Mélenchon et la Yougoslavie, Chevènement sur le Mali et l'Algérie
Vous le savez, je ne suis inféodé à personne. J'ai soutenu la campagne de Mélenchon en 2012 parce sa dynamique me paraissait porteuse de changements institutionnels importants (par le réactions en chaîne qu'elle pouvait provoquer en cas de succès, au moins jusqu'au discours de Marseille, moment où l'élan s'est essoufflé), ce qui ne m'a pas empêché de critiquer le vote par l'intéressé de la zone d'exclusion aérienne en Libye. Aujourd'hui le co-président du gauche montre encore ses insuffisances en politique étrangère avec le paragraphe suivant sur son blog :
"La première fois j’en fus tout culbuté. Penser de façon autonome exigea un énorme effort de contrôle de soi et une obsession de la documentation qui confinait au bachotage. Ce fut pour la première guerre d’Iraq. Je m’y opposais. J’avais du cran. D’abord parce que le président Mitterrand en était. Ensuite parce que les bienfaits attendus de la guerre était très évidents. Non seulement l’odieux Saddam Hussein allait devoir évacuer le pauvre petit Koweït mais en plus les monarchies du golfe, à commencer par celle du Koweït, allaient ensuite se tourner vers la démocratie et le respect du droits des femmes en particulier. Mais j’y ai pris le goût de penser tout seul et de tenir tête de tous côtés. Ce fut bien utile quand je me suis ensuite opposé à la guerre en Somalie contre « l’ennemi public numéro un » des Etats unis et de l’occident, le général Aïdid, épisode et ennemi dont malheureusement personne ne se souvient. Là encore il fallait de l’audace car il s’agissait de sauver les somaliens de la famine, rétablir l’état et la démocratie. Puis ce fut guerre d’Afghanistan contre le mollah Omar et les odieux talibans de ce temps-là. Mon incroyable refus à cette occasion montre bien que je suis « toujours contre tout », même le meilleur, puisqu’il s’agissait quand même de sauver la démocratie, de rétablir les droits des femmes et je ne sais plus quoi d’autre encore très bon et très juste. Du coup à la deuxième guerre d’Iraq je fus tout surpris de voir que je n’aurais pas à résister tout seul contre le rétablissement de la démocratie, de la paix civile et contre les armes de destruction massive alors que chacune de ces raisons avait paru suffisante, la fois d’avant, pour me faire peindre en munichois avec du goudron et des plumes. Au moment de la guerre de Libye, j’eus droit au goudron et aux plumes de nouveau, mais des deux côtés de la dispute. Après avoir voté au parlement européen un vœu comportant mention d’une zone d’exclusion de l’espace aérien sur décision de l’ONU, je me vis peint en suppôt de l’impérialisme. Mais je fus vite repeint, moins d’une semaine plus tard par le point de vue adverse, en grossier anti-américain et munichois viscéral pour avoir condamné l’entrée en guerre, les bombardements et l’arrivée de l’Otan."
Un détail ne vous aura pas échappé : l'attaque des avions français contre la République fédérale de Yougoslavie est absente de ce paragraphe. Trois mois de bombardement pourtant, la première grande opération de l'OTAN (si j'exclus le bombardement de Pale en 1995) hors de ses frontières, et sans mandat de l'ONU. Mélenchon l'a-t-il oublié ou fait-il l'impasse dessus parce qu'il était au gouvernement à ce moment-là ? Si c'est la seconde hypothèse, c'est franchement malhonnête de sa part. J'ai glissé un commentaire sur son blog qui sera soit noyé dans la masse, soit effacé par les modérateurs. Car je n'ai jamais été en odeur de sainteté au Front de gauche, bien qu'ayant été conseiller d'un de leurs maires en banlieue parisienne. Aucun de leurs responsables n'a pris la peine de réagir à mon programme de politique étrangère rédigé pour eux pendant la campagne électorale, encore moins de faire de la pub pour l'Atlas alternatif, pourtant publié au Temps des Cerises (seule l'Huma dimanche en parla un peu, Clémentoche Autain de Regards préféra le mettre à la poubelle).
