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Le blog de Frédéric Delorca

Philosophie bourgeoise

14 Juin 2007 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Billets divers de Delorca

Dialogue avec un ex-prof de philo devenu bureaucrate aujourd'hui. Nous parlions du film sur Vergès, et du combat de Jamila Bouhired.

Lui : "Mais c'est horrrrrrrrible. Elle a commis des attentats qui ont tué des gens !!!

Moi - Parfois la violence se justifie face à une situation coloniale intolérable.

Lui (rigolard, arrogant) - Mais tout ça pour ça, pour ce qu'est devenu l'Algérie !

Moi - Oui, elle est devenue un client du FMI, mais peut-être justement parce qu'il n'y avait pas assez de Jamila Bouhired dans ce pays !

Lui - Alors si le choix c'est entre le fanatisme et la corruption moi je dis joker !".

En écoutant parler ce pauvre homme, encroûté dans son train train quotidien, j'ai compris pourquoi je devais me défier de la philosophie, ou du moins de l'usage que notre époque en fait. Passe encore qu'il confonde adhésion au FMI et corruption (l'adhésion au FMI c'est la compromission avec le néo-colonialisme, une réalité différente de la corruption). Mais le pire était ce raccourci incroyable entre résistance armée au colonialisme et fanatisme.

"Fanatique" pourquoi ? parce qu'elle tuait, dans les discothèques, des bourgeois européens insouciants qui jouissaient en tout inconscience du système colonial sur le dos de son peuple ? parce que l'être humain civil est par nature un innocent même s'il se complaît dans sa fatuité sotte, et cautionne par ce comportement les systèmes sociaux les plus horribles ?

"Fanatique", en vérité, parce que cette femme avait des certitudes, parce qu'elle a poussé le sens de la dignité jusqu'à tuer, voilà ce que lui reprochait en fait le bureaucrate, qui lui-même se définit comme un "tiède". Dans la tiédeur rampante de cet homme, celle qui le fait tous les jours ployer devant des chefs médiocres, et adhérer aux pires absurdités du système dominant (dans son boulot, en politique), se glisse une arrogance qui en aggrave l'abjection : celle du philosophe (ou de l'ex-philosophe) qui se croit supérieur, parce que lui a le sens du doute, ce que ces "fanatiques" sont censés ne pas avoir.

Je le dis toujours : la guerre du Kosovo fut mon école politique. Au début, en juillet 1998, j'étais moi aussi un bureaucrate, et je me prétendais philosophe. Et, contre mon correspondant serbe qui proclamait que la Serbie ne commettait pas de génocide au Kosovo et que tout cela n'était qu'une manipulation des grandes puissances contre son pays, j'objectais, moi aussi, le principe arrogant du doute. Skeptomai. Mais j'ai très vite compris qu'il fallait aussi savoir trancher, hiérarchiser les arguments, les témoignages, et placer certaines valeurs, comme la vérité, la dignité humaine, la justice, le courage au centre de tout, et au dessus du doute.

Je n'ai plus supporté ensuite, tous ces pauvres ignares qui, parce qu'ils lisaient Le Monde chez eux le soir, se croyaient supérieurs aux autres, et, devant mes convictions anti-systèmes s'exclamaient : "que diable as-tu fait de ton doute philosophique !". Ces gens déshonoraient la philosophie. Qu'on relise la Vie de Dion ou celle de Caton d'Utique de Plutarque. Et l'on verra comment les vrais philosophes placèrent les valeurs supérieures de l'humanité au dessus du doute.

Jamila Bouhired s'inscrivait dans leur lignée, dans le sillage de Socrate. Et mon bureaucrate arrogant stupide, avec son doute de pacotille adapté aux intérêts de sa caste, est dans le camp de ceux qui fournissent la ciguë.

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