Contre les engouements médiatiques du moment
Ce qui est bien avec Internet, c'est que des gens s'y dévouent dans de longs billets (parfois trop longs même) pour dénoncer les sottises médiatiques de notre époque. Puisque ces gens écrivent pour nous renvoyons directement à leurs textes.
- Donc pour le stupide enthousiasme des médias pour Florence Cassez dont on ne saura jamais si elle était innocente ou coupable, voyez, l'article de Malik Tahar-Chaouch sur le site des Indigènes de la République. (Je suis plus proche de la position de cet article que de celle du PCF sur ce dossier-là).
- Pour l'institutorophobie de nos journalistes, voir l'article d'Olivier Poche sur le site de l'ACRIMED.
Et puis, tant que vous en êtes à visiter le site d'ACRIMED regardez aussi les autres billets des dernières semaines. Ca fait à peu près quinze ans qu'ils écrivent un peu toujours les mêmes, mais comme les médias ne changent jamais, on peut toujours les critiquer sous le même angle.
A part ça, puisque les médias en parlent peu, ayez une pensée pour les grévistes d'Aulnay-sous-Bois (cf ci dessous), après que la cour d'appel de Paris a suspendu le plan de restructuration chez PSA, qui prévoit 8.000 suppressions de postes, aussi pour les salariés de Goodyear d'Amiens-Nord où 1 250 postes pourraient être supprimés en 2014 etc.
La France et les ingérences militaires (souvenir de la Grenade)
Des deux septennats de François Mitterrand on n'a retenu que l'alignement sur les Etats-Unis avec l'affaire des Euromissiles, et la participation à la première guerre du Golfe par exemple.
Mais il y a quelques jours à "Ce soir ou jamais" Roland Dumas rappelait opportunément qu'à côté de cela la France avait su mener une optique intelligente au Tchad (tout en restant ferme sur la protection du gouvernement légal face à l'offensive libyenne) et qu'elle avait même sauvé la vie de Kadhafi en refusant l'autorisation de survol aux bombardiers américains (ce qui avait décalé l'attaque sur Tripoli de 24 h en 1986).
En lisant aujourd'hui un journal de province proche des socialistes, La République des Pyrénées, du 27 octobre 1983, je tombe sur cet article à la Une signé Paul-Louis Lemaze qui confirme le souvenir du non-alignement français:
"Quelle situation paradoxae : la France et les Etats-Unis solidaires au Liban face à l'ennemi qui les a sauvagement frappés ensemble se trouvent en totale opposition dans l'affaire de la Grenade où l'intervention américaine est très sévèrement condamnée par Paris.
Le ton de la condamnation exprimé hier par le président de la République et le gouvernement en Conseil des ministres ou à l'Assemblée nationale est même très dur. Qui aime bien châtie bien, mais on dirait que les dirigeants français ont honte de leurs alliés américains et que la Grenade est l'occasion de se défouler et surtout de se dédouaner aux yeux de l'opinion de gauche qui comprend mal les diverses interventions française au Tchad ou au Liban. D'autant plus que les interventions sont applaudies par l'opposition. Cela permet au gouvernement français de souligner la différence entre intervention militaire et intervention militaire. Il y a celles qui sont bonnes comme celle de la France au Liban dans le cadre d'une force multinationale agréée par l'ONU et il y a celles qui sont mauvaises parce qu'elles constituent des ingérences injustifiées et inadmissibles dans les affaires intérieures d'un pays tiers. Si bien que la France est conduite à condamner l'intervention américaine à Grenade, comme elle a condamné l'intervention soviétique en Afghanistan".
Je ne sais pas si la France poussa la condamnation jusqu'à introduire un projet de résolution de condamnation au conseil de sécurité des Nations-Unies à ce moment-là (j'en doute). Et évidemment on peut penser qu'il était facile et un peu gratuit à l'époque d'afficher un désaccord avec Washington sur un sujet aussi mineur sur le plan stratégique.
Mais on peut se demander aujourd'hui si la France aurait la même clarté et le même courage à l'égard des USA même sur un sujet aussi anecdotique. Rappelons qu'à l'époque de Dominique de Villepin en 2004 la France a carrément participé à une opération militaire du type "la Grenade" contre le gouvernement légal d'Haïti aux côtés des Etats-Unis.