En 1999, Chevènement aussi était au gouvernement, mais il eût le bon goût de glisser un petit mot en conseil des ministres contre l'intervention, et de se rendre à la soirée de Régis Debray pour la publication de l'Emprise. J'y ai aussi croisé le très louvoyant Védrine, mais hélas pas Jean-Luc Mélenchon (dont les partisans, le groupe "Gauche socialiste" à l'époque, s'étaient contentés de donner quelques clins d'oeil au anti-guerre dans le quartier latin). Chevènement a toujours été meilleur que Mélenchon en politique étrangère, et plus ouvert au débat avec les gens sérieux (au sein de sa fondation Res-publica par exemple). Il est dommage qu'il n'ait pas plus d'influence sur notre politique étrangère actuelle, et vaut bien mieux qu'un Laurent Fabius. Ses prises de positions sont souvent contestables (par exemple son approche "constructive" de la guerre en Libye l'an dernier), mais jamais dépourvue de profondeur : dans le cas libyen par exemple, il essayait d'adapter la non-ingérence à la nouvelle définition du "devoir de protection" votée par l'AG de l'ONU en 2005. Aujourd'hui Chevènement prône l'alliance stratégique avec l'Algérie. Un choix intéressant, important, mais difficile. Dans mes fonctions municipales en 2011 je gérais la coopération avec le Mali et avec l'Algérie, autant vous dire que ce sont des sujets auxquels je ne cesse pas de réfléchir. sur le Mali Chevènement a eu le mérite de soutenir tout de suite l'intervention, tout en appelant à la démocratisation du Mali. Il aurait pu ajouter que l'intervention doit être la plus brève possible (de ce point de vue, l'idée de rester au Mali jusqu'à la reconquête totale me paraît erronnée, mais on aura sans doute l'occasion d'y revenir).
Sur le plan philosophique je suis sans doute plus "anarchiste" (et donc souvent plus proche des Verts par exemple) que ces deux personnalités qui ont des côtés assez réacs et inadaptés aux attentes de la société, mais en politique étrangère (même Chomsky l'a reconnu) on ne peut pas ignorer l'existence des puissances militaires et des puissances de l'argent contre lesquelles ou au milieu desquelles il faut savoir construire des stratégies étatiques solides. Et, pour développer une pensée d'Etat, et non pas seulement s'en tenir à des bonnes intentions libertaire (ce qui n'empêche pas qu'il faille aussi, comme le souligne souvent Bertrand Badie, qu'il faille aussi intégrer le potentiel de changement que portent certains mouvements sociaux lorsqu'ils sont d'une ampleur numérique assez vaste, mouvements qui peuvent échapper aux logiques étatiques). Dans ce domaine Chevènement garde ma préférence.
Mali : légitimité de l'intervention à court terme, pas à long terme
L'an dernier je me suis fermement opposé à l'intervention militaire française en Libye, tout comme, auparavant, en république fédérale de Yougoslavie et en Côte d'Ivoire, et à l'action américaine en Irak.
J'ai en revanche été plus prudent sur les interventions militaires ponctuelles de la France dans le cadre d'accord de défense comme au Centrafrique, même si évidemment je condamne par principe la Françafrique et l'idée que la France puisse être un gendarme dans ses anciennes colonies. Lorsqu'un gouvernement africain à peu près légitime juge que seule la France peut l'aider à mettre un terme à un épisode d'anarchie, on peut regretter que d'autres solutions ne se présentent pas, mais on ne peut condamner l'idée que la France prête main forte.
En ce qui concerne le Mali, notons quelques points à titre préalable
1) L'intervention procède d'une demande du gouvernement légal. A la différence des ingérence en RF de Yougoslavie, en Irak, en Libye, en Côte d'Ivoire
2) A ce titre une résolution de l'ONU n'est pas requise
3) Il existe une résolution 2085 "autorisant le déploiement d’une force africaine au Mali pour permettre au pays de recouvrer son intégrité territoriale par la reconquête du Nord".
La pression des faits (l'attaque inattendue d'Ansar Dine sur Konna) n'a pas permis d'attendre le déploiement de la force africaine qui serait devenu sans objets si le Sud Mali avait été conquis (ce qui se serait passé en quelques jours, l'armée malienne n'ayant plus de munitions). Et il est apparu que la France était la seule, dans l'urgence à pouvoir sauver la situation.
Elle a présenté son action comme un moyen de préparer le déploiement de la force africaine. On est là à la limite de la résolution 2085, mais encore dans le cadre de la légalité internationale dans la mesure où c'est le gouvernement légal malien qui le demandent.
Les anti-impérialistes hostiles à cette intervention, s'ils veulent la disqualifier doivent
- montrer que le gouvernement malien a été installé par les Occidentaux pour préparer l'ingérence. Certains médias anglosaxons y compris Le Guardian ces derniers temps le disent, mais les preuves font défait (on a juste le fait que certains militaires de la junte malienne ont été formés aux USA)
- montrer que l'action d'Ansar Dine a été motivée par les services secrets occidentaux pour fournir un prétexte à l'action française, mais personne ne se hasarde à le dire, et les anti-impérialistes font simplement l'impasse sur l'invasion du Sud par Ansar Dine)
- montrer que la force africaine pouvait agir mieux que la France, or depuis six moisla CEDEAO comme l'UA n'étaient arrivées à rien sur ce plan.
