In bed with Madonna
7 Juillet 2009 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Souvenirs d'enfance et de jeunesse
Ce soir, Arte diffusait "In bed with Madonna"; sorti en France le 15 mai 1991. Comme vous le voyez (ici à gauche), j'avais collé la page du Pariscope qui faisait sa une sur l'affiche de ce film dans mon journal à la date du 18 mai 1991. La première partie de soirée diffusait "Recherche Suzan desespérément", un film de septembre 1985, date de mon quinzième anniversaire.
Je regardais cela tandis que d'autres regardaient les funérailles de Michael Jackson (qui n'a jamais trop été ma tasse de thé à part ses deux premier tubes). Au fond, je n'ai jamais eu de raison spéciale de m'emballer pour cette grosse crevette qu'était Madonna, pas plus qu'un croyant, en dernière analyse, n'en a de croire en Dieu. Mais j'aimais ses chansons, je les prenais au sérieux. Voilà ce qu'aura été mon problème depuis toujours : d'avoir tout pris au sérieux, d'avoir été tellement en empathie avec les rêves et les envies de ce monde, tellement en empathie que j'ai passé mon temps ensuite à m'en protéger. Toutes ces chansonnettes de Madonna qui parlaient si naïvement de désir, comme toute la popmusic, me semblaient incarner ce qu'il y avait de mieux en moi, et dans toute l'humanité, tout ce qui en faisait la jeunesse. Tout cela était indiscutable pour moi. Et d'une certaine façon, ça l'est resté. Simplement tout ça a vieilli. Tout cela est devenu d'un autre siècle. Et moi avec, au seuil de la quarantaine.
Cet après-midi je trouvais sur Facebook un groupe qui s'appelle "La nudité contre la société " créé par des lycéens du côté de Toulouse. Nous n'aurions sûrement pas créé un site comme ça il y a 20 ans. Trop fleurs bleus, comme Rosana Arquette dans "Recherche Suzan". De même nous n'aurions pas pu nous transformer les uns et les autres - les lycéens - en une série d'icones sur lesquelles on peut cliquer à tout moment du jour et de la nuit (sans quoi il y en aurait eu plus d'une qui aurait reçu mes déclarations d'amour, au lieu que je rêve de les dévêtir dans la plus solitaire des solitudes, et, du même coup, la notion de déclaration et même d'amour en eussent été galvaudés). Rien n'était galvaudé, tout était problématique (si bien que nous n'en n'étions pas encore à ne plus pouvoir opposer à la société que notre nudité comme c'est le cas aujourd'hui). Mais le mouvement premier, l'impetus, était le même, et il l'est encore, en moi, dans sa dimension la plus inconditionnée... et la plus insoluble, celle qui ne peut passer de transaction avec rien ni personne.
Difficile de vivre avec le poids des années, le poids des erreurs, dont le souvenir vient tourner l'impetus en ridicule. Difficile d'entendre les musiques du passé, et les rêves qui allaient avec elles. A 20 ans quand j'ai écrit ma première version de La Révolution des Montagnes, mon travail était motivé par l'idée qu'un jour quelque cinéaste en ferait peut-être un film, et je concevais certaines scènes du film sur fond de tubes de popmusic. Plus précisément je concevais la bande annonce. Il y aurait des images du château de Pau, et des gros plans sur les beaux yeux des jeunes femmes qui joueraient les rôles principaux (notamment celui de Patricia Dumonteil). En bande son Come on Eileen des Dexy's Midgnight Runners Voilà qui suffisait à gonfler ma poitrine d'émotions insupportables. J'enfilais un verre de whisky, je dansais un coup, walkman sur les oreilles, je reprenais l'écriture. Belle vie d'autiste n'est-ce pas ?
J'étais dans un état d'esprit plus posé quand j'ai élagué le livre en 2006. Mais l'idée du film, avec la musique d'ado, était toujours là. C'est pourquoi dès que les éditions du Cygne ont décidé de le publier j'en ai adressé un exemplaire à Guédiguian (sa sensibilité "gauche de la gauche" me semblait aller avec le roman, même si ses films ne me plaisent guère), et à WW (qui est béarnaise). WW ne m'a jamais répondu (Guédiguian non plus du reste), mais je l'ai croisée sur Facebook. Elle m'a dit qu'elle trouvait le roman "très chaud", mais je crois qu'elle ne l'a guère aimé. En tout cas je ne pouvais pas compter sur elle pour en parler à des cinéastes.
De toute façon, quand bien même ce miracle se serait réalisé, quand bien même ce roman aurait été porté à l'écran, cela serait advenu trop tard. Filmer le Béarn, c'eût été filmer un univers qui a vieilli, et où mes parents mourront bientôt. Y introduire une musique des années 80 c'eût été une fantaisie d'un quadra grisonnant et bedonnant, à une époque où le statut de cette musique n'est plus ce qu'il était : elle était une musique de merde que nos parents méprisaient, aujourd'hui elle est déjà institutionnalisée, comme avait fini par l'être le jazz avant elle. Tout aurait sonné faux, comme une larme d'un type qui, sachant désormais tout ce qu'il sait sur l'animal humain (et en premier lieu sur lui même) singerait la jeune homme qu'il a cessé d'être. Tous les objectifs ont donc été revus à la baisse et c'est tant mieux : on se contentera d'attendre ce que les gens de Draveil disent du livre, et s'il garde une chance au concours du premier roman de la Ville de Paris.
Aujourd'hui je dois admettre que la musique de mon adolescence, celle qu'on commence à consacrer comme référence classique, n'a plus aucun statut pour moi-même, et que le désir qui lui correspondait (ce désir onirique et pur), même s'il reste vivace en moi, n'a pratiquement plus de voie d'expression possible, si ce n'est sur un mode ironique. Parmi les quelques cerveaux qui se sont généreusement dévoués pour commenter mon roman, aucun ne s'est interrogé sur cet étrange dialogue qui structure l'histoire, entre Fulgaran et Tanya Heaven, lequels ont une douzaine d'années de différence. Je crois qu'il s'agit en vérité d'uen allégorie du dialogue entre un désir mûr et un désir juvénile, c'est-à-dire entre moi et ma jeunesse, à ceci prêt que Heaven est une femme, et surtout une jeune femme d'aujourdhui, c'est à dire une femme dont les rêves ont partie liée avec la dureté pornographique, ce qui n'était pas notre cas autrefois. Qu'importe. De toute façon, le roman vient lui-même trop tard. Plus aucun éditeur n'arrive à rien faire des romans, ni aucun lecteur non plus.
Vous trouverez cette parenthèse nostalgique un peu éloignée des grands problèmes politiques de notre temps. J'aurais pu passer une heure ce soir à vous parler plutôt du coup d'Etat au Honduras (où le Président légitime n'est toujours par retourné), ou des déclarations de Joe Biden sur une attaque possible contre l'Iran (ou du projet de motion pro-révolution verte des bobos du PCF au conseil municipal de Paris). Mais on a nécessairement une vision tronquée de l'être humain (et donc de son devenir politique) si l'on néglige ses grandes dimensions existentielles. Le désir et le temps font partie de ces fondamentaux de toute l'humanité (quelles que soient leurs déclinaisons suivant les cultures, les classes sociales, et la psychologies) sur lesquels il faut revenir sans cesse.
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