De toute façon nos dirigeants politiques auraient tort de se gêner puisqu'il n'y a plus d' "opinion de gauche" (pour parler comme l'article précité) allergique aux ingérences militaires, ni de journal local capable de faire trois colonnes à la Une sur l'invasion d'une petite île de quelques milliers d'habitants (il n'y a pas non plus, il est vrai, de risque qu'un "grand frère" soviétique hausse le ton comme on le redoutait en 1983).
Un billet pour mes lecteurs les plus fidèles
Mes chers lecteurs, vous le savez : la maxime delphique et socratique est toujours vraie : "Connais toi toi-même". Et pour se connaître bien il faut aussi connaître son époque, cela va de pair, parce que c'est l'époque qui définit le potentialités de l'action des individus, et oriente ce qu'ils sont. Et quand je dis l'époque, c'est l'époque dans toutes ses nuances : par exemple la période actuelle, celle de François Hollande, celle de la guerre du Mali, celle de ma prise de distance avec un certain intégrisme anti-impérialiste, n'est pas la même que le temps (2009) où Chavez promettait du pétrole pour les banlieues populaires américaines et européennes, et où je prenais des verres avec Houria Bouteldja (et la différence ne tient pas tant à mon évolution individuelle, qu'à l'évolution des rapports de forces, et de "ambiances" sociales au niveau national et mondial auxquels nécessairement nos cerveaux s'adaptent pour toujours redéfinir, non seulement le champ des possibles mais aussi le champ de ce qui doit être).
Se connaître soi-même quand on est blogueur et un peu écrivain, cela veut dire déterminer ce qu'on écrit et pour qui on écrit. Pour ma part j'ai les idées très claires désormais : je n'écris pas pour un grand nombre de personnes. Bien sûr il m'arrive de rédiger tel ou tel texte un peu construit comme une sorte de vade mecum que des tas de gens peuvent utiliser sur un sujet donné. Par exemple certains de mes billets récents sur le Mali sont utilisés ici ou là comme des supports de débat par des gens qui ne connaissent pas le reste de mes travaux. Ou encore je peux pondre un livre pour rendre service à de sans-voix comme je l'ai fait sur l'Abkhazie, un livre qui pourra être lu par un très grand nombre de gens. Mais être lu par le plus grand nombre ne me dit rien qui vaille. Parce que pour moi, plus que ce que j'écris ponctuellement, ce qui compte c'est mon cheminement, et donc tout le savoir que celui-ci m'apporte, et que j'essaie de tenir toujours présent, avec ses évocations et ses nuances, à chaque étape de mon écriture.
Voilà pourquoi j'écris au fond uniquement pour mes lecteurs les plus fidèles - qui se manifestent de temps en temps sur ce blog. Ceux qui étaient déjà là quand je faisais la promo de l'Atlas alternatif en 2007, ou quand je prenais mes fonctions à Brosseville en 2009. Ces 30 % de visiteurs qui se connectent directement à ce blog sans passer par des recherches par mots clés ou par des liens sur d'autres sites. Ces visiteurs qui ont mon blog dans leurs signets et qui lisent du Delorca pour lire du Delorca. Et tant pis si cela me condamne à rester un auteur marginal et confidentiel.
A ces fidèles-là je veux dire que je comprends qu'ils soient parfois un peu perdus au milieu de mes pérégrinations dans les lectures littéraires, les recherches historiques etc. Beaucoup voudraient peut-être me voir me consacrer de façon plus complète et plus cohérente à la construction d'un projet politique (dans le registre du combat anti-guerre, ou de l'utopie révolutionnaire) ou à l'écriture d'une oeuvre sociologique ou romanesque.
