Un type qui m'impressionne
Je lis « Sahelistan » de Samuel Laurent (eds du Seuil). Ce type vaut tous les journalistes du monde alors que lui-même n’est pas journaliste de profession. Il bosse pour des boites privées, il explore les zones à risque où personne ne veut se rendre pour y évaluer les possibilités d’investissement , à croire qu’il ne fait ni travailler pour les Etats ni travailler pour les grands journaux pour pouvoir être près du réel. Seul le business regarde le monde dans les yeux, et paie des mecs pour ne pas se faire mener en bateau.
J’ai une estime folle pour ce type, une estime instinctive comme j’éprouve une méfiance instinctive pour Abdellatif Kechiche depuis son film sur la Vénus hottentote). Je l’estime parce qu’il risque sa peau, parce qu’il est libre de sa parole, et plein de bon sens, et parce qu’il sait faire la paix des braves avec ses ennemis, même les islamistes. Il apprécie les gens de conviction contre les magouilleurs - il a un flair pour ça - et les vrais combattants de tout bord, visiblement le respectent pour cela et lui ouvrent leurs portes. Bravoure et droiture sont devenues des vertus si rares chez les Occidentaux. Vous êtes bien placés pour le savoir hein, chers lecteurs, qui consommez de la contestation pénards devant votre écran Internet ?
Laurent dit ce que disaient mes potes anti impérialistes pendant la guerre de Libye : que BHL et Sarkozy sont des petits cons, que le Conseil national de Transition libyen était une pantalonnade, qu’il n’y a jamais eu de mercenaires noirs aux ordres de Kadhafi, que nos journalistes ne sont bons que pour faire de la propagande. Mais il le fait sans s’illusionner avec de vieilles lunes héritées de la guerre froide. Il ne va pas se gargariser des restes de « socialisme » qu’il y avait dans le régime de Kadhafi. Il y voit juste un régime délirant, comme celui des milices qui lui ont succédé. Il ne va pas dire, comme l’ont affirmé certains marxistes que j’ai connus l’an dernier, que les Touregs du nord du Mali, notamment ceux du MNLA étaient par définition respectables parce qu’ils avaient bossé pour Kadhafi, donc pour la résistance à l’impérialisme. Au contraire, il dit que les Touaregs ont mauvaise réputation en Libye et ailleurs, parce que ce sont les champions du double jeu, et qu’ils ont révélé ce don de la duplicité dès avant la chute de Kadhafi en étant à la fois loyaux au dictateur et en contact avec Al Qaida Maghreb (ce qui explique qu’ils aient fait le lit d’Ansar Eddine au Mali). Samuel Laurent n’aime pas les faux culs. Il préfère, à Tripoli, un bon salafiste à un Frère musulman hypocrite. Et il entame même une impressionnante défense de l’ex gouverneur militaire de Tripoli Belhadj, que moi-même j’avais été enclin sous l’influence des grands médias (d’accord avec les kadhafistes sur ce point) à voir comme un bras armé d’Al Qaida contre le CNT.
J’ai hâte de terminer ce livre et d’en faire la recension pour Parutions.com
Les combats pour la justice, les pièges du Proche-Orient...
L'idéal de justice que j'évoquais hier au nombre des trois valeurs constitutives du "beau", est un idéal esthétique non seulement parce qu'il n'y a pas de beauté sans justice, mais parce que la justice est un exercice délicat, subtil, qui doit se pratiquer àla fois avec fermeté et avec nuance.
La lutte de Medea Benjamin contre les drones et contre Guantanamo est une lutte belle et qui sert la justice, comme celle de Julian Assange, comme l'initiative de Ken Loach de rappeler la grandeur du travaillisme anglais d'avant Thatcher. En revanche la manière dont certains en France se laissent aller à prendre partie dans la confessionnalisation (chiites/sunnites) du conflit général du Proche-Orient, singulièrement depuis l'entrée en guerre du Hezbollah contre les insurgés syriens (mais c'était déjà le cas avant). n'est aucunement belle ni fidèle au principe de justice, ni en ce qui concerne ceux qui vont dans le sens des Frères musulmans, ni en ce qui concerne les inconditionnels de Téhéran. Belles aussi sont les oppositions au Traité de Partenariat transpacifique et au Grand marché transatlantique (décidément chaque décennie a ses traités commerciaux à combattre : autrefois l'AMI grâce à une mobilisation mondiale et l'ALENA-NAFTA, grâce en particulier aux efforts de Chavez ). Le combat pour la justice est un art...
