Elections iraniennes
14 Juin 2009 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Colonialisme-impérialisme

Le contraste entre ces deux positions montre la difficulté pour la gauche anti-impérialiste de définir une pensée cohérente à propos de la République islamique d'Iran. Ce régime ne peut pas plaire à la gauche depuis le début (depuis 30 ans) puisqu'il s'est construit sur la liquidation des forces révolutionnaires socialistes et laïques iraniennes au profit de la petite bourgeoisie de ce pays.
Ahmadinejad lui-même inspire de la méfiance pour des raisons spécifiques. Une partie de ces raisons relèvent de la désinformation pure et simple, par exemple ses déclarations sur la nécessité de rayer Israël de la carte sont une déformation grossière de son propos initial. Certaines autres de ses initiatives sont pour le moins maladroites voire stupides comme son coup de pouce aux négationnistes en organisant une conférence à leur profit à Téhéran "au nom de la liberté d'expression", d'autant qu'il semble que lui-même en réalité ne remet pas en cause l'existence de la shoah. Cette provocation à l'égard de l'Occident n'avait pas beaucoup de sens. Il est difficile de voir clair dans la position de l'Iran en ce moment sur la judéophobie. On sent que se mêle dans leur vision le paternalisme protecteur habituel de l'Islam, l'antisionisme (justifié selon moi), et une importation de certaines visions complotistes nauséabondes, venues de l'extrême-droite occidentale du 20ème siècle, et qui est ce qu'il peut y avoir de plus détestable en fait dans l'idéologie iranienne en ce moment.
A cela s'ajoute évidemment un mépris pour les libertés formelles (notamment les droits des minorités) qui n'a rien à envier à ce qu'on trouve en Arabie Saoudite, en Egypte, en Syrie.
Ceci étant posé, deux éléments doivent être pris en compte avant d'entrer dans l'engrenage de la diabolisation d'Ahmadinejad. Dans les relations internationales aujourd'hui, on ne peut pas prendre position comme si l'on vivait dans la République de Platon ou tout autre monde idéal. Nous sommes dans un monde de rapport de forces. Ahmadinejad est une pièce importante dans le jeu de ceux qui refusent de réduire la Palestine au statut de bantoustan (ce qu'elle deviendra nécessairement si le point de vue de Mahmoud Abbas s'y impose). Ahmadinejad est un des rares leaders musulmans à mener une politique active de soutien à la résistance armée palestinienne. C'est aussi un des rares leaders du Proche-Orient à jouer avec conviction la carte du non-alignement aux côtés de Chavez, de Morales et de Mugabe. Enfin, son aspiration - qui est aussi celle de l'ensemble de la population iranienne - à pouvoir se défendre au moyen de l'arme nucléaire alors que le pays est encerclé par les bases militaires étatsuniennes et menacé par les missiles nucléaires israéliens et américains - me paraît on ne peut plus légitime.
On peut regretter d'avoir à créditer M. Ahmadinejad de ce genre de choses, mais voilà à quoi la folie impérialiste occidentale - avec la complicité des opinions publiques - nous conduit, et il faut faire avec.
Personnellement je ne partage pas les inquiétudes de certains sur la prétendue folie du dirigeant iranien. C'est un homme qui n'a pas un pouvoir infini puisqu'il est pris dans un jeu d'équilibre de pouvoirs subtil, notamment avec le pouvoir théocratique qui le surplombe. A titre personnel il a l'air d'être un homme de bonne volonté, intègre, issu des classes populaires (ce qui est rare dans ces régions). C'est à l'origine un ingénieur compétent, et courageux - car il s'est battu dans les rangs des gardiens de la révolution pendant la guerre Iran-Irak, porté aussi sur la poésie si l'on en croit son blog (mais c'est un trait répandu en Iran). On peut ne pas aimer ses idées qui sont très largement celles du régime de Khomeyni depuis son origine : un univers moralisateur qui se teinte d'une mystique du sacrifice un peu trop sanguinolante (ici le chiisme rejoint le catholicisme). Mais il faut reconnaître qu'il l'oriente dans un sens souvent pragmatique, et, en tout cas, encore une fois dans le sens du non alignement du Tiers-Monde, ce qui est en soi une bonne chose.
D'un point de vue de gauche, je ne peux pas être enthousiaste pour Mahmoud Ahmadinejad, mais il me faut, comme Chavez, prendre acte de ce qui dans sa politique va plutôt dans le sens de la libération des peuples, tout en sachant que, s'il est renversé, ce n'est pas le régime socialiste rêvé par les trotskistes et le PCF qui s'imposerait en Iran, mais, vraisemblablement, une sorte de régime parlementaire néo-libéral subventionné par les Etats-Unis qui signerait un traité de paix avec Israël et abandonnerait aussi bien la cause des pays déshérités que celle de la Palestine.
Vendredi dernier dans une dépêche de Reuters, le chef des gardiens de la révolution islamique Yadollah Javani dénonçait une "révolution de velours" (par analogie avec la Tchécoslovaquie de 1989) et une "révolution de couleur" (par référence à l'Ukraine notamment). Les médias occidentaux ont parlé de "révoution verte" (cf ci dessous une vidéo occidentale en faveur de l'adversaire d'Ahmadinejad qui devrait faire fuir tous les citoyens conscients des manipulations impérialistes dans le monde, une vidéo qui, comme il convient de nos jours, cherche surtout à brouiller les cartes, situant Moussavi à la fois du côté des aspirations pro-occidentales d'une certaine jeunesse bourgeoise, et du souvenir de la résistance au Shah - avec en prime une défense de "l'intifada électronique" - aider la Palestine sur Facebook, c'est mieux que dans la réalité). La gauche anti-impérialiste même si elle n'aime pas le régime iranien ne peut entrer dans cet engrenage là. La position qui me paraît la plus opportune à l'égard d'Ahmadinejad, même si elle est difficile à tenir, est du côté de la neutralité à l'égard de l'Iran.
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