Je comprends votre frustration devant ce côté un peu fragmentaire de mes travaux sur ce blog et ailleurs, et de mon engagement. Mais je suis, comme vous, en un sens (bien que je déteste la victimisation) victime d'un ordre social où toutes les forces de changement sont atomisées. Donc comme vous chaque jour je bosse pour un métier qui me laisse peu de temps et peu de liberté pour écrire et pour me battre, un métier où je passe pour un gentil érudit mais où l'on m'attend toujours au tournant pour me coller une lame de couteau sous la gorge. Comme vous je respire dans une société qui n'a rien à foutre des écrivains, où les éditeurs indépendants n'arrivent à rien, où il n'y a aucune force politique structurée pour nourrir et financer (car le nerf de la guerre est toujours économique) des recherches politiques et intellectuelles un peu originales. C'est cela qui fait que personne ne parvient vraiment (pas même les profs et encore moins les profs étranglés par leur rôle de pédagogue) à construire des théories solides sur des sujets aussi graves que la non-ingérence dans les relations internationales ou la société sans travail en économie, Et pour cette raison aussi, seuls quelques activistes outranciers surnagent comme Michel Collon (je pense à lui à cause d'un commentaire récent d'un lecteur ici), avec du ready made intellectuel directement diffusable sur You Tube et Facebook mais complètement déconnecté du rée (ceux qui ont regardé Ce soir ou jamais cette semaine ont vu comment deux chanteuses maliennes explosaient à chaque fois son propos en quelques phrases).
Donc voilà, je demande juste votre indulgence pour les 15 dernières années d'engagement politique et d'écriture qui, en ce qui me concerne, n'ont pas débouché sur ma participation à quelque mouvement politique solide que ce soit, ni a fortiori à sa constitution et ne m'ont pas permis non plus d'écrire aucun livre de grande envergure sur aucun sujet (je m'efforce en ce moment de faire publier un compte-rendu de ces 15 ans aux éditions "Aux Forges de Vulcains" mais il ne semble pas que le comité de lecture soit très enthousiaste). Je ne vous cache pas que l'avenir de mon travail intellectuel est des plus sombres. Compte tenu de mes difficultés au quotidien, je peux tout juste envisager de tenter de publier un livre sur la Seine-Saint-Denis chez l'Harmattan (je l'ai posté cet après-midi mais je sais que cet éditeur ne m'aime pas, donc ce sera assez dur) et de gratter quelques billets éphémères et insignifiants ici de temps en temps. Je ne peux rien espérer de plus.
Subjectivement je voudrais faire plein de choses : monter un média alternatif avec un grand journaliste que je connais, écrire une vaste analyse en géopolitique, mener des expériences utopiques in vivo avec mes amis d'Emmaüs-Lescar dont je vous ai parlé il y a peu, prendre un avion pour recueillir des infos sur quelque groupe humain condamné au silence, aider les rebellles à se fédérer.
Mais objectivement je sais qu'à peu près rien ne sera possible dans les douze mois qui viennent. Il me semble que je me devais de vous en tenir informés.
Interview sur le livre "Abkhazie" de F. Delorca dans Jineps
Le mensuel de la diaspora circassienne en langue turque Jineps dans son numéro de janvier publie sur une page et demie l'interview de Frédéric Delorca par Mme Marina Iosifyan à propos de son livre Abkhazie initialement publiée (en version un peu plus courte) dans La Vérité de Chégem (Chegemskaya Pravda -"Чегемская правда") du 11 décembre 2012 à Soukhoumi et traduit par Mme Canan Baba.
Mali : Michel Collon, "Descartes", les multinationales
Les blogs étant de l'ordre de l'éphémère (comme tout sur Internet) juste un mot sur une intervention de Michel Collon (journaliste dont j'ai déjà parlé dans mes livres et sur ce blog) à propos du Mali dans la vidéo ci-dessous que je vois circuler en ce moment (émission "Ce soir ou jamais"). Celles-ci me semblent faire la part trop belle aux intérêts des multinationales dans l'analyse du geste de François Hollande d'envoyer l'armée au Mali (et seulement sur cette séquence là, car ensuite bien sûr l'impéralisme économique est toujours susceptible de jouer à nouveau un rôle, notamment sur la décision - que je condamne - d'enliser dans la France dans une guerre pour la reconquête "totale" du Mali).
Bien sûr il y a eu le socialisme de Modibo Keita. Bien sûr il y a eu les coups fourrés de la France pour le renverser. Bien sûr il y a Areva au Niger etc (des éléments qui, contrairement à ce que dit Collon, n'expliquent pas à eux seuls la pauvreté de ces pays).