Dis kai tris to kalôn
Vous tous qui avez lu mon roman la Révolution des Montagnes, vous vous souvenez de son exergue, tirée de Nietzsche, et de la quête de son personnage principal Fulgaran. N'ayons pas peur des mots, cette quête n'a qu'un nom : celle de la Beauté, entendue au sens platonicien du terme comme réunion du Beau, du Vrai et du Bien (c'est à dire du Juste). Personne ne peut poursuivre cette quête sans l'aide d'autrui, mais c'est une quête par essence nécessairement solitaire et sa progression ne requiert nullement qu'elle soit comprise par quiconque.
Mme Tiercelin, Mme Lagarde, Mme Rousseff et M. Hollande, AREVA, Sahara, etcetera
J'ai acheté le bouquin de Mme Tiercelin du Collège de France "Le ciment des choses" essentiellement parce qu'elle est brocardée par le Nouvel obs et l'ai ouvert avec une sorte de crainte et d'attirance superstitieuse comme cela m'arrive souvent avec les livres de philosophes. Je me suis demandé si je le commencerais par le milieu comme je le fais souvent en suivant le conseil de Gilles Deleuze ou par le début. Classiquement j'ai choisi la seconde option.
Première satisfaction : Tiercelin dès le début descend le néo-kantisme comme je le faisais dans ma contribution au Cahier de L'Herne de Chomsky en 2007. Puis une déception : elle ne cite aucun scientifique dans sa bibliographie, no non plus David Stove. Le directeur du Cahier de L'Herne n'aurait sans doute pas aimé l'idée que le réalisme soit une "métaphysique". Et puis ce style mes amis, ce style "Machin a bien vu que", "Truc a bien vu que". Ca ne sent pas le bon philosophe pour deux sous ! Il y a un endroit où Julien Benda s'insurge contre l'idée selon laquelle un philosophe devrait être admiré pour son style. Selon lui Descartes n'a pas de style, une bonne logique n'a pas à être élégante, elle doit être vraie. Mais faire l'effort de tourner autrement ses phrases qu'avec "Machin a bien vu que", "Truc a bien vu que" ne coûte pas cher, et, sans verser dans les élégances artificielles, suffirait simplement à révéler chez l'auteur un respect pour sa langue - ce qui fut toujours le cas de tous les philosophes jusqu'ici... Je me réserve ce livre pour cet été où j'aurai le temps d'une lecture plus approfondie. Mais je soupçonne déjà sur deux pages Mme Tiercelin de n'être, comme beaucoup de nos universitaires, qu'une lectrice laborieuse. Genre "Moi y en a à avoir lu les auteurs d'Outre-Atlantique pour vous parce que moi y en a à avoir plus de temps que vous, et y en a à me débrouiller mieux en anglais, et moi y en a à vous les expliquer en faisant semblant d'avoir une philosophie à moi". Ajoutez à cela un petit positionnement audacieux sur un créneau non-conformiste (juste assez pour énerver le Nouvel Obs), le petit soutien qui va bien (comme on disait à l'armée jadis) du père Bouveresse, et un petit statut de femme bien utile dans un milieu de philosophes très masculin (à la Sorbonne en 1990-92 tous mes profs était des hommes et une majorité des étudiants aussi sauf quelques filles moustachues), et hop, le tour est joué : entrée directe au Collège de France, et Babette Babich mangera son chapeau...
