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Le blog de Frédéric Delorca

Les blogs, les Russes, la paix

24 Février 2008 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Billets divers de Delorca

Trop de blogs tuent les blogs. Je vois surgir de toute part des blogs de géopolitique alternative comparables à celui de l'Atlas alternatif. Comme dans le domaine des petits journaux, chacun lance son projet sans s'enquérir de ce qui existe déjà, sans rechercher des convergences. Et tout cela s'atomise à n'en plus finir. Triste constat. Cela fait presque dix ans que cela dure. O l'heureux temps où des partis politiques forts, et des Etats solides donnaient forme aux énergies individuelles !

Mais ce n'est pas de cela que je voulais parler aujourd'hui. Je songeais à cette phrase d'un mien ami alors que nous discutions de la Palestine : "mieux vaut la paix que la justice et que la vérité". En effet, selon le principe de justice et de vérité tout Palestinien exproprié en 1947 devrait récupérer ses terres au coeur même d'Israël - ce qui signifie abolir l'Etat sioniste -, mais alors il y aurait un risque qu'aucun apaisement n'intervienne entre les Israëliens qui devraient rendre leurs terres et les Arabes. Donc oublions la vérité et la justice, disait-il, et préférons la paix : deux Etats séparés. Option d'Oslo à laquelle même Bush prétend croire.

Transposons ce principe à nos combats : nous nous battons pour la paix. C'est à dire non pas en faisant preuve d'un pacifisme béat qui rejette toute idée de guerre, mais en faisant la guerre aux structures qui provoquent les guerres : l'OTAN, et toutes les institutions occidentales ralliées à l'interventionnisme (ce que nous appelons les "structures impériales" ou "impérialistes").
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Ce combat justifie-t-il que l'on se dise à soi-même et que l'on dise aux autres toute la vérité ? C'est une question très compliquée, que j'aborde dans un livre qui sera bientôt publié. Pendant la crise des Balkans de 1999-2000 certains pensaient : "nous pouvons nous dire en petit comité ce que nous pensons de Milosevic, ne pas nous raconter d'histoires sur son compte, mais en public nous devrions éviter de trop le critiquer". Il faut dire que la presse occidentale à l'époque inventait les pires absurdités sur son compte, le dépeignant à tort comme un "dictateur", voire un "boucher des Balkans". Devait-on pour autant reproduire la distinction instaurée par les philosophes antiques entre enseignements ésotérique (pour les initiés) et exotérique (pour le plus grand nombre) ? - cf aussi la distinction chez Trotsky entre agitation et propagande.

D'aucuns reprenaient l'idée de Chomsky de 1975 selon laquelle critiquer le gouvernement vietnamien dans la grande presse américaine c'eut été du même goût qu'attaquer la Résistance française dans la presse national-socialiste.

Voire... Le dilemme était cornélien (comme tout dilemme chez les lettrés) parce que, à ce moment là (spécialement au printemps 2000) la répression à Belgrade devenait très dure.

Comme j'ai la chance de ne pas être un leader d'opinion, et puisque mon blog n'est lu que par 30 personnes, je puis éviter une certaine langue de bois, et miser sur l'intelligence des gens en estimant que je puis dire du mal de Milosevic ou aujourd'hui de Poutine sans pour autant souscrire aux sottises proférées par la presse occidentale sur leur compte et sans perdre de vue que l'ennemi principal, la source des problèmes (et de la guerre), ce sont les structures impériales occidentales, bien trop puissantes et trop aveugles (pas Milosevic, ni Poutine).

Pourquoi vous raconté-je cela ? Parce que je vois bien qu'en ce moment la question russe devient une question fondamentale pour l'Europe : que faut-il penser de la Russie, comment faut-il la voir ?

Cela devient notamment une question cruciale pour les Serbes, qui sont embarrassés aujourd'hui d'avoir été jetés dans les bras de Moscou. Je comprends leur gène. En 1998, le père (libéral, pro-occidental) d'un mien ami serbe à Belgrade fut évincé de son poste administratif à l'université par un professeur de russe proche du Parti radical. On voit bien à quoi ressemble le milieu pro-russe à Belgrade : un monde de vieux patriotes tournés vers le passé. Et l'on comprend que cela n'emballait pas certains jeunes serbes qui avaient plutôt envie d'écouter les chansons d'Amy Winehouse ou de voyager à Paris. Tout ce traditionnalisme slavisant était très pesant, notamment pour les jeunes femmes (car il est très patriarcal), et pour les minorités. Je comprends tout à fait que lorsque la TV russe hier se réjouit de l'assassinat du premier ministre pro-occidental Djindjic en 2003, beaucoup de Serbes, même patriotes (et il y en a pljus qu'on ne croit, même dans les rangs du parti de Djindjic) aient ressenti un malaise et voient poindre au dessus d'eux l'ombre d'une Russie despotique qui les menace.

