L'ambassadeur du Venezuela contre Le Monde
Reçu tantôt de l'ambassade du Venezuela :
A Paris, le 22 mai 2009,
Monsieur Eric Fottorino
Directeur du Monde
Monsieur le Directeur,
C’est avec un grand respect que je souhaite vous exprimer, au nom du peuple vénézuélien et de notre gouvernement, mon sincère étonnement face à l’article selon moi tendancieux de votre correspondant, Monsieur Jean-Pierre Langellier, que j’ai eu l’opportunité de découvrir en parcourant les pages de votre quotidien daté du 19 mai dernier.
Cet article, dont j’ai constaté avec surprise qu’on le qualifie « d’analyse », reprend à son compte les plus incroyables stéréotypes et contrevérités colportés depuis dix ans par ceux qui ne comprennent pas la volonté souveraine des vénézuéliens – démontrée à maintes reprises dans les urnes – de se choisir un modèle original et alternatif de développement.
Retranché derrière sa supposée objectivité journalistique, Monsieur Langellier dresse au fil des lignes un portrait de notre pays digne d’une parodie de Tintin et les Picaros : plusieurs chiffres et discours sont utilisés hors de leur contexte et les sources sont occultées. De ce fait, Monsieur Langellier trompe sciemment vos lecteurs, en contribuant à forger une vision de l’Amérique Latine simpliste et heureusement contraire à la réalité.
On peut ainsi lire, au fil des lignes, que le Venezuela est gouverné par un « régime » « autoritaire et étatiste », « centralisé et militarisé », qui n’honore pas ses engagements internationaux, qui transforme en « traîtres » les « camarades » critiques, « exerce une vendetta contre ses opposants », les « harcèle » et réduit « chaque jour un peu plus l’espace de la démocratie », tout cela grâce à « un Parlement à sa dévotion », une compagnie pétrolière qui est un « Etat dans l’Etat » et au fait que « les médias privés sont dans le collimateur ».
Dans son « analyse », Monsieur Langellier juge tout de même utile de retranscrire l’opinion de membres du Gouvernement qu’il décrie, en expliquant que « récemment », notre Ministre des Finances déclarait « qu’au Venezuela ressurgit le rêve de l’Union Soviétique » : une phrase là aussi sortie de son contexte, mais qui sert son dessein de donner l’image d’un pays archaïque, aux antipodes de notre volonté affirmée de construire un modèle novateur et moderne de réelle redistribution de la richesse, participatif et démocratique.
Alors que si peu se sont émus, pendant les années 80 et 90, de la terrible expérimentation des politiques ultra-libérales sur notre continent et de leurs conséquences désastreuses sur le niveau de vie des latino-américains, certains commentateurs démontrent aujourd’hui un aveuglement idéologique lorsqu’ils attaquent notre politique de reconstruction de l’Etat, de services publics forts et efficaces à lutter contre les effets sociaux de la crise économique et financière actuelle.
Par ailleurs, il n’est pas juste de dénoncer une faiblesse grandissante de la démocratie au Venezuela, alors que depuis 1998, il est le pays à avoir connu le plus grand nombre de consultations électorales, que parallèlement à ces consultations se sont consolidés les mécanismes de participation citoyenne et populaire, et que notre pays à été pionnier dans la mise en place du référendum révocatoire qui permet aux électeurs de mettre librement fin au mandat de tout élu : un processus auquel le Président Hugo Chavez s’est courageusement soumis, chose que beaucoup omettent de mentionner lorsqu’ils l’accusent d’autoritarisme ou de persécution des opposants.
Je tiens à vous réaffirmer, Monsieur le Directeur, notre réelle disposition à apporter des compléments d’information à vos lecteurs qui puissent leur permettre de mieux connaître la réalité de notre pays. Nous serions honorés de pouvoir nous exprimer dans votre quotidien, si vous le souhaitiez, par exemple au sein de sa rubrique d’opinions.
En espérant que vous comprendrez nos motivations, je vous prie, Monsieur le Directeur, d’agréer l’expression de notre très haute considération.
Jesús Arnaldo Pérez
Ambassadeur
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Venezuela : la fuite en avant d'Hugo Chavez, par Jean-Pierre Langellier
Le Monde 18.05.09
Depuis deux mois, Hugo Chavez a déclenché la "troisième phase" de sa "révolution bolivarienne". Fort de son succès au référendum du 15 février, qui lui permettra de se représenter indéfiniment, le président vénézuélien a choisi d'accélérer l'Histoire. Mais le "socialisme du XXIe siècle", qu'il affirme vouloir enfanter, ressemble beaucoup à celui, autoritaire et étatiste, qui, rappelle le philosophe et opposant Antonio Pasquali, "a échoué au XXe siècle dans 46 pays". Les lois qu'il fait voter à tour de bras par un Parlement à sa dévotion et la vendetta qu'il exerce contre ses opposants, élus du suffrage universel, réduisent chaque jour un peu plus l'espace de la démocratie.