Mais dans la séquence spécifique de l'intervention française pour empêcher une poignée de 4 000 fanatiques de s'emparer de l'Etat malien, je ne vois pas le rôle des multinationales. J'ai écrit l'an dernier pour le blog de l'Atlas alternatif sur les parts du Qatar dans Total Mauritanie et leur intéret commun potentiel (car il faut être très prudent là dessus) à destabiliser le Sahel. Il est clair que les multinationales françaises qui s'entendent avec le Qatar peuvent aussi s'entendre avec Ansar Dine. Prétendre le contraire c'est conférer à Ansar Dine une médaille de libérateurs nationaux qu'ils ne méritent pas. L'impérialisme économique du point de vue des modalités de la lutte contre l'islamisme est assez neutre (il peut faire le jeu des islamistes ou les anéantir suivant les circonstances et suivant les tendances antagonistes qui s'affirment dans les milieux d'affaire et les milieux politiques, il peut même s'accomoder d'une guerre civile larvée comme en Libye. L'impérialisme économique est dans le cadre général des relations internationales, mais il n'est pas dans la dans le détail du choix d'intervenir militairement.
Je suis d'accord avec le blogueur communiste "Descartes" pour considérer que la question de l'abandon ou pas des "failed states" est une question très compliquée. Je pense qu'on pourrait la penser par exemple à la lumière d'une interrogation sur la légitimité ou non de l'ingérence vietnamienne au Cambodge à la fin des années 70 (où là aussi il s'agissait de sauver un "failed state" de l'emprise d'une bande de fanatiques).
Par contre je ne pousse pas la francolâtrie jusqu'à légitimer après coup l'ingérence française en Côte d'Ivoire par l'assise populaire qu'y a acquise le gouvernement de Ouattara. On peut prend acte de la légitimation progressive du régime ivoirien (encore qu'il faudrait y regarder de très près en lisant les journaux locaux) sans que cela ne valide pour autant notre ingérence qui 1) ne concernait pas un "failed state", 2) ne répondait même pas à la demande d'un gouvernement légal puisque l'issue du scrutin présidentiel était demeurée très obscure.
Mélenchon et la Yougoslavie, Chevènement sur le Mali et l'Algérie
Vous le savez, je ne suis inféodé à personne. J'ai soutenu la campagne de Mélenchon en 2012 parce sa dynamique me paraissait porteuse de changements institutionnels importants (par le réactions en chaîne qu'elle pouvait provoquer en cas de succès, au moins jusqu'au discours de Marseille, moment où l'élan s'est essoufflé), ce qui ne m'a pas empêché de critiquer le vote par l'intéressé de la zone d'exclusion aérienne en Libye. Aujourd'hui le co-président du gauche montre encore ses insuffisances en politique étrangère avec le paragraphe suivant sur son blog :
"La première fois j’en fus tout culbuté. Penser de façon autonome exigea un énorme effort de contrôle de soi et une obsession de la documentation qui confinait au bachotage. Ce fut pour la première guerre d’Iraq. Je m’y opposais. J’avais du cran. D’abord parce que le président Mitterrand en était. Ensuite parce que les bienfaits attendus de la guerre était très évidents. Non seulement l’odieux Saddam Hussein allait devoir évacuer le pauvre petit Koweït mais en plus les monarchies du golfe, à commencer par celle du Koweït, allaient ensuite se tourner vers la démocratie et le respect du droits des femmes en particulier. Mais j’y ai pris le goût de penser tout seul et de tenir tête de tous côtés. Ce fut bien utile quand je me suis ensuite opposé à la guerre en Somalie contre « l’ennemi public numéro un » des Etats unis et de l’occident, le général Aïdid, épisode et ennemi dont malheureusement personne ne se souvient. Là encore il fallait de l’audace car il s’agissait de sauver les somaliens de la famine, rétablir l’état et la démocratie. Puis ce fut guerre d’Afghanistan contre le mollah Omar et les odieux talibans de ce temps-là. Mon incroyable refus à cette occasion montre bien que je suis « toujours contre tout », même le meilleur, puisqu’il s’agissait quand même de sauver la démocratie, de rétablir les droits des femmes et je ne sais plus quoi d’autre encore très bon et très juste. Du coup à la deuxième guerre d’Iraq je fus tout surpris de voir que je n’aurais pas à résister tout seul contre le rétablissement de la démocratie, de la paix civile et contre les armes de destruction massive alors que chacune de ces raisons avait paru suffisante, la fois d’avant, pour me faire peindre en munichois avec du goudron et des plumes. Au moment de la guerre de Libye, j’eus droit au goudron et aux plumes de nouveau, mais des deux côtés de la dispute. Après avoir voté au parlement européen un vœu comportant mention d’une zone d’exclusion de l’espace aérien sur décision de l’ONU, je me vis peint en suppôt de l’impérialisme. Mais je fus vite repeint, moins d’une semaine plus tard par le point de vue adverse, en grossier anti-américain et munichois viscéral pour avoir condamné l’entrée en guerre, les bombardements et l’arrivée de l’Otan."
