Faiblesses
Les gens oublient facilement leur rôle. Hier M. Valls déclarait que la percée du FN dans le paysage politique constituait un changement "durable". Son rôle serait plutôt de dire :"Le FN a effectué une percée, mais elle est éphémère, aux prochaines élections les vertus de notre politique le réduira à néant". Aujourd'hui sur Canal+, Mme Filipetti, députée PS, qualifie le choix des électeurs qui ont voté PS d' "héroïque". On imagine la députée serrant la main d'un électeur du PS en lui disant : "C'est vraiment héroïque d'avoir voté pour mon parti, je ne sais pas si à votre place j'aurais eu le courage de le faire". Quand on en est à commenter des résultats électoraux en oubliant quel rôle politique on tient, c'est qu'en fait on a déjà complètement lâché la rampe. On ne fait plus que de la figuration jusqu'à la prochaine défaite.
Combats
"Les moyens employés par la nation insurgée ne peuvent être mesurés selon les règles reconnues de conduite d'une guerre régulière ni d'après nul autre étalon abstrait" écrivait en 1857 Engels (Textes sur le colonialisme, édition en langue étrangère, Moscou, 1960, p. 142) dans son article de 1857 "La Perse et la Chine" qui compare les styles de résistance chinois et persan à la conquête britannique. Il commente ainsi les méthodes utilisées par le peuple chinois qui recourt à la traîtrise et à l'empoisonnement face aux forces coloniales.
Je me suis imposé une obligation de réserve quant à la couverture de l'évolution des trois conflits (de plus en plus confessionnels) du Proche-Orient : le Yémen (où l'Arabie Saoudite a lancé une campagne de bombardements), l'Irak (où les Américains ont peu élégamment pris le relais des milices chiites dans l'attaque contre l'EI à Tikrit et se trouvent dans une situation de blocage), et la Syrie (où Idlib est tombée entre les mains d'Al Qaida, deuxième ville de province aux mains d'islamistes après Raqa contrôlée par l'EI). Je vous renvoie à la lecture d'Antiwar.com et Asiatimes, pour les faits, et les spéculations autour de tout cela.
Par contre je m'interroge sur le recours de M. Hollande aux assassinats ciblés - voyez ce résumé du livre de V. Nouzille. Je ne crois pas que M. Hollande et le sinistre M. Fabius laisseront en politique étrangère un bilan plus positif que celui de Guy Mollet.
Oh those Russians !
Sur Academia.edu, une cinquantaine d'articles universitaires en anglais, en espagnol, en français, tous plus nuls les uns que les autres sur la poêtesse grecque Sappho. Tous dans l'idéologie ambiante : Sappho la féministe, Sappho qui fait triompher la sexualité, Sappho mal lue par les Romains. Au milieu de toute cette sous-littérature miteuse, un seul bon article, si j'en juge par son abstract en anglais : un article qui démontre de quelle Artémis lydienne Sappho était la prêtresse, et pourquoi cela compte pour comprendre ses poêmes. Vu l'époque à laquelle Sappho a écrit, bien avant Platon, on se doute bien que c'est ce gars qui a raison, c'est lui qui tient le bon bout de la compréhension face à tous les anachronismes des pseudo-historiens qui encombrent les réseaux académiques. Je lui écris pour lui demander l'intégralité de son article, il me l'envoie. Pas de bol, il est entièrement écrit... en latin ! Mes compétences linguistiques touchent leur limite.
Je regarde un peu le background de cet auteur : il est professeur à Novosibirsk. Aux portes de la Sibérie chamanique...
Ad nauseam
Un connard de penseur "anti-Union européenne" dit sur une vidéo qu'Onfray est un grand homme et un "gros travailleur" (quelle rigolade !), qu'Epicure c'est la libre-pensée (quand se décidera-t-on à lire Koch Pettre à propos de la religiosité dogmatique de l'église épicurienne ?), que Démocrite c'est le progrès. Toute cette pensée matérialiste à deux balles qui ne comprend rien à l'Antiquité et ne lit les auteurs qu'à travers des digests. Tous ces profs de lycée de pacotille qui prétendent servir la "cause du peuple", analysent le système bancaire, l'histoire de la pensée, la politique, à travers la lecture des "Que sais-je ?". Tous ces rigolos, ces flemmards, tout juste bons à se pavaner sur You Tube ont trahi leur pays, trahi leur époque. C'est à vomir. La pensée anti-système, c'est autant le désert de Gobi que la pensée pro-système. Des esprits secs, des coeurs secs, des petits narcisses de superette. Les pires des marécages.
