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Le blog de Frédéric Delorca

Les guerres au sein du pouvoir intellectuel

6 Avril 2009 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Débats chez les "résistants"

Dans les années 1990, l'accusation à la mode à gauche de la gauche pour stimuler une "épuration morale" était l'accusation de rouge-brunisme. Ce n'était jamais une accusation frontale dans le style "vous êtes un rouge-brun", mais l'utilisation de trois ou quatre signaux dans un même texte du genre  "Untel parle du danger islamiste, et n'a rien dit contre Milosevic, et apprécie la Marseillaise ou a participé à une conférence où siégait aussi un chercheur qui connaît un conseiller de De Villiers" - cet alignement seul de quelques signaux dispensait d'ajouter "c'est un rouge-brun" : tout le monde comprenait la teneur du propos, et en tirait la conclusion qui s'imposait : pas besoin de lire ce qu'écrit cette personne. Diana Johnstone par exemple fut victime de ce procédé.

Dans les années 2000, le procédé a perduré. L'accusation de rouge-brunisme n'est plus trop d'actualité, mais on l'a remplacée par celle d'antisémitisme, et elle se tourne plutôt de cette façon "M. Machin parle du pouvoir de l'argent, du complot, manifeste avec le Hamas, a des amis en Pologne". Parfois ce genre de portrait au couteau n'est pas infondé (je pense personnellement que certaines personnes un peu trop obsédées par le conflit palestinien baignent un peu dans un imaginaire suspect, car selon moi tout être qui n'est pas anti-sémite devrait être capable de s'indigner de plusieurs injustices à la fois sans se focaliser UNIQUEMENT sur la Palestine). Mais souvent l'accusation est simplement gratuite et aide à se débarrasser de gens gênants (de rivaux dans le marigot intellectuel notamment). On la glisse généralement à l'abri des régards, dans un email, ou dans un clin d'oeil autour d'un verre, et le message passe.

Je me suis souvent demandé qui étaient ces gens qui, plutôt que de discuter des textes tels qu'ils sont écrits, essaient préalablement de disqualifier leur auteur avec des petits portraits "à signaux", des petits portraits virtuoses chargés de sousentendus lourds ou légers, mais toujours très compréhensibles. Sont-ils des gens bien installés dans les hiérarchies intellectuelles qui croient ainsi pouvoir jouir de leur pouvoir de censure, ou des gens sur la défensive, placés dans des situations inconfortables, qui se sentent obligés de donner des gages de loyauté ? Seul un sociologue impartial pourrait le dire au terme d'une longue étude.

Ce qui est sûr c'est que cette accusation favorise un idealtype individuel : celui du professeur qui passe son temps du haut de sa chaire à donner des leçons de morale et à montrer sa pureté, bref l'homme en dehors du réel. Car dès que vous prenez un avion ou vous retrouvez dans un défilé où, même en toute fin de cortège, traînerait un drapeau suspect, ou un type qui en traîné avec d'autres types, vous êtes passibles de guilt by association comme disaient les maccarthystes. Je suspecte donc que les gens qui se posent en accusateurs passent leur temps avec des gens hors du réel et des donneurs de leçon, ce qui doit-être ennuyeux. Mais ce n'est là qu'une hypothèse. Peut-être me trompé-je. Encore une fois seul un sociologue averti pourrait enquêter utilement là dessus et nous éclairer.

En tout cas j'ai vu encore aujourd'hui se déchaîner un réflexe de dénonciation contre un type que je cite dans un de mes livres - réflexe qui visait par ricochet à accuser mon livre lui-même. Ce réflexe venait d'un type qui est situé à gauche de la gauche comme moi (et donc avec qui le degré de désaccord au fond doit être très faible, c'est une pure différence de posture). Un Belge me disait un jour que ce réflexe d'accusation était très français, très parisien, parce que les Parisiens à un certain niveau de compétition idéologique se détestent tous entre eux et sont très intolérants. Ce que je trouve préoccupant c'est qu'il pourrait bien aider la gauche de la gauche (et par extension toute la gauche) "à l'italienne" à se saborder face à la droite, ce qui n'est pas très mâlin. Mais d'un autre côté ce genre de petites attaques, de tentatives de disqualifications entre rivaux, a aussi lieu à droite, et au centre, avec sans doute des procédés différents, l'usage de termes, de supports, de contenus gestuels qui varient. Peut-être au fond tous les milieux s'entredéchirent-ils, ce qui explique que certains rencontrent finalement plus de compréhension et de sympathie chez leurs adversaires, lesquels trouvent à les lire une forme de repos qui les distrait des rivalités qui écartèlent leurs proches. Allez savoir.

Dans quelques années peut-être raconterai-je plus en détail cet épisode vécu aujourd'hui. Mais les lecteurs de 10 ans sur la planète résistante auront déjà eu un aperçu de ces fonctionnements à propos de l'années 2000 (c'est sans doute une des raisons pour lesquelles bien peu de média ont envie de rendre compte de ce livre). La vie intellectuelle, n'est pas toujours la vie rêvée des anges. Elle est même plus souvent carrément détestable.

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