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Le blog de Frédéric Delorca

Napoléon, les esclaves noirs... et les serfs russes

5 Novembre 2008 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Divers histoire

Je voudrais citer aujourd'hui deux textes, de deux époques différentes, qui en disent autant sur l'histoire de notre continent que sur le monde actuel.

Le premier est extrait de La démence coloniale sous Napoléon d'Yves Benot (Paris, La Découverte Poche, 2006, p. 7-9) - un livre que je vous recommande :

""Le brutal retour au système d'avant 1789 imposé par le premier consul (Napoléon), la réapparition officielle de l'esclavage et de la traite ne soulignent-ils pas, par contrecoup, que des avancées avaient été accomplies par la Convention (...) La politique impériale - et impérialiste - s'apparente dans ce court espace de temps à une sorte de démence, dans la mesure même où on ne peut qu'être frappé par l'incapacité permanente à mesurer le rapport des forces, sur mer comme sur terre, à mesurer les obstacles et les résistances prévisibles des peuples".

Le second est extrait des Mémoires du dirigeant communiste Jacques Duclos (tome 1, 1896-1934, "Le chemin que j'ai choisi", Paris, Fayard, 1969 p. 266) où il raconte une réunion en Corse en 1927 :

"Mes auditeurs étaient visiblement d'accord avec moi lorsque je rappelai que dans les Cours d'Europe on traitait Napoléon "d'Empereur républicain" . Mais cet "Empereur républicain" prisonnier d'intérêts de classe en était arrivé à se méfier davantage du peuple que des monarques représentant la vieille Europe féodale.
Cela explique pourquoi Napoléon se garda bien de proclamer l'affranchissement des serfs lors de la campagne de Russie, ce qui pourtant aurait servi ses objectifs militaires"


Un des arguments du livre de Benot est que, si Napoléon avait aboli définitivement l'esclavage dans ses colonies plutôt que de le restaurer, il aurait suscité une insurrection des Noirs dans les colonies anglaises et provoqué ainsi l'affaiblissement maritime durable du pays qui lui imposait le blocus.

L'argument de Duclos est que, en libérant les serfs, Napoléon aurait pu gagner la campagne de Russie.

Ces remarques me paraissent tout-à-fait judicieuses. Ce qui m'étonne c'est qu'aujourd'hui on entende surtout l'argument de Benot, et non celui de Duclos. Je veux dire que le travail mémoriel sur le colonialisme a très justement fait connaître récemment aux Français l'histoire de l'esclavage, mais le servage en Europe de l'Est, sa place dans l'économie mondiale jusqu'au 19 ème siècle (car elle en avait une, ce n'était pas un phénomène purement local), le rôle de la révolution française, et de Bonaparte à son égard demeurent pour leur part un point aveugle de notre conscience collective - alors que la révolution russe de 1917 avait contribué à les rendre plus présents dans l'opinion publique des années 1920.

C'est peut-être à cause de cette amnésie que nous peinons à établir un rapport entre les aspirations patriotiques des Russes (ou des Biélorusses) et les revendications anti-impérialistes du Tiers-Monde. Et c'est peut-être pour cela aussi que certaines associations sensibles à la cause du tiers-monde, à Paris notamment, ont refusé la démarche de l'Atlas alternatif qui faisait le lien entre Europe de l'Est et pays du Sud.  Je ne sais si la visite de Kadhafi chez Loukachenko cette semaine peut les aider à réfléchir à cela...

FD

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O
 Mais, même dans le grand-duché de Varsovie, Napoléon a supprimé le servage mais pas la corvée. Produire était pour lui fondamental sans doute et donc, ne pas désorganiser l'appareil de production existant. Cela étant, les paysans libérés du servage ont parfois été expulsés par leur maître qui n'en avait plus besoin et, dans les villes, ils se sont retrouvés au début dans un dénuement plus fort qui leur faisait regretter la "protection" du seigneur devant leur assurer la nourriture, et donc le servage. Un peu comme les noirs américains libérés soudainement par la guerre de sécession. Cela ne justifie pas la restauration de l'esclavage par Napoléon bien entendu. Mais on ne peut pas passer d'un système à un autre sans préparation; Et la France n'en avait pas selon Napoléon les moyens à ce moment là.
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