Accessoirement il faudrait aussi démontrer que l'existence d'un Mali gouverné par Ansar Dine n'aurait pas déstabilisé tous les pays à l'entour (raison pour laquelle l'Algérie a fini par soutenir l'action française).
Sur le court terme donc, les arguments contre l'intervention française font défaut.
Cela dit cela ne signifie pas qu'il faille donner un chèque en blanc à la France sur le long terme. Comme en Libye,la question des objectifs de guerre se pose. Il y a une légitimité à éradiquer Ansar Dine dont notre ingérence en Libye a développé la puissance. D'une certaine façon nous "corrigeons" l'erreur libyenne de Sarkozy (mais nous ne la corrigeons pas en Libye où le règne des milices perdure). Mais nous ne pouvons pas tirer prétexte de cette action pour nous engluer dans une lutte indéfinie contre les factions islamistes disséminées dans le désert de la Mauritanie au Niger.
De mon point de vue, dès que le Sud-Mali sera sécurisé (avec une force africaine déployée le long de la ligne de cesse-le-feu qui était en vigueur depuis six mois, avec, à la rigueur, Gao et Tombouctou libérées (ce qui laisse au gouvernement légal du Mali une profondeur stratégique suffisante pour sa sécurité), l'armée française devra immédiatement se retirer, même s'il reste des poches de résistance d'Ansar Dine au Nord, et le rôle de la France devra se borner à fournir une aide économique et encourager à la fois le dialogue avec les Touaregs et l'effort de démocratisation au Sud Mali.
NB : un élément de contexte important - la Russie offre son aide militaire à la France au Mali, ce qui montre qu'on n'est plus dans la logique atlantiste des interventions précédentes
La politique étrangère de la France
Je prenais un verre tantôt avec un ami journaliste de haute volée qui me disait ceci à propos du Mali : "Dans l'affaire du Mali Hollande s'est fait tordre le bras par les militaires. Au départ il ne voulait pas intervenir. Notre poste militaire à Bamako a été alerté par des loyalistes maliens de Gao et de Kidal qui ont signalé le départ de colonnes de pick up d'Ansar Dine. Pour une fois les Américains ont joué le jeu et ont livré les images satellites confirmant l'offensive vers le Sud. L'armée malienne les a bloqués à Konna mais s'est vite trouvée en panne de munitions. Il a fallu soutenir les Maliens. D'habitude les opérations militaires c'est les Mirages, puis les hélicos, ensuite l'armée de terre. Là on a commencé par les hélicos parce que c'était improvisé. La France n'a plus les réflexes de la Françafrique qui était un système d'exploitation au profit d'intérêts privés. Là ce sont des opérations militaires pour les gouvernements et qui coûtent cher. Pour des raisons économiques on ne peut plus avoir une politique néo-coloniale en Afrique. La pénurie budgétaire avait déjà conduit à réduire les accords militaires sous Jospin avec les pays africains. Aujourd'hui le livre blanc de la défense prévoit de réduire les effectifs militaires de 120 000 à 80 000 et le gros problème de Hollande c'est comment financer cette opération malien. Ensuite sur le plan militaire la victoire est possible. Ansar Dine c'est 4 000 hommes, certains bien armés mais pas tous. Ce ne sont pas les talibans". Il me donne raison quand je dis qu'on ne fait que réparer là les conneries faites par Sarkozy avec l'opération libyenne. "Les militaires français le perçoivent en effet comme ça", me dit-il.
Sur la prise d'otages en Algérie : "Cette affaire est un cadeau fait à Hollande car ça oblige l'Algérie (qui déjà soutient l'intervention au Mali) à se sentir encore plus solidaire de la France et ça implique aussi les alliés occidentaux.. Mais ce ne sont pas les services français qui sot derrière ça. L'islamiste qui a organisé le coup Mokhtar Belmoktar, je l'ai interviewé il y a quelques années. J'ai couvert le voyage de Hollande en Algérie. Hollande quand il parlait de Lakhdar Brahimi disait 'le médiateur algérien en Syrie' sans savoir semble-t-il que les Algériens détestent Brahimi qui a été désigné médiateur de l'ONU. Il avait fait un discours très dur contre Bachar El Assad, dont il nous a laissé le texte, mais au moment de le lire il a sauté les paragraphes sévères parce qu'il a découvert en dernière minute que ça ne passerait pas auprès du public algérien. Il est très mal conseillé sur le monde arabe. En plus il y a un lobby néo-conservateur au Quai d'Orsay autour de ** (il cite le nom du diplomate que je me garderai de reproduire ici). Fabius, lui, est très peu impliqué dans son rôle de ministre et cherche surtout à voyager. La compétence du nouveau gouvernement en politique étrangère est donc assez faible". (Marrant j'ai entendu la même remarque la semaine dernière en ce qui concerne le cabinet de Montebourg dont la compétence technique en matière industrielle serait très faible, et tout le monde admet que Ayrault a eu du mal à remplir ses cabinets ministériels).
