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Le blog de Frédéric Delorca

Actes de contrition

24 Mai 2011 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Débats chez les "résistants"

Un commentateur régulier de ce blog a lancé deux questions à la suite de la petite vidéo d'hier montrant la réaction de François Mitterrand face à ceux qui demandaient des excuses de la République pour la déportation des Juifs sous le régime de Vichy.

 

Pour que ses questions ne passent pas inaperçues, je les mentionne dans ce billet. Mais c'est pour ajouter aussi vite que je ne me sens pas du tout qualifié pour apporter une réponse. Pire : je crois aussi que 75 % des gens qui ont entrepris d'écrire des bouquins ou des articles sur le thème de la repentance n'étaient pas qualifiés pour le faire. Je veux dire que dans les années 1990 il était très facile pour une petit sociologue ou un petit philosophe sans envergure de se faire mousser en demander des excuses de la République ou au contraire en soutenant que celle-ci n'avait pas d'excuses à donner, comme il était facile de satisfaire son égo en dénonçant toutes sortes de génocides réels ou imaginaires sur la planète, ou le "trou dans la couche d'ozone" etc. Du coup je n'ai pas lu les 25 % de textes qui étaient peut-être pertinents sur le thème, mais perdus dans la masse des arguments dépourvus de tout intérêt, ce qui me rend encore moins compétent pour en parler.

 

Je ne peux que livrer quelques bribes personnelles, qui ne sont que de l'ordre de l'affect, qui témoignent en quelque sorte de "l'évolution de ma perplexité" sur ce sujet comme sur tant d'autres, une évolution qui peut-être croisera celle de beaucoup d'autres personnes.

 

D'abord au début des années 1990 j'ai été très frappé par le film Shoah (que j'ai dû voir en 1993), par le procès Barbie, et très marqué par les travaux de Danièle Lochak en histoire du droit. J'ai été choqué de voir que le Conseil d'Etat, institution qu'à Sciences Po on nous apprenait à vénérer, et les éminents juristes qui gravitaient autour de lui, a continué (sans épuration en 1940 ni en 1944) a produire de la légitimation juridique aussi bien sous le régime qui déportait les Juifs que sous la République, et sur les lois les plus répressives et les plus discriminatoires, imperturbablement. Et j'ai éprouvé le même malaise d'ailleurs en découvrant que cette grande institution de la République avait légitimé les camps d'internement et les lois d'exception contre le FLN en Algérie.

 

Tout cela a beaucoup affecté ma foi dans la République française laquelle d'ailleurs ne croyait plus guère en elle-même puisqu'elle a très vite, sous Jacques Chirac, reconnu les droits des victimes au point non seulement de s'excuser - ce que François Mitterrand refusait - mais aussi d'admettre sa responsabilité civile via celle de la SNCF.

 

Puis nous avons connu cette compétition des mémoires et des demandes indemnitaires qui est d'ailleurs répandue dans tout l'Occident et qui est un grand vecteur de replis communautaires (ce que F. Mitterrand dans sa vidéo appelait "la haine"), et auquel ma propre généalogie n'est pas étrangères (puisque les descendants de Républicains espagnols eux-mêmes ont tendance à unir leurs revendications à celles des Juifs pour obtenir réparation de l'internement de leurs aïeux et de leur déportation).

 

Cet affaiblissement de la République française face à la compétition mémorielle a coïncidé avec sa mise sous tutelle de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord et son renoncement à entendre la voix de la souveraineté populaire.

 

Du coup j'ai aussi commencé à écouter d'une oreille différente la voix des défenseurs de la dignité de la République, notamment après que la République française ait pu s'affirmer comme l'unique obstacle sur la scène internationale à la folie impériale étatsunienne en Irak.

 

Aujourd'hui j'entends différemment les mots de François Mitterrand que je ne le faisais en 1993-94. Je remarque leur style, leur intonation. Ils me semblent revêtir une profondeur que je ne percevais pas à l'époque. Ils sont empreint d'une admiration profonde pour les réalisations de la République, et sont un peu plus inspirés que le cynisme à deux balles d'un Eric Zemmour sur le thème "la raison du plus fort est toujours la meilleure".