Un détail ne vous aura pas échappé : l'attaque des avions français contre la République fédérale de Yougoslavie est absente de ce paragraphe. Trois mois de bombardement pourtant, la première grande opération de l'OTAN (si j'exclus le bombardement de Pale en 1995) hors de ses frontières, et sans mandat de l'ONU. Mélenchon l'a-t-il oublié ou fait-il l'impasse dessus parce qu'il était au gouvernement à ce moment-là ? Si c'est la seconde hypothèse, c'est franchement malhonnête de sa part. J'ai glissé un commentaire sur son blog qui sera soit noyé dans la masse, soit effacé par les modérateurs. Car je n'ai jamais été en odeur de sainteté au Front de gauche, bien qu'ayant été conseiller d'un de leurs maires en banlieue parisienne. Aucun de leurs responsables n'a pris la peine de réagir à mon programme de politique étrangère rédigé pour eux pendant la campagne électorale, encore moins de faire de la pub pour l'Atlas alternatif, pourtant publié au Temps des Cerises (seule l'Huma dimanche en parla un peu, Clémentoche Autain de Regards préféra le mettre à la poubelle).
En 1999, Chevènement aussi était au gouvernement, mais il eût le bon goût de glisser un petit mot en conseil des ministres contre l'intervention, et de se rendre à la soirée de Régis Debray pour la publication de l'Emprise. J'y ai aussi croisé le très louvoyant Védrine, mais hélas pas Jean-Luc Mélenchon (dont les partisans, le groupe "Gauche socialiste" à l'époque, s'étaient contentés de donner quelques clins d'oeil au anti-guerre dans le quartier latin). Chevènement a toujours été meilleur que Mélenchon en politique étrangère, et plus ouvert au débat avec les gens sérieux (au sein de sa fondation Res-publica par exemple). Il est dommage qu'il n'ait pas plus d'influence sur notre politique étrangère actuelle, et vaut bien mieux qu'un Laurent Fabius. Ses prises de positions sont souvent contestables (par exemple son approche "constructive" de la guerre en Libye l'an dernier), mais jamais dépourvue de profondeur : dans le cas libyen par exemple, il essayait d'adapter la non-ingérence à la nouvelle définition du "devoir de protection" votée par l'AG de l'ONU en 2005. Aujourd'hui Chevènement prône l'alliance stratégique avec l'Algérie. Un choix intéressant, important, mais difficile. Dans mes fonctions municipales en 2011 je gérais la coopération avec le Mali et avec l'Algérie, autant vous dire que ce sont des sujets auxquels je ne cesse pas de réfléchir. sur le Mali Chevènement a eu le mérite de soutenir tout de suite l'intervention, tout en appelant à la démocratisation du Mali. Il aurait pu ajouter que l'intervention doit être la plus brève possible (de ce point de vue, l'idée de rester au Mali jusqu'à la reconquête totale me paraît erronnée, mais on aura sans doute l'occasion d'y revenir).
Sur le plan philosophique je suis sans doute plus "anarchiste" (et donc souvent plus proche des Verts par exemple) que ces deux personnalités qui ont des côtés assez réacs et inadaptés aux attentes de la société, mais en politique étrangère (même Chomsky l'a reconnu) on ne peut pas ignorer l'existence des puissances militaires et des puissances de l'argent contre lesquelles ou au milieu desquelles il faut savoir construire des stratégies étatiques solides. Et, pour développer une pensée d'Etat, et non pas seulement s'en tenir à des bonnes intentions libertaire (ce qui n'empêche pas qu'il faille aussi, comme le souligne souvent Bertrand Badie, qu'il faille aussi intégrer le potentiel de changement que portent certains mouvements sociaux lorsqu'ils sont d'une ampleur numérique assez vaste, mouvements qui peuvent échapper aux logiques étatiques). Dans ce domaine Chevènement garde ma préférence.
