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Le blog de Frédéric Delorca

Bonapartisme(s)

9 Janvier 2013 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Débats chez les "résistants"

Le bonapartisme est un phénomène très intéressant à examiner dans nos systèmes politiques modernes. La tradition marxiste l'a examinée dans sa dimension historique première - le coup d'Etat militaire qui vient rassurer le peuple au terme de l'anarchie révolutionnaire (problème très important et sans solution évidente). Mais au fond ce phénomène se prolonge sous diverses formes non-militaires et/ou en dehors des périodes révolutionnaires.

 

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Le boulangisme en France ou le chavisme au Venezuela furent des phénomènes bonapartistes très largement militaires (du fait de la fonction de leur leader et de la nature des forces sociales qu'ils étaient susceptibles de mettre en branle) mais hors période révolutionnaire. Le gaullisme aussi. Mais il y eut aussi des bonapartismes non militaires comme le stalinisme (Trotski a mon sens eût raison de désigner comme tel le putsch de Staline et de sa bande au sein du PC soviétique) et, d'une manière générale, tout populisme reposant sur le charisme d'un chef (et non sur l'esprit de discussion rationnelle d'une direction collégiale) peut être qualifié de bonapartiste : le berlusconisme en Italie, le régime de Saddam Hussein en Irak (en tant que la famille Hussein avait fait main basse sur le Baas, si l'on me pardonne cette alitération), celui de Berlusconi en Italie ou celui de Loukachenko en Biélorussie (Loukachenko, outsider étranger au PC biélorusse devenant le héros de sa nation, comme Smirnov en Transnistrie). Il y a des bonapartismes soutenus par l'armée, d'autres par les banques. Je me souviens de Bourdieu qualifiant de "putsch bonapartiste" ou de "18 Brumaire" contre les institutions académiques les interventions des philosophes médiatiques à la BHL.

 

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Le bonapartisme est un phénomène ambigu qui résulte du goût de l'humanité pour les individualités fortes qu'elles désignent comme leur chef (un goût que nous avons en commun avec beaucoup d'autres primates, et qui est donc probablement génétique), et de la médiocrité (voire de la paralysie) souvent avérée des mouvements reposant sur des logiques plus collégiales (du fait notamment que ne s'y affirme aucune personnalité d'envergure - comme le gouvernement Ayrault aujourd'hui, si l'on veut).

 

Le bilan de chaque forme de bonapartisme constatée dans l'histoire est toujours très complexe à réaliser. Leurs dérives monarchiques ou tyranniques ont toujours été dénoncées (surtout dans les contextes de difficultés économiques ou de défaite militaire, la "mégalomanie" du leader devenant le bouc émissaire (et le bouc émissaire pas toujours innocent), des problèmes rencontrés. Il est toujours difficile de savoir après-coup, si le bonapartisme a sauvé le pays (son indépendance, son système social etc) ou s'il l'a affaibli, s'il l'a fait progresser et régresser socialement, économiquement, etc (les systèmes bonapartistes étant souvent tantôt "sociaux", tantôt plus enclins au compromis avec le pouvoir financier, et souvent très propices à la corruption, mais on ne sait pas s'ils sont nécessairement plus corrompus que, par exemple, les Républiques libérales). Ils sont solides en tant qu'ils dynamisent souvent beaucoup de secteurs sociaux, notamment les plus dominés (songez à l'énergie déployée par le petit peuple français pour aller se battre pour l'Empereur... et apporter le code civil en Europe de l'Est), fragiles aussi en tant qu'ils dépendent des faiblesses humaines du dirigeant (et disparaissent avec lui).

 

On ne peut pas nier, je crois, que le bonapartisme accélère l'histoire. Il débloque des situations stagnantes, lorsqu'il bouscule les oligarchies et les vieilles aristocraties impotentes. Mais c'est toujours un pari risqué qui peut entraîner, in fine, des pertes collectives bien supérieures aux gains. Je ne crois pas que la France ait beaucoup perdu dans le bonapartisme de Napoléon Ier, ni le Congo avec celui de Mobutu, par exemple (surtout si l'on compare avec ce qui a suivi). Il fut en revanche désastreux au Panama, avec Noriega (mais en partie à cause des obstacles posés par les puissances étrangères). La perte principale (qui fait qu'un esprit de gauche hésite toujours à soutenir le bonapartisme, ou n'accorde son soutien qu'à des Bonaparte dont la vertu civique et la fibre sociale paraissent assez avérées) tient bien sûr au fait que plus encourage le culte du charisme personnel dans une société moins on se donne les chances d'avoir un humanité plus autonome et rationnelle à long terme. Si bien que le bonapartisme, pour un esprit de gauche, ne peut être, au mieux, qu'un expédient.

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