Artisanat
Je me répète mais il faut vraiment lire "Cochinchine" de Léon Werth récemment réédité. Ce n'est pas seulement un plaidoyer contre le colonialisme européen (qui fut la forme de barbarie consensuelle stupide des années 1900-1930, comme le fut le droit le l'hommisme des années 1990-2000, ou l'antiterrorisme aujourd'hui*), mais aussi une réflexion profonde sur la pudeur, la politesse et la légèreté de l'Orient (je lis pas mal sur le confucianisme classique en ce moment), au miroir de laquelle la grossièreté européenne révèle sa laideur, et une réflexion adossée, non pas comme la doctrine des Indigènes de la République aujourd'hui, au pur ressentiment "made in Europa", mais à la grande tradition classique des Lumières (des Lumières très françaises et assez universelles pour être "ouvertes" au bouddhisme, au taoïsme etc).
On retrouve chez Werth beaucoup de l'esprit de la revue Europe de Romain Rolland à laquelle il collabora, l'esprit d'une gauche révolutionnaire attachée à une tradition de douceur et d'élégance contre ce qu'elle appelait la "civilisation mécanicienne", fauteuse de guerre, et dont les Etats-Unis et Clemenceau étaient déjà, à leurs yeux, les principaux architectes... Cette gauche a été balayée par le stalinisme, puis par l'opportunisme socialdémocrate et sociallibéral. Mais des hommes comme Werth furent aux idées de gauche, et au style de la gauche, dans les années 20, ce qu'un Vecchiali fut au cinéma des années 70.
Evidemment tous ces grands stylistes et ces grands créateurs sont avant tout d'humbles artisans, de petites lucioles au fond de leurs ateliers, qui trouvaient dans leur modeste grandeur la force nécessaire pour résister efficacement à la sauvagerie de leur temps sans se compromettre. Ils eurent leurs admirateurs à travers le monde, des gens de la même élégance qu'eux, de la même exigence personnelle, et même si l'histoire officielle les ignorera toujours ils auront toujours raison au tribunal clandestin de l'Histoire objective (pourrait on dire pour plagier Hegel). Ce sont en tout cas des exemples de vies bien accomplies en des temps où, comme aujourd'hui, vivre dignement et proprement était rendu impossible par des formes puissantes de totalitarisme.
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* A propos d'antiterrorisme, voyez la vulgarité des écriteaux d'Air France sur les postes d'embarquement à Orly, qui, menacent de poursuites judiciaires et de refus de laisser monter dans l'avion quiconque "agresse physiquement ou verbalement un agent". Triste France où le terrorisme est prétexte à toujours plus de fouilles physiques, d'avilissement et d'abrutissement mental, et où on ne peut plus se faire entendre des services publics (de plus en plus ineptes et incompétents dans l'univers marchand "globalisé"), qu'en gueulant (j'ai vu jeudi un cadre distingué sexéganaire se faire virer manu militari d'un train par les services de sécurité du seul fait qu'il a osé critiquer devant un contrôleur la stupidité kafkaïenne de la SNCF), tandis que le seul fait de gueuler devient passible de poursuites judiciaires pour "viol moral du consensualisme forcé". Dans cette France là, rechercher l'indépendance d'esprit, la culture, l'élégance et la dignité requiert toujours plus de solitude, de refus obstiné de parler le langage d'Internet (loin de l'esprit hargneux des commentateurs malveillants, mais aussi de la bêtise rugueuse de tant de blogueurs "amis" que je n'ose même plus lire). Messieurs de la plateforme Overblog, faites votre travail (pensez à la citation "monsieur le bourreau...") : vous pouvez liquider le présent blog ou le noyer sous la publicité, je ne renouvellerai pas l'abonnement "Premium".
Mon livre-bilan
Vient de paraître un livre-bilan de mon engagement dans les milieux anti-guerre "Au coeur des mouvements anti-guerre". Le livre peut-être commandé ici. C'est un livre testament sur quinze ans d'engagement, les idées que j'ai défendues et ce qui j'ai pensé ou cru comprendre des milieux "résistants", sur le volet des relations internationales, de la géopolitique, mais aussi de la politique intérieure.
Je ne me demande pas à quoi ont servi ces années d'engagement car je suis fidèle au vieux principe hindouïste du renoncement dans l'action, donc les fruits positifs ou négatifs de ce que j'ai tenté d'accomplir m'indiffèrent. Vous avez pu voir d'après le commentaire fiéleux qui m'a été adressé en novembre dernier quel niveau de haine stupide et hargneuse j'ai pu provoquer (auprès de gens prêts à disséquer mon itinéraire dans tous les sens pour y trouver matière à ironie). Il est probable que, d'une manière générale, la présence sur Internet favorise bien souvent davantage de réactions négatives de gens aigris, jaloux, désireux d'en découdre etc ou d'indifférence que d'encouragements. Il vous suffit de voir combien de sites sur la toile mentionnent le présent blog pour vous en convaincre. De toute façon, je n'étais pas spécialement à la recherche de "coups de pouce". Depuis plus d'un an je ne vois plus bien l'intérêt d'écrire dans ces colonnes. Les problèmes structurels du monde et de la France sont les mêmes depuis 15 ans et j'ai suffisamment disserté à leur sujet. Quant à mes petites recherches philosophiques ou culturelles, je n'ai jamais eu le temps de les expliciter comme il se devait, et il vaudrait mieux en discuter en petit comité que sur la place publique internautique.
Il est possible que je publie encore quelques petits billets sur ce blog, mais celui-ci est amené à occuper une place très marginale dans le panel des modes d'expression que la vie m'offre encore un petit peu en ce début d'année 2015.
Interview de F. Delorca sur la Transnistrie
Le 27 novembre dernier j'ai donné l'interview sur la Transnistrie que vous trouverez ci-dessous. En France, la Transnistrie n'intéresse plus que les adeptes du ballon rond à cause des succès du FC Sheriff de Tiraspol. Cette interview ainsi que mon livre sur ce pays sont cités dans la version papier du magazine So Foot de ce mois-ci.
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Que savez-vous de Victor Gushan, outre le fait qu'il soit à la tête de Sheriff (le trust qui contrôle une grande partie de l'économie de la Transnistrie) ?
A-t-il d'autres activités officielles ou cachées?
Que sait-t-on de son influence réelle et de son pouvoir dans le pays?
Comment peut-on qualifier l'économie du pays?
Pensez-vous concevable que les infrastructures titanesques du FC Sheriff Tiraspol soient le fruit d'investissements illégaux sur le marché noir et que le club de football serve à blanchir de l'argent?
Trois adjectifs pour qualifier la Transnistrie ?
- Isolée, très particulière, en voie de russification. Isolée, parce que cela reste une sorte de sous-préfecture soviétique assez coupée du monde (même si beaucoup de Transnistriens grâce à des passeports russes ou ukrainiens arrivent à voyager). Très particulière parce qu'elle avait quand même réussi à constituer une identité originale, fondée sur le souvenir du temps où cette partie de la moldavie était ukrainienne (elle n'a jamais fait partie du grand ensemble roumain auquel les nationalistes de Chisinau voulaient la rattacher en 1991-92). En voie de russification parce que l'évolution actuelle de la Moldavie et de l'Ukraine vers un rapprochement avec l'Union européenne et l'OTAN nourrit une volonté de rattachement à la Russie, sur le modèle de ce qui s'est passé en Crimée.