Je les comprends, comme je comprends les Polonais : j'étais à Varsovie en juillet dernier. Aucun Polonais même parmi les plus lucides sur l'impérialisme occidental n'a envie de tomber sous la coupe de Poutine. "Déjà, me disait un politicien de gauche, je ne peux pas faire confiance à un pays qui consacre toutes ses ressources au luxe de sa capitale - à Moscou tout est beau et cher, c'est une vitrine, alors que le reste du pays est pauvre". Vladimir_Putin.jpg

Je suis très conscient de tout ce qui ne va pas dans ce système russe. La corruption, l'autorisme. Il y a peu je conversais avec une jeune femme russe qui est dans les affaires à Paris. Elle me parlait des entrepreneurs arrêtés arbitrairement, des gens enlevés sans raison par la police. "Je me sens plus en sécurité en France" disait-elle. Je cotoie aussi des marxistes français qui s'inquiètent des persécutions que le régime inflige à une certaine extrême gauche russe (même si par ailleurs beaucoup de gens sincèrement de gauche à Moscou soutiennent Poutine)

En même temps, comme beaucoup d'opposants au régime euro-états-unien, je ne peux pas ne pas être admiratif devant ce système poutinien, cette vaste entreprise de restauration nationale autour des ressources énergétiques (un appareil d'Etat largement adossé à Gazprom, et ce même si cela n'est pas pleinement recommandable du point de vue de l'intégrité financière). Tout cela est tellement plus noble que la déchéance eltsinienne, que la "grande braderie", la "grande prostitution" des années 1990. L'an dernier à Tiraspol je discutais avec une jeune Russe qui me disait "lors de la dernière allocution télévisée de Poutine, nous avions les larmes aux yeux et nous avons sorti notre meilleur champagne pour fêter ça". Comment ne pas voir que cet Etat russe fort est une bonne chose, pour le peuple russe (y compris les plus pauvres, moins soumis aux caprices des multinationales), et pour l'équilibre planétaire ? Comment ne pas voir que sans la force de l'Etat russe, Chavez au Venezuela serait fragilisé, les Balkans plus balkanisés, l'Europe encore plus américanisée ?

Voilà des choses qui doivent se dire et qui doivent se faire comprendre. Il n'y a pas de choix aisé en politique. Je ne suis pas très heureux de savoir que certains de mes amis belgradois devront subir à nouveau le poids de vieilles lunes sous l'influence des pro-russes, mais je suis satisfait que Poutine défende l'intérêt des minorités harcelées au Kosovo, et une vision du pluriethnicisme balkanique auquel les Occidentaux, avec leur folie pro-UCK, ont de fait renoncé. Et l'un ne va pas sans l'autre, cela il faut bien l'admettre.

A ce propos, j'indique à ceux que ça intéresse un débat sur le thème de l'élection présidentielle russe qui réunira demain à Paris M. Vladimir Tchourov, président de la Commission centrale électorale de la Fédération de Russie, M. Michel Lesage, professeur émérite à l'Université de Paris 1, M. Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre. Les références de ce débat sont indiquées sur le blog de ce dernier (http://www.chevenement.fr/). Je crois qu'il faut s'inscrire un petit peu avant par email.

Frédéric Delorca

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E
Je suis entièrement d'accord avec toiQuestion: Que vaut-il mieux, une soi-disant démocratie (occidentale) au service d'une minorité, nantie, ou un autoritarisme au service du peuple ? Je préfère la 2e solution.Alors, soutien à PoutineTu as oublié de me mettre en liens amis ? Moi, je t'ai mis sur mes 2 blogs, http://r-sistons.over-blog.com http://anti-fr2-cdsl-air-etc.over-blog.com Bon courage, Frédérique ! Eva
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