 

En même temps je n'oublie pas que celui qui les prononce est celui-là même qui a fourvoyé la France dans tous les égarements pour lesquels les victimes réclament des comptes aujourd'hui : le soutien à un régime antisémite, la participation à une guerre coloniale atroce en Algérie, l'alignement de la France sur les Etats-Unis d'Amérique.

 

Je ne peux pas nier complètement non plus que la défense des individus contre la Raison d'Etat est un grand progrès de notre civilisation, que l'individu soit considéré comme une "victime" ou comme un sujet potentiel de son droit et de son histoire. La "dé-banalisation" du crime et du massacre est un progrès incontestable.

 

La repentance est donc juste un sujet qui me laisse perplexe. Il y a 5 ans je me suis mis tous mes collègues juristes à dos quand j'ai demandé qu'une "salle Napoléon" fût débaptisée et qu'on y introduisit une Marianne à cause du souvenir de la restauration de l'esclavage pas l'Empereur (la fonction spécifique de cette salle dans l'espace institutionnel que je ne puis hélas décrire ici sans quoi je manquerais à mon obligation de réserve, justifiait à mes yeux qu'on effaçât à tout prix le télescopage possible avec le souvenir de l'esclavage). On m'accusa de défendre la "political correctness" et de vouloir une repentance permanente de la France.

 

Gaulois

On pourrait dire que si la Sainte Eglise catholique, dont les dogmes internes impliquaient que son pape fût infaillible (un dogme récent certes) a fait acte de contrition la République pouvait le faire sans perdre son âme. Sauf que par la repentance les institutions chrétiennes se grandissent, l'Evangile elle-même le leur prescrit. En va-t-il de même pour les Etats laïques ?

 

Avant hier je longeais un ancien hôpital à Séville qui est aujourd'hui le siège du parlement d'Andalousie. Le guide nous expliqua que ce bâtiment avait été, sous les Rois Catholiques, un élément d'une vaste politique de regroupement et de rationalisation des hôpitaux du royaume de Castille et d'Aragon. Je ne sais pourquoi j'ai été surpris d'apprendre cela parce que tout le monde nous enseigne depuis 1990 à ne percevoir les Rois Catholiques que comme les auteurs du massacre des Amérindiens, de la conversion forcée des Maures et de l'expulsion des Juifs. Or bien sûr nous savons tous que tous ces grands royaumes à l'avant-garde de la modernité occidentale - ceux de France, d'Angleterre et d'Espagne - qui furent des régimes très répressifs furent aussi par ailleurs les premiers à développer de vrais services publics et sauvèrent peut-être ainsi par ce biais beaucoup plus de vies qu'ils n'en ravirent.

 

Saurons nous trouver la juste approche dans le rapport entre l'institution et l'individu (ou le groupe d'individus coalisés) ? Le ton juste dans la défense de leurs droits et de leur souveraineté respective ? Quand je vois en ce moment les particuliers s'adresser aux tribunaux ou aux municipalités sur le ton infantil de l'injure et du "je veux tout tout de suite", et les fonctionnaires ou les responsables de ces institutions mourir de culpabilité et de timidité face à ces agressions, tandis que, par ailleurs, les institutions, elles, volent aux individus le sens du vote démocratique qu'ils expriment, leur mentent, empiètent effrontément sur leur vie privée, tout en se couchant par ailleurs devant les intérêts des grandes entreprises privées (c'est à dire des mâles alpha des individus coalisés en meute), je me dis que le juste équilibre ne peut être atteint dans le système actuel et que c'est d'une refonte complète, peut-être rousseauiste ou rousseauienne, qu'il nous faudrait rêver. Une manière d'éluder peut-être la problématique de la repentance... ou bien de la placer dans son seul cadre légitime...

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