Mali : légitimité de l'intervention à court terme, pas à long terme
L'an dernier je me suis fermement opposé à l'intervention militaire française en Libye, tout comme, auparavant, en république fédérale de Yougoslavie et en Côte d'Ivoire, et à l'action américaine en Irak.
J'ai en revanche été plus prudent sur les interventions militaires ponctuelles de la France dans le cadre d'accord de défense comme au Centrafrique, même si évidemment je condamne par principe la Françafrique et l'idée que la France puisse être un gendarme dans ses anciennes colonies. Lorsqu'un gouvernement africain à peu près légitime juge que seule la France peut l'aider à mettre un terme à un épisode d'anarchie, on peut regretter que d'autres solutions ne se présentent pas, mais on ne peut condamner l'idée que la France prête main forte.
En ce qui concerne le Mali, notons quelques points à titre préalable
1) L'intervention procède d'une demande du gouvernement légal. A la différence des ingérence en RF de Yougoslavie, en Irak, en Libye, en Côte d'Ivoire
2) A ce titre une résolution de l'ONU n'est pas requise
3) Il existe une résolution 2085 "autorisant le déploiement d’une force africaine au Mali pour permettre au pays de recouvrer son intégrité territoriale par la reconquête du Nord".
La pression des faits (l'attaque inattendue d'Ansar Dine sur Konna) n'a pas permis d'attendre le déploiement de la force africaine qui serait devenu sans objets si le Sud Mali avait été conquis (ce qui se serait passé en quelques jours, l'armée malienne n'ayant plus de munitions). Et il est apparu que la France était la seule, dans l'urgence à pouvoir sauver la situation.
Elle a présenté son action comme un moyen de préparer le déploiement de la force africaine. On est là à la limite de la résolution 2085, mais encore dans le cadre de la légalité internationale dans la mesure où c'est le gouvernement légal malien qui le demandent.
Les anti-impérialistes hostiles à cette intervention, s'ils veulent la disqualifier doivent
- montrer que le gouvernement malien a été installé par les Occidentaux pour préparer l'ingérence. Certains médias anglosaxons y compris Le Guardian ces derniers temps le disent, mais les preuves font défait (on a juste le fait que certains militaires de la junte malienne ont été formés aux USA)
- montrer que l'action d'Ansar Dine a été motivée par les services secrets occidentaux pour fournir un prétexte à l'action française, mais personne ne se hasarde à le dire, et les anti-impérialistes font simplement l'impasse sur l'invasion du Sud par Ansar Dine)
- montrer que la force africaine pouvait agir mieux que la France, or depuis six moisla CEDEAO comme l'UA n'étaient arrivées à rien sur ce plan.
Accessoirement il faudrait aussi démontrer que l'existence d'un Mali gouverné par Ansar Dine n'aurait pas déstabilisé tous les pays à l'entour (raison pour laquelle l'Algérie a fini par soutenir l'action française).
Sur le court terme donc, les arguments contre l'intervention française font défaut.
Cela dit cela ne signifie pas qu'il faille donner un chèque en blanc à la France sur le long terme. Comme en Libye,la question des objectifs de guerre se pose. Il y a une légitimité à éradiquer Ansar Dine dont notre ingérence en Libye a développé la puissance. D'une certaine façon nous "corrigeons" l'erreur libyenne de Sarkozy (mais nous ne la corrigeons pas en Libye où le règne des milices perdure). Mais nous ne pouvons pas tirer prétexte de cette action pour nous engluer dans une lutte indéfinie contre les factions islamistes disséminées dans le désert de la Mauritanie au Niger.
De mon point de vue, dès que le Sud-Mali sera sécurisé (avec une force africaine déployée le long de la ligne de cesse-le-feu qui était en vigueur depuis six mois, avec, à la rigueur, Gao et Tombouctou libérées (ce qui laisse au gouvernement légal du Mali une profondeur stratégique suffisante pour sa sécurité), l'armée française devra immédiatement se retirer, même s'il reste des poches de résistance d'Ansar Dine au Nord, et le rôle de la France devra se borner à fournir une aide économique et encourager à la fois le dialogue avec les Touaregs et l'effort de démocratisation au Sud Mali.
