Défense nocturne de la "Grande culture" d'antan
14 Juin 2013 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Ecrire pour qui pour quoi
Je viens d'un monde où la "culture respectable" formait un tout cohérent. Les gens dans ce monde-là n'allaient pas glaner des connaissances ici et là sur le Net, puis collectionner des savoirs pointus dans une logique de "distinction" (un savoir de geek). La culture était un bloc canonique avec ses points de passage obligés : Goethe, Balzac, Shakespeare, Flaubert, Kant, Platon, que sais-je encore. On n'était pas forcés d'aimer ces références, mais on était forcés de les respecter et de "tenter de les lire" si l'on voulait être soi-même respectable. Elles formaient un tout, inspiraient un style, fournissaient des images à nos vies. Tout le monde était d'accord là dessus.
Il y a peu je regardais des DVD de la série Magnum (années 80), qui est empreinte d'un regard un peu distancié, amusé, mais très déférant au fond à l'égard de cette "grande culture". C'était un monde où aucune journaliste de Canal + ne se serait permis d'émailler son propos, comme je l'entendais récemment de ponctuations du type "souvenez vous, nous vous en avions déjà parlé le mois dernier", parce que l'actualité ne nous imposait pas sa dictature, et aucun journaliste ne se serait senti autorisé à imposer à son public de se souvenir de ce qu'il y avait dans cette futile actualité un mois plus tôt.
Cette "grande culture" était discriminatoire, machiste et raciste, mais elle gardait une vocation universaliste comme celle de l'Empire romain, qui, ne l'oublions pas, unissait autrefois les deux rives de la Méditerranée (il y eut des empereurs gaulois, ibères, mais aussi arabes). Elle entretenait dans les élites beaucoup d'hypocrisie, de mépris, et de sentiments détestables, mais proposait aux plus jeunes une Forme, une façon d'être tournée vers l'exigeance et la beauté.
Moi qui étais un fils d'ouvrier, à moitié métèque, je risque de survivre dans le monde d'aujourd'hui comme un dernier témoin et peut-être un ultime serviteur de ce monde culturel qui, à l'époque, me prenait de haut et auquel j'inspirais au mieux de la condescendance paternaliste, un peu comme ces supplétifs des légions romaines francs, goths, burgondes qui, après avoir mis à terre l'Empire, firent rouvrir les arènes et restaurèrent les institutions qu'ils avaient détruites parce qu'elles étaient au fond pour eux le seul moyen de former une société digne de ce nom.
J'ai beaucoup écrit sur ce blog au cours des dernières années sur des grands personnages du 19e et du 20e siècle. J'ai même ressorti Etiemble, ce vieil érudit des années 70 qui nous faisait sourire (parce qu'il était "has been" et parce que son culte des lettres à l'époque me faisait violence) quand il apparaissait sur les plateaux de TV d'Apostrophes de Pivot, et dont j'ai redécouvert, il y a peu, le phrasé, et les combats politiques ô combien nobles. Hier soir je jetais un coup d'oeil à une nouvelle série d'Arte, "Odysseus" qui, plus que de nous parler du monde d'Homère, utilisait celui-ci comme prétexte aux projections de notre époque. "Plus belle la vie chez Ulysse", tel aurait dû en être le titre. Avec une scène de coucherie toutes les 5 minutes (parce que c'était français, en version américaine c'eût été trois décapitations par quart d'heure), et entre les deux pas grand chose, ou plutôt oui : le vide sidéral qui emplit la tête des scénariste, et de la plupart des créateurs parce qu'il n'y a de toute façon plus rien à dire ni plus rien à penser. "Français encore un effort" pour vous réapproprier la culture moribonde à laquelle le siècle dernier croyait encore un peu, voilà le défi qu'on voudrait lancer. Hé quoi, vous avez 28 ans et écoutez sur You Tube "REM", "Kim Carnes" et autres veilleries chéries par vos parents. Pourquoi ne vous feriez vous pas un devoir, aussi, de lire et de respecter tout ce qu'eux mêmes ont dû se coltiner ? Allez, chiche. On verra bien si après, quand vous aurez fait cela, il y a encore autant de vide sur Internet et sur la TNT...
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