il ne plaisantait pas et pouvait frapper où il voulait quand il voulait au Proche-Orient.
Le bilan de cette absence d'humour et de politesse israélienne s'est quand même élevé à une centaine de morts (excusez du peu). Pourquoi serait-on passé de 17 à plus de 100 ? Parce qu'Israël se serait trompé et aurait en fait frappé un convoi de migrants africains...
Difficile de dire laquelle des versions est la bonne faute de la présence de journalistes indépendants sur place (une fois de plus).
Le 6 avril 2011 (avant--hier) à 10 h du soir, sur les bords de la Mer Rouge, des avions israéliens ont bombardé un véhicule à 15 km au sud de Port Soudan. Israël a laissé entendre dans un premier temps que les deux conducteurs (morts) étaient des Palestiniens ou des Iraniens, puis a précisé que sa cible était le Palestinien Abdoul Latif al-Achkar. Le Soudan, lui, affirme qu'ils étaient des Soudanais "ordinaires" travaillant au port. Il donne leur nom : Iyssa Ahmed Hadab de la tribu Al-Amrar et son chauffeur Ahmed Djbril. La tribu Al-Amrar a l'air d'être importante à Port Soudan (voir cette page web qui les mentionne) et donc des journalistes pourraient facilement vérifier si la victime en fait bien partie.
Le Soudan s'est plaint au Conseil de sécurité du "machin" onusien, tout en sachant que ça ne servira à rien car , pour Israël comme pour son mentor étatsunien le Soudan (qu'ils viennent de couper en deux) existe à peine, et en tout cas il n'a aucune frontière quand il s'agit de "lutter contre le terrorisme". Il y aura donc un véto des Etats-Unis à toute tentative de présenter une résolution (à supposer même que quelqu'un se dévoue pour en rédiger une) et on s'en tirera avec un petit communiqué de Ban Ki-Moon "déplorant" cet usage indu d'armes de guerre dans l'espace aérien d'un Etat tiers.
Pourtant même nous Français qui apprécions tellement le "droit d'ingérence" n'aimerions pas qu'un avion israélien ou chinois vienne bombarder un camion au dessus d'une autoroute du Midi de la France...
Les frappes sur des pays comme le Yémen (par les USA) et le Soudan sont devenu monnaie courante et plus personne n'en parle. Le Soudan les condamne généralement comme autant d'efforts pour ternir son image et l'accuser de soutenir le terrorisme. Rappelons quand même que Khartoum avait accepté la sécession du Sud-Soudan en échange de son retrait de la liste des Etats terroristes. récemment des membres du Congrès américain se sont opposé à ce retrait en invoquant les liens de Khartoum avec une rébellion soudanaise. Les visites de dirigeants du Hamas dans le cadre de conférences sur la Palestine sont aussi dénoncées. Le bombardement israélien serait-il une façon "d'enfoncer le clou" pour entretenir la marginalisation du Soudan ?
Libye, Côte d'Ivoire : aucune tête ne doit dépasser en Afrique
Le gouvernement de la Corée du Nord est-il d'extrême droite ?
Il est frappant de voir combien, sur les faits historiques et les phénomènes sociaux les jugements et catégorisations, varient d'un extrême à l'autre, il semble qu'on puisse souvent tout dire et son contraire, ce qui est si déconcertant que beaucoup en viennent à refuser toute analyse dans ce domaine pour aller cultiver leur jardin. Devant toutes ces contradictions on éprouverait presque le besoin d'aller systématiquement voir sur place, ce qui bien sûr n'est pas possible pour tous les grands sujets qui nous sont proposés.
Dans la dernière livraison de l'excellent magazine Books de ce mois-ci on apprend (p. 19) que sortira bientôt (le 21 avril) aux éditions Saint-Simon la traduction du livre de Bryan R. Myers, professeur de relations internationales en Corée du Sud, d'un ouvrage paru aux Etats-Unis l'an dernier "The cleanest race. How North Koreans see themselves".
La thèse du livre est sans nuance mais séduisante : la Corée du Nord ne serait pas un pays communiste mais un régime d'extrême droite, qui infantilise sa population, et l'entretient dans le culte d'une pureté raciale et morale contre le reste du monde.
Vous savez que je suis radicalement hostile à toute ingérence occidentale en Corée du Nord comme ailleurs, car de toute façon les ingérences ne contribuent qu'à la militarisation des gouvernements auxquels on s'oppose à Pyongyang comme ailleurs, quand elle ne fait pas le lit d'autres fanatismes et d'autres mafias confortablement attachées au poil bestial de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord.
Mon propos n'est donc pas de discréditer gratuitement le régime nord-coréen au risque de banaliser ensuite les pressions occidentales sur ce pays (et la guerre qui pourrait un jour en résulter). Mais l'engagement contre l'ingérence n'interdit pas là comme ailleurs une réflexion active, sceptique, dynamique, sur la nature du gouvernement auquel nos technostructures s'opposent.
Je ne ferais pas cas de la thèse de Myers si elle relevait de l'antisoviétisme primaire issu de la tradition trotskiste selon lequel tout socialisme dictatorial est en fait une perversion "de droite" (voir d'extrême droite) du marxisme originel - antisoviétisme si répndu que beaucoup de cadres communistes en France identifient spontanément les dictatures soviétisantes des années 70-80 à des régimes de droite non-communiste (voir à propos de l'Ethiopie mon témoignage du 14 janvier 2010).
Myers si l'on en croit son interview dans Books ne part pas de ce présupposé-là. Il différencie très clairement l'URSS et la Chine de la Corée du Nord, et estime que le soutien de Moscou et Pékin à ce régime repose largement sur des malentendus. Selon l'auteur, pratiquement personne ne connaît Marx en Corée du Nord et les rares marxistes sincères y ont été flingués dans les années 50. D'ailleurs l'anti-intellectualisme ambiant à Pyongyang fait même que la théorie du "Juche", qui est un patchwork simpliste construit dans les années 70, n'aurait que peu d'impact sur la pensée des gens, et les livres écrits par les grands leaders qu'un moyen d'afficher à l'étranger une autonomie intellectuelle inexistante (puisque tout dans cette dictature reposerait sur le sentiment - Myers a d'ailleurs des mots étonnants à propos du comportement maternel et non paternel à la Staline des dirigeants nord-coréens.
Le propos n'est pas tout à fait crédible sur tout - par exemple quand il estime que les tirs sur l'île sud-coréenne l'an dernier relevaient d'une attitude purement immature et puérile du système (alors qu'il s'agissait d'une réponse à une provocation sud-coréenne). Mais au moins la thèse a le mérite d'être originale et argumentée. Bien sûr on peut se demander si le racisme (hélas souvent endémique en Extrême-Orient qu'ailleurs) et l'infantilisation sont les critères pertinents pour distinguer l'extrême-gauche de l'extrême-droite (question particulièrement aigüe de nos jours ou la question de la combinaison du socialisme et du nationalisme est très controversée). Si l'on admet que tel est le cas, alors effectivement la classification de la Corée du Nord comme régime "de gauche" devient franchement douteuse (ce qui ne veut pas dire, encore une fois, que les gens de gauche doivent en tirer prétexte pour justifier l'ingérence occidentale contre ce pays au nom d'un internationisme mal compris !). Par contre si l'on considère que seul l'égalitarisme compte, alors le point de vue de Meyer ne tient pas. A méditer...