A part ça une belle image : Mme Lagarde s'expliquant à la sortie de son audition devant la Cour de Justice de la République. Une image qu'on aime se passer en boucle, comme naguère Strauss-Kahn entre deux flics (z'avez vu ? Dom est maintenant au Sud Soudan ! Il ne perd pas son temps le bougre !). Jeudi pris un verre avec un journaliste républicain qui me racontait toute la fallite du système Hollande, les sarkzoystes qui n'ont pas été virés ni du Quai d'Orsay, ni de la TV publique, les petite têtes de potirons pas mûrs à la Apathie ou à la Taddei qui se la jouent "je veux faire mon buzz", les vrais experts de la République délaissés dont le téléphone ne sonne plus. Il me raconte comment la France s'est grillée auprès du Brésil (le membre des BRICS le plus proche de nous) en soutenant in extremis uniquement parce que le Royaume Uni nous le demandait la candidature du Mexique à la direction de l'OMC au mépris des promesses que nous avions faites à Dilma Rousseff. Je pense qu'on finira par accoucher d'un vrai projet lui et moi à force de brainstormer ensemble tous les trois mois. Mais pour l'heure mes yeux sont rivés sur l'Asie, la partie froide et la partie chaude. Je vais peut-être bientôt prendre des billets d'avion pour ces contrées. Avez-vous remarqué qu'à force d'européisme la France ne s'intéresse plus à l'Asie ? Nous n'avons plus rien à dire sur ce continent. Enfermés en Afrique à jouer les pourchasseurs façon Benny Hill contre les djihadistes, du Sud de la Tunisie aux installations d'Areva au Niger. Sahara Nights en version moins romantique. Une pensée pour nos amis algériens qui doivent se demander une fois de plus à quelle sauce l'histoire "avec une grande hache" les mangera quand Bouteflika ne sera plus... Sigue el combate !
Loi Fioraso, drones, et autres réjouissances atlantistes
Avez vous écouté le débat sur la loi Fioraso sur Europe 1 hier ? Le réprésentant socialiste est vraiment un affreux bonhomme, et toute cette démarche législative sent la haine de soi française particulièrement rance. La fausse "branchitude", dont le titre de Libé donne un juste reflet, qui se dégage de tout cela va dans le sens de tout ce que l'atlantisme charrie de pire en France depuis des décennies. Dans beaucoup d'écoles de commerce tout est anglais. Vu que les libéraux les citent en modèle pour l'enseignement public, vous pouvez deviner à quoi ressembleront nos universités dans dix ans.
Il fallait aussi regarder hier ce docu sur les drones sur France 5 (encore accessible en Pluzz), c'est affolant. A la fin on nous promettait des drones qui assureraient prochainement des missions de maintien de l'ordre dans l'espace occidental. "Frightening". Le reportage soulignait aussi le danger actuellement de la gestion par la CIA des assassinats au Yémen, qui sont en réalité sous-traités à des compagnies privées. J'ai découvert à cette occasion le militantisme très spectaculaire de Mme Medea Benjamin.
Tout cela montre que nous avions raison en 2000 dans l' "Appel de Bruxelles", dès avant le 11 septembre 2001, de dénoncer les dispositifs de surveillance mis en place par les USA et que les grands médias, mais aussi Agone qui préfère, dans sa collection de pétitions signées par Bourdieu "Interventions politiques", préfère sélectionner un texte de 1999 sur le Kosovo beaucoup moins visionnaire en passant sous silence le nôtre, ont eu tort de boycotter cet appel... (je sais c'est une de mes marottes, mais j'aime bien la ressortir de temps en temps).
A propos de drones j'étais heureux de découvrir en forme de scoop l'achat par la France de drones "Raptors" aux USA pour la Mali par la France et d'en filer l'info au blog de l'Atlas alternatif. Hélas quelques heures plus tard notre ministre de la défense donnait une conférence de presse là-dessus. Mais il est resté muet sur l'utilisation précédentes de drones israéliens. Sommes-nous condamnés à vivre dans un monde de drones ?
Justice de vainqueurs
Un de mes amis figure parmi les avocats cités dans cette vidéo.
Le socialisme dans un seul pays
C'est un point que j'avais développé dans "Programme pour une gauche française décomplexée" juste après l'élection de Sarkozy : on ne peut pas se limiter à des combats partiels - contre l'impérialisme, pour l'émancipation des classes subalternes, pour l'écologie, pour l'égalité des sexes, pour la liberté sexuelle, pour le rationalisme. Il faut tenir tous ces combats ensemble dans une vision socialiste. Ne pas garder cette perspective globale est une première forme de capitulation, et de résignation devant la victoire de la marchandisation du monde.