NB : un élément de contexte important - la Russie offre son aide militaire à la France au Mali, ce qui montre qu'on n'est plus dans la logique atlantiste des interventions précédentes
La politique étrangère de la France
Je prenais un verre tantôt avec un ami journaliste de haute volée qui me disait ceci à propos du Mali : "Dans l'affaire du Mali Hollande s'est fait tordre le bras par les militaires. Au départ il ne voulait pas intervenir. Notre poste militaire à Bamako a été alerté par des loyalistes maliens de Gao et de Kidal qui ont signalé le départ de colonnes de pick up d'Ansar Dine. Pour une fois les Américains ont joué le jeu et ont livré les images satellites confirmant l'offensive vers le Sud. L'armée malienne les a bloqués à Konna mais s'est vite trouvée en panne de munitions. Il a fallu soutenir les Maliens. D'habitude les opérations militaires c'est les Mirages, puis les hélicos, ensuite l'armée de terre. Là on a commencé par les hélicos parce que c'était improvisé. La France n'a plus les réflexes de la Françafrique qui était un système d'exploitation au profit d'intérêts privés. Là ce sont des opérations militaires pour les gouvernements et qui coûtent cher. Pour des raisons économiques on ne peut plus avoir une politique néo-coloniale en Afrique. La pénurie budgétaire avait déjà conduit à réduire les accords militaires sous Jospin avec les pays africains. Aujourd'hui le livre blanc de la défense prévoit de réduire les effectifs militaires de 120 000 à 80 000 et le gros problème de Hollande c'est comment financer cette opération malien. Ensuite sur le plan militaire la victoire est possible. Ansar Dine c'est 4 000 hommes, certains bien armés mais pas tous. Ce ne sont pas les talibans". Il me donne raison quand je dis qu'on ne fait que réparer là les conneries faites par Sarkozy avec l'opération libyenne. "Les militaires français le perçoivent en effet comme ça", me dit-il.
Sur la prise d'otages en Algérie : "Cette affaire est un cadeau fait à Hollande car ça oblige l'Algérie (qui déjà soutient l'intervention au Mali) à se sentir encore plus solidaire de la France et ça implique aussi les alliés occidentaux.. Mais ce ne sont pas les services français qui sot derrière ça. L'islamiste qui a organisé le coup Mokhtar Belmoktar, je l'ai interviewé il y a quelques années. J'ai couvert le voyage de Hollande en Algérie. Hollande quand il parlait de Lakhdar Brahimi disait 'le médiateur algérien en Syrie' sans savoir semble-t-il que les Algériens détestent Brahimi qui a été désigné médiateur de l'ONU. Il avait fait un discours très dur contre Bachar El Assad, dont il nous a laissé le texte, mais au moment de le lire il a sauté les paragraphes sévères parce qu'il a découvert en dernière minute que ça ne passerait pas auprès du public algérien. Il est très mal conseillé sur le monde arabe. En plus il y a un lobby néo-conservateur au Quai d'Orsay autour de ** (il cite le nom du diplomate que je me garderai de reproduire ici). Fabius, lui, est très peu impliqué dans son rôle de ministre et cherche surtout à voyager. La compétence du nouveau gouvernement en politique étrangère est donc assez faible". (Marrant j'ai entendu la même remarque la semaine dernière en ce qui concerne le cabinet de Montebourg dont la compétence technique en matière industrielle serait très faible, et tout le monde admet que Ayrault a eu du mal à remplir ses cabinets ministériels).
Sur la Syrie : "La France pourrait être amenée à changer sa position sur la Syrie après l'action au Mali. De toute façon au niveau syrien, les Américains ont conscience qu'on est dans un match nul militaire et qu'il n'y a pas d'issue sur ce terrain là. L'histoire des armes chimiques utilisées par Assad c'était du vent. On sait que les ogives chimiques syriennes sont montées sur des missiles de moyenne portée dont l'armée syrienne ne sait pas faire usage dans le combat urbain. Il y a d'autres points à reprocher au régime syrien mais pas celui-là".