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Le blog de Frédéric Delorca

Charles Barron / Connie Mack

11 Juin 2007 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Les Stazinis

J’apprends toujours beaucoup sur notre monde en rédigeant les nouvelles du blog de l’Atlas alternatif. Hier j’ai découvert d’existence de Charles Barron, conseiller municipal démocrate du 42 ème district de New York, et son débat bref mais intense avec le député républicain de Floride Connie Mack, l'homme du lobby des millionnaires cubains de Miami sur Fox News (repris sur You tube). Il suffisait de regarder la tête de ces deux hommes pour voir lequel des deux était le plus honnête. Et, bien sûr, cela se confirmait en les entendant. J’ai découvert sans grande surprise que le député de Miami avait été à l’initiative de tout ce qui, au cours des quinze dernières années, en matière de dispositif légal imposé par les USA, avait pu nuire au peuple cubain et à l’émancipation des peuples d’Amérique latine.

Je me suis renseigné du coup sur Charles Barron. J’ai appris qu’il avait été membre des Black Panthers. J’avoue ne pas connaître grand-chose à ce mouvement, bien que le Temps des Cerises, si je me souviens bien, leur a consacré un bouquin. Je me souviens que Diana Johnstone en avait connu certains militants, et n’en disait pas que tu mal. Romain Gary aussi (un gaulliste pourtant) les traite avec une certaine sympathie, je crois, dans Chien Blanc, alors que l’histoire officielle passe son temps à stigmatiser leur « extrémisme ». Depuis ma jeunesse je n’entendais jamais parler que de « repentis » de ce mouvement. Avec Charles Barron nous avons au moins un homme qui essaie de faire quelque chose de constructif sans renier son credo anti-impérialiste de jeunesse. Pas étonnant donc que les textes qui parlent de lui sur Internet l’accusent de toutes sortes de maux, à commencer par le « racialisme » - certains parlent surtout de racisme.

J’observe tout d’abord qu’il ne doit pas être facile de faire de la politique en tant que noir aux Etats-Unis, même aujourd’hui, et même quand on est un « oncle Tom » - ainsi les appelait Mugabe – comme Collin Powell ou Condolezza Rice. Il doit falloir se faire une bonne autosuggestion quotidienne pour se dire qu’on est à sa place, qu’on est malgré tout fidèle à ses ancêtres, que les Etats-Unis peuvent devenir un jour, sans révolution de ses structures, un pays réellement multiracial, un pays qui pourra cesser d’avoir 50 % de Noirs dans sa population carcérale, et qui cessera d’opprimer les Noirs d’Amérique du Sud et d’Afrique. Ce doit être d’autant plus dur quand on a face à soi en permanence des Connie Mack qui, comme le dit Barron dans le débat, incarne la « suprématie de l’homme blanc » avec la pire des arrogances, et une horrible mauvaise foi.

On m’objectera peut-être qu’un engagement universaliste à gauche ne devrait pas prendre en compte la spécificité des couleurs de peau, le racialisme étant l’anti-chambre d’une dérive vers l’extrême-droite. Mais ce serait faire preuve d’un irréalisme complet. On ne peut pas faire comme si les gens n’avaient pas de couleur, ni comme si un député noir valait un député blanc dans l’imaginaire des gens ordinaires. Le communisme soviétique a échoué à éradiquer le racisme de sa sphère d’influence à force de l’ignorer et de le noyer dans un internationalisme artificiel. Pour affronter le problème des discriminations raciales, comme des discriminations de genre, il faut commencer par les intégrer comme des données identitaires importantes du débat politique. Et, même si les militants de la cause noire, comme les militants du féminisme, dérapent parfois dans le communautarisme, on ne peut pas en tirer argument pour nier cette dimension objective des rapports humains dans le débat politique.

Puisque nous parlions du Venezuela dans cet article, j’observe que la révolution bolivarienne elle-même a décidé de prendre en charge cette thématique. Je crois me souvenir qu’il y a quelques mois un article de la revue du MRAP abordait cette question : Chavez, en jouant de son propre métissage, se pose en défenseur des gens de couleur. Je ne crois pas qu’on doive l’en blâmer. Le réalisme l’y oblige. Il ne peut pas faire comme si les gens les plus opprimés de son pays n’étaient pas en même temps les plus colorés.

A part cette question du racialisme, on reproche à Barron ses accointances avec Mugabe et Castro. Mugabe et Castro sont sur la scène mondiale dans la même position d’un Charles Barron face à un Connie Mack sur la scène de Fox News. Ils jouent une partie inégale face à un joueur malhonnête (le système politico-économique issu de la révolution capitaliste occidentale) qui a tous les atouts dans sa manche. On peut facilement ensuite leur reprocher leurs faux pas. C’est comme si l’on organisait une course entre un homme à pied et un homme à cheval et si l’on reprochait au premier de chanceler après avoir franchi la ligne d’arrivée. Moi, je trouve que l’alliance entre Barron, Castro et Mugabe – qui n’est d’ailleurs sans doute pas une alliance solide, forgée à coups de dollars comme l’en accuse Connie Mack – a quelque chose de profondément respectable, au milieu du cynisme de ce monde, quels que soient les défauts respectifs de ces trois hommes et des politiques qu’ils incarnent.

J’observe au passage que nous n’avons pas, nous, en France, des élus qui ont conquis de haute lutte des districts miséreux, composés d’underdogs, de laissés-pour-compte basanés, et qui portent une voix anti-impérialiste dans les grands médias. Aux Etats-Unis il y a Charles Barron, en Grande-Bretagne George Galloway. Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet, que je garde pour une autre fois.

Pour terminer je voudrais signaler aussi à quel point nous ignorons l’histoire des dominés, la façon dont ils l’ont vécue, la manière dont ils la racontent. J’en ai pris conscience davantage encore samedi dernier en allant voir le très bon film de Barbet Schroeder sur Me Vergès. Le film parle abondamment de Jamila Bouhired (qui fut l’épouse de Me Vergès), ce qu’elle a représenté pour les indépendantistes algériens, pour les Palestiniens, pour tout le Tiers-monde en révolte au tournant des années 1960. J’avoue ne jamais en avoir entendu parler auparavant. Il est vrai que j’ai grandi dans la culture bourgeoise de Sciences Po et des médias. Mais j’ai regardé sur Internet. Les mentions de ce nom y sont des plus rares. J’ai regardé le livre d’Annie Cohen-Solal sur la vie de Sartre. Elle y détaille sur trois pages le procès du réseau Janson (dont Barbet Schroeder ne dit rien), fait référence au rôle qu’y tint Vergès, mais ne cite le nom de Jamila Bouhired qu’une fois en passant dans la liste de condamnés à mort sans un mot sur le symbole qu’elle a représenté.

Cette ignorance de l’histoire des peuples colonisés devrait inciter tout le monde (et notamment les dominants) à la plus grande modestie à leur de se prononcer sur les grands problèmes de notre temps…

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