Une autre forme de trahison serait de ne pas envisager la tactique pertinente pour conduire vers cet idéal. Mélenchon a fait beaucoup pour définir une tactique à lui : la création d'un front unissant des dissidents socialistes (sous l'étiquette PG), écologistes, trotskystes (Gauche unitaire), communistes (FASE), à l'appareil du Parti communiste. Il a avancé un imaginaire intéressant pendant la campagne présidentielle mêlant populisme chaviste, référence au jacobinisme, à Jaurès et à la Commune, et laïcisme (parfois un peu excessif mais bon). L'expérience a montré ses limites pour séduire les écologistes et la gauche du PS. Et elle est dans l'impasse à l'égard de l'Union européenne (le PG n'ose pas rompre avec l'euro, le PCF remplace sur ses cartes la faucille et le marteau par le sigle "Gauche européenne"). Or il est évident que, même si M. Hollande haussait le ton face à l'Allemagne comme le lui demande le Front de gauche, il n'obtiendrait aucune relance économique au niveau de l'Union, et il vaut mieux préparer les esprits à une nouvelle forme de "socialisme dans un seul pays" en attendant mieux : c'est à dire redonner à la France les moyens de son propre socialisme, en lui redonnant le goût de la valorisation de ses propres ressources et de la définition de son propre non-alignement diplomatique et militaire.
Il faut redire cela de temps à autre, et ne pas laisser croire qu'on perd de vue cette perspective, car le laisser entendre est un moyen d'empêcher sa réalisation, et de concourir soi-même à sa liquidation.
Détailler davantage la méthode au delà de ce point devient cependant très difficile. On voit bien que la mobilisation sociale est basse (voir la désaffection du 1er mai en France comme en Espagne), ce qui ne veut pas dire que rien ne peut être fait, mais que l'impulsion doit venir "du haut", de programmes élaborés par les représentants qui, seuls peuvent dynamiser leur base (et non l'inverse, en tout cas dans la séquence actuelle). Et même au niveau des représentants les forces à rassembler ne sont pas nombreuses. Le Front de gauche étant, à mes yeux, durablement dans l'impasse en raison de son absence complète de stratégie à l'égard de l'Union européenne, il est urgent de revitaliser et fédérer les forces qui, à gauche, peuvent servir cette vision du socialisme dans un seul pays en favorisant leur fédération : POI, PRCF, chevènementistes, MPEP. Si ce pôle trouvait une unité, il pourrait peut-être jouer un rôle de locomotive et attirer à lui à terme le PS et le Front de Gauche sur une ligne de renouveau.
Il faut en revanche bannir les solutions "ni gauche ni droite", qui ont le don d'attirer à elles les militants qui ont une culture d'extrême-droite et qui font nécessairement perdre de vue la perspective et les valeurs du socialisme sur cette voie.
Il faut, au niveau de cette plateforme commune, penser un programme original qui concilie les avancées possibles du socialisme libertaire (plus attractif pour la jeunesse), sur le volet sociétal, écologique etc, y compris dans certaines de ses dimensions utopiques, avec certaines nécessités d'un socialisme plus "vertical" (dans le domaine militaire par exemple). Je vous renvoie à ce sujet à un article que j'ai publié dans la revue "Commune" de septembre 2008 "Le socialisme derechef et de plus fort".
Et si l'austérité européenne coulait l'indépendantisme catalan ?
Il y a quatre jours, Pere Navarro, premier secrétaire du Parti socialiste de Catalogne (PSC), était l'invité de l'émission politique "El Debate" de TVE. Il est reproché au PSC de faire le lit du nationalisme catalan en acceptant le principe d'un référendum inconstitutionnel sur l'indépendance (tout en disant qu'il prônera le "non" à ce référendum). Je me demande si, paradoxalement, la politique d'austérité dictée par l'Allemagne à l'Union européenne n'a pas un effet collatéral positif : en obligeant la Catalogne (comme les autres communautés autonomes espagnoles) à définir une politique d'austérité, l'Union européenne fait éclater la coalition nationaliste qui dirige la Generalitat, entre d'une part le centre-droit nationaliste (CiU) "austéritaire" et la gauche nationaliste utopiste (Esquerra republicana de Catalunya) plus progressiste, de sorte qu'aucun budget n'est voté et que le PSC (noniste du référendum) pourrait être appelé en renfort pour intégrer la coalition dirigeante. Cela lui confèrerait un pouvoir d'influence pour couler le projet de référendum. Voilà peut-être une "ruse de l'histoire" comme disent les hegeliens.