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Le blog de Frédéric Delorca

Les comités de citoyens et les pouvoirs

10 Juillet 2009 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #La gauche

Dans le sillage de mon article d'hier sur les peuples et les chefs j'ai été intéressé par le plaidoyer de B. en faveur des "comités d'ouvriers" ou des "comités de citoyens", qui est une idée que j'avais moi-même défendue dans Programme pour une gauche française décomplexée. Comme il faut toujours raisonner à propos de ce qui s'est fait, cet article me rappelait un chapitre de l'historien très connu Marc Ferro (dans Nazime et communisme, Hachette 1999 p. 114) qui s'intitulait : "Y a-t-il "trop de démocratie" en URSS ?"

L'article commençait ainsi :

" "Ne sommes nous pas trop démocrates, et cela ne conduit-il pas à un affaiblissement de la discipline ?" Cette interrogation de K. Tchernenko, en 1982, a de quoi paraître insolite. (...) Pour comprendre la vie politique en URSS, on voudrait tenter ici de rendre ce jugement intelligible."

Ferro y parle d'une double bureaucratisation du système soviétique dans les années 1920 : par en haut (imposée par le PCUS) et par en bas avec l'adhésion des multiples responsables de soviets (au début non communistes) au PC. Pour remédier à ce phénomène, dans les années 30 le parti doit susciter l'apparition de ce qu'on appelle de "Organisations sociales" consacrées comme instances parallèles à l'Etat dans la constitution de 1977. Or ces organisations ont de plus en plus soustrait à l'Etat une partie de ses compétences : par exemple le syndicats gèrent les services de cure, leurs services d'équipement et de transport. Au niveau local sous Brejnev les soviets locaux reprennent de l'importance "la prolifération des banlieues, la création de cités isolées sont autant d'occasionsqui suscitent la naissance d'un nouveau soviet urbain" (p. 123). De même se développe un comité de contrôle du peuple (Komitet Nardnogo Kontrolja) associée aux soviets dont un Soviétique adulte sur 6 avait été ou était inspecteur. "Ces milliers de comités reçoivent des rapports, des plaintes, des protestations sur tous les dysfonctionnements imaginables : la Pravda du 8 août 1977 indique que le bureau central du KNK à Moscou avait reçu 575 000 lettres en deux ans" (p. 124), et les inspections menées par la KNK dans les usines les kolkhozes, n'étaient pas toujours purement symboliques. Le développement de ces "organisations sociales" était souvent une source d'anarchie, de confusions de compétences avec le Parti et l'Etat, mais il n'en constituait pas moins un phénomène typique des années 60-70.

L'histoire des diverses initiatives pour créer des instances de contrôle collectif sur les administrations, les entreprises etc est très fournie. En France par exemple, il y a eu une littérature foisonnante là dessus dans les années 1970 dans la logique de l'autogestion (les socialistes avaient des projets de création des comités d'usagers un peu partout). beaucoup des idées lancées à ce moment là devraient être actualisées et étendues : créer ds comités de contrôle citoyen des banques, des enreprises privées, des journaux, de la TV, de la SNCF, de la police, de l'armée, des services publics en général, des maisons d'éditions, de l'activité des intellectuels, des pratiques médicales etc.

Par ailleurs, en ce moment si l'on regarde à l'étranger, on trouve encore des exemples de valorisation des comités de citoyens. En Amérique latine le mouvement bolivarien repose beaucoup sur des comités de quartier (juntas vecinales). On retrouve cela aussi dans la Jamahirya libyenne (cliquer sur le lien) qui, tout en étant une dictature s'est toujours voulue autogestionnaire.

Evidemment la frontière est toujours ténue entre la participation citoyenne spontanée et l'embrigadement, et entre le contrôle populaire sur les institutions, et le flicage de tous par tous dans le cadre de ces organes "participatifs". Sans oublier cette tendance apparemment inévitable des plus instruits, des plus malins, des plus déterminés à appliquer une ligne, à accaparer les organes de contrôle au détriment des autres réduits au rang de figurant (et cela vaut, que l'organe soit de pur contrôle ou qu'il ait un pouvoir décisionnel réel). On constate le phénomène dans n'importe quelle AG d'étudiants, et n'importe quel comité des fêtes villageois

La solution imaginée dans le cadre de la révolution culturelle chinoise - de virer les apparatchiks dès les prémices de leur institutionnalisation - n'est pas satisfaisante car elle déchaîne dans la sociétés des tendances anarchiques et paranoïaques, une logique de guerre civile.

Il existe aussi un risque que les comités de citoyens à force de palabres et d'inspections tous azimuts (ou de décisions anarchiques s'ils ont un pouvoir décisionnel) nuisent gravement à l'efficacité de l'appareil de production voire paralyse toute l'économie (mais l'argument économique me semble moins intéressant ici que celui de la justice politique, c'est à dire celui des entraves à la participation de tous, l'économie n'étant qu'un objectif secondaire de l'organisation politique d'une société).

Etant philosophiquement sceptique sur l'aptitude de l'humanité à atteindre un équilibre social juste sur le long terme, je ne puis que prendre acte de ces difficultés à pérenniser les possibilités de contrôle populaire sur les organes d'Etat et sur les entreprises sans déboucher sur de nouvelles formes de confiscation du pouvoir par une minorité. Mais prendre acte de cela ne signifie pas pour autant qu'il faille renoncer au projet. Il me semble que, paradoxalement, c'est toujours par une impulsion "par en haut" que les organes de contrôle (ou de décision) "de base" peuvent garder une visée réellement démocratique. C'est en liquidant par en haut les tentatives d'accaparement par des minorités que les contrôles de base peuvent continuer de fonctionner au profit du plus grand nombre. Mais il faut reconnaître que l'équilibre entre le haut et le bas dans ce système pour éviter les dérives dictatoriales est nécessairement difficile à trouver...

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C
                                   Bonne analyse, bravo...mais l'impulsion par le haut, souhaitable 'est-ce pas le recours à l'homme providentiel ? il faudrait développer un peu...                                   Bravo, joli blog, je reviendrai                                                           condor79
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