L'activisme de M. Chavez est d'abord "pétrolier", dans un pays où 94 % des devises proviennent de la vente du brut. En vertu d'une loi octroyant à l'Etat le contrôle des hydrocarbures, le gouvernement a nationalisé une quarantaine d'entreprises du secteur qui opéraient sur le lac de Maracaibo, la principale région productrice. Quelques jours plus tôt, M. Chavez avait présidé sur place une cérémonie, baptisée "bataille navale de libération", marquant "la récupération par le peuple" de quelque 400 embarcations, remorqueurs, docks et terminaux pétroliers. Les installations ont été occupées par l'armée, et les biens expropriés, transférés à la compagnie d'Etat PDVSA, qui devra absorber 8 000 nouveaux salariés.
Ces mesures sont une fuite en avant. Le prix du baril vénézuélien avoisine 40 dollars au lieu des 60 inscrits au budget. Selon l'OPEP, la production est inférieure de 30 % au chiffre officiel. Sorte d'Etat dans l'Etat, PDVSA est le bailleur de fonds du "chavisme". Son pactole finance la politique sociale du régime, des médecins cubains aux denrées de base subventionnées dans les magasins publics, de l'alphabétisation des adultes à la consommation d'essence, quasi gratuite.
L'effondrement de ses recettes l'a plongée dans le rouge. Sa dette envers ses fournisseurs dépasse 7 milliards de dollars. Certaines entreprises étrangères, impayées depuis de longs mois, ont menacé de mettre la clé sous la porte. En expropriant ses créanciers, l'Etat évite de les rembourser. Il les indemnisera, un jour, peut-être, et comme il l'entendra. Car la nouvelle loi interdit aux spoliés de recourir à un arbitrage international. Le dernier mot appartiendra aux juges vénézuéliens aux ordres du régime.
Ainsi M. Chavez poursuit-il, à un rythme désormais plus rapide, l'étatisation de l'économie. Au fil des ans, il a nationalisé l'électricité, les télécommunications, le principal aciériste, une grande banque et l'industrie du ciment. Il a contraint les compagnies étrangères à devenir actionnaires minoritaires dans l'exploration et la production du brut de l'Orénoque.
Transition vers le socialisme ou "capitalisme d'Etat" ? Les dirigeants vénézuéliens récusent ce terme, qu'ils jugent offensant. "Nous allons enterrer le capitalisme !", annonce M. Chavez. Le Venezuela serait-il le premier pays à concilier socialisme, efficacité et liberté ? "Les autres pays ont échoué, répond l'économiste Jesus Faria, parce qu'ils n'ont jamais appliqué un vrai programme socialiste."
Empruntant à un langage néomarxiste où il est question de "propriété sociale" et d'"homme nouveau", M. Chavez établit un chaînon d'équivalences où gouvernement = Etat = société = peuple. Au-delà de ce court-circuit commode, son modèle économique ne frappe ni par sa réussite ni par son originalité. Un oeil sur La Havane, l'autre sur Moscou, M. Chavez continue d'y puiser son inspiration. "L'Amérique latine sera ce que la Russie n'a pas pu être", prédisait-il en 2005. Son ministre des finances, Ali Rodriguez, déclarait récemment : "Au Venezuela resurgit le rêve de l'Union soviétique."
De plus en plus centralisé et militarisé, le régime harcèle ses opposants. "Ce sont tous des bandits", clame M. Chavez. Le maire de Maracaibo, Manuel Rosales, contraint de choisir entre la prison ou l'exil, s'est réfugié au Pérou. Celui de Caracas, Antonio Ledezma, n'a jamais vraiment pris ses fonctions : des nervis ont occupé ses bureaux ; une loi l'a dépossédé de ses pouvoirs et de son budget. Les gouverneurs des Etats ont été privés des revenus des ports et des aéroports.
Dès qu'ils émettent la moindre critique, les "camarades" deviennent des "traîtres", comme le général Raul Baduel, ex-ministre de la défense, emprisonné début avril. Les médias privés sont dans le collimateur du régime. Deux ans après avoir interdit la plus ancienne chaîne télévisée, RCTV, M. Chavez menace du même sort une autre chaîne, Globovision. Pour contrer "le terrorisme médiatique" des télévisions d'opposition, M. Chavez dispose de son interminable programme dominical, "Allô président". Il s'invite aussi en prime time sur tous les écrans, en vertu d'une réquisition d'antenne dont il use et abuse : au total, plus de 2 800 heures de présence télévisée en dix ans.
Tout cela inquiète l'Eglise, pour qui "la démocratie est en danger". En réponse, M. Chavez fustige "ces évêques impudents" qui défendent "les escrocs". Sûr de son bon droit et convaincu d'incarner seul la révolution qu'il a déclenchée, le champion du socialisme bolivarien supporte de moins en moins la contrariété.
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