Sur la Syrie : "La France pourrait être amenée à changer sa position sur la Syrie après l'action au Mali. De toute façon au niveau syrien, les Américains ont conscience qu'on est dans un match nul militaire et qu'il n'y a pas d'issue sur ce terrain là. L'histoire des armes chimiques utilisées par Assad c'était du vent. On sait que les ogives chimiques syriennes sont montées sur des missiles de moyenne portée dont l'armée syrienne ne sait pas faire usage dans le combat urbain. Il y a d'autres points à reprocher au régime syrien mais pas celui-là".
Le PC russe ami de Depardieu
Il faut quand même rire un peu au milieu d'une actualité internationale qui n'est pas rose.
Je lis ceci : "Le Parti communiste russe (KPRF) a appelé l'acteur français naturalisé russe Gérard Depardieu à rejoindre ses rangs, a fait savoir vendredi le premier secrétaire du bureau moscovite du KPRF Valeri Rachkine./ "Oui, j'ai envoyé à M.Depardieu en France une lettre officielle l'invitant à adhérer au KPRF (…). Je crois qu'il éprouve un grand respect envers son père, qui était membre du parti communiste, et qu'il partage ses opinions", a déclaré M.Rachkine à RIA Novosti."
Le PC russe accueille à bras ouvert un millionnaire exilé fiscal....
Mali (suite)
A mesure que le temps passe, je ne vois que des raisons de confirmer mon précédent billet sur le Mali. Et j'approuve la remarque de M. Chevènement : "Un coup d'arrêt devait être donné à la décomposition de l'Etat malien dont la survie était menacée par la progression des colonnes islamistes vers Bamako".
Au milieu de tout cela M. de Villepin et M.Mélenchon se font de la pub, libre à eux. Comme on pouvait le craindre les anti-impérialistes dogmatiques (et parmi eux, regrettons le, Mme Aminata Traore), y vont de leurs couplets irresponsables voire délirants : Hollande sape les efforts diplomatiques de l'Algérie, il s'agit d'une recolonisation du Mali, voulue pour faire main basse sur des bases militaires, sur des ressources naturelles, pour stopper l'immigration illégale etc. On rêve ! Mais sur quelle planète vivent ces gens ? Ils font tout simplement l'impasse sur le fait qu'il y a 8 jours les islamistes ont lancé l'offensive vers le Sud, et que sans la France ils seraient déjà à Bamako. Jusque là Hollande était sur la ligne de l'Algérie, après l'offensive des intégristes il ne l'était plus voilà tout, et il a bien fait de changer d'avis.
J'ai vu dans mes courriers un responsable communiste "anti-impérialiste" dire que la France ne devait pas intervenir parce qu'aucune puissance extérieure n'était en cause dans ce conflit. Ah bon ? Ansar Dine n'est-elle pas liée au Qatar, et les salafistes à l'Arabie Saoudite ? Quelle mauvaise plaisanterie ! Ces gens (les anti-impérialistes) hurlent parce que la France fait le jeu des islamistes en Syrie et, pour une fois que la politique française se départit un peu de l'emprise qatarienne cela ne leur convient pas.
Leur point de vue serait valable s'ils nous prouvaient que l'offensive islamiste contre le Sud du Mali est un montage, qu'elle n'a pas existé, ou qu'elle a été provoquée par les services français, comme, si l'on veut, l'invasion du Koweit par Saddam Hussein en 1990 avait été encouragée par l'ambassadeur des Etats-Unis (ou comme les massacres de Racak au Kosovo en 1999 avaient été falsifiés par le mission de maintien de la paix de l'OSCE infiltrée par la CIA). Si un jour ce genre de preuve est apportée concernant le Mali, alors je croirai que l'intervention militaire française était une manoeuvre impérialiste. Pour l'heure, j'y vois seulement l'unique remède viable (Mme Traore en propose-t-elle un autre ?) pour compenser un peu les effets désastreux de notre intervention illégale et illégitime en Libye, qui fut à l'origine directe de la tragédie malienne actuelle.