Rogopag
La lecture des mémoires d'Alexandra Stewart m'a convaincu de regarder Rogopag de Rosselini, Godard, Pasolini, Gregoretti (1963), qui réunit quatre films autour du thème de la fin du monde. L'histoire de Godard dans laquelle Stewart joue a un côté "Le Mépris" adapté à un contexte de catastrophe atomique. Le thème de la "mécanicité qui s'empare des rapports humaines" était banal à l'époque. L'histoire de Pasolini, "La Ricotta", avec Orson Welles dans le rôle du réalisateur, valut bêtement au film la censure en Italie et à Pasolini 4 ans de prison avec sursis. Je ne jouerai pas les cuistres qui détaillent tous les sens possibles de ce film sur le film, où Pasolini se montre sous les traits de Welles tournant quelque chose qui ressemble à son Evangile selon Saint Mathieu, je ne verserai pas dans la tarte à la crême de "l'allégorie" de la création. Tout est donné dans le film. Pasolini au début a trouvé utile de rappeler qu'il livre là la meilleure lecture possible de l'Evangile de son point de vue, et il a sans doute raison. Il y a comme dans tous ses films la métaphysique de la présence qui se donne dans chaque image, la critique sociale de l'inculture et du conformisme de la bourgeoisie (toujours tellement d'actualité), le focus sur ce prolétaire-consommateur transformé en estomac à deux pattes qui, comme Charlot, court par monts et par vaux pour tromper sa misère. L'Evangile est écrite pour lui, et pourtant il meurt sans même avoir dit sa réplique, sans promesse de rédemption, ni par le cinéma, ni par les Ecritures, du moins tant que la création "tournera" pour la bourgeoisie. Heureusement le cinéaste n'est pas dupe, comme il le montre dans sa dernière phrase, son épitaphe. L'estomac-sur-pattes est ce que nous sommes, ou risquons à tout moment de devenir. Amusant, attendrissant, désespérant. Une vraie fin du monde.
Léon Werth et la non-violence annamite
Les sagesses chinoise et indienne ont souvent coïncidé, sans qu'on sache laquelle des deux influençait l'autre. Prenait par exemple la parenté entre la conception sexuelle du taoïsme et celle du tantrisme shivaïte. Je crois qu'on peut dire la même chose du principe de renoncement dans l'action hindouïste et de la conception confucianiste du rapport à l'autre, l'un et l'autre menant à la non-violence (ce qui n'empêche pas bien sûr que les sociétés concernées puissent avoir par ailleurs des aspects très violents).
Léon Werth dans l'Indochine de l'entre-deux-guerres (avant que celle-ci ne se convertisse à la violence sous la direction d'Ho-Chi-Minh, tout comme la Chine a renoncé au confucianisme sous Mao, et le redécouvre à peine maintenant) a très bien perçu cela lors de son voyage à Saïgon, et ne l'exprime nulle part aussi bien que dans ce passage de Cochinchine (p. 65) :
"Je me suis étonné devant des Annamites à culture européenne de cette réaction impassible, lâche ou résigné du coolie brutalisé. On m'a répondu :
'Vous avez un mode de votre honneur qui est de rendre les coups. Atavisme ou tradition, nous avons, avant tout, le mépris de la violence. La dignité, pour nous, n'est jamais d'opposer la violence à la violence. La dignité, c'est de se vaincre, de se dominer. Ces principes vous les trouveriez dans la morale confucéenne que les plus cultivés de vos gouverneurs invoquent parfois devant nous pour nous recommander l'obéissance ou la patience. Car il est des Européens qui aiment à prononcer l'adjectif confucéen. Ils possèdent la philosophie de l'Extrême-Orient puisqu'ils connaissent le nom de Confucius. Ils possèdent aussi son art, puisqu'ils cherchent dans les paillotes des bleus de Hué.
Beaucoup de villages ont un nom qui signifie la paix et la sérénité. Nous avons un proverbe qui dit : 'Si tu recules d'un pas, c'est un pas de gagné.'
L'homme en colère n'est pour nous qu'un ovjet de mépris et de dérision. Nous avons appris à ne point être violent. A l'action de l'homme violent, un Extrême-Oriental refuse une réaction de violence. Et si la haine naît en luui, il l'accumule...'
Sans doute un Européen pourrait développer devant un Extrême-Orinetal la maxime de l'Evangile : 'Tendez l'autre joue' Il pourrait même trouver dans des livres et dans des milieux d'exception les traces d'une influence évangélique. Je le défie bien d'expliquer par l'Evangile les moeurs quotidiennes, les moeurs de la rue... Le mérite de l'explication confucéenne, c'est qu'en Extrême-Orient, elle rend compte parfois des faits de la rue."
Je précise qu'en soulignant cela, je ne juge pas les choix d'Ho-Chi-Minh, de Mao, et d'autres d'abandonner le confucianisme pour des raisons de modernité et d'efficacité dans les années 40...