Jonathan Coe
29 Mai 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #La Révolution des Montagnes
"De façon générale, je pense qu'un individu quel qu'il soit, en atteignant la quarantaine, le milieu de sa vie, a de plus en plus de mal à considérer l'existence et la société comme une plaisanterie - fût-ce une plaisanterie tragique. Ce qui commence à vous frapper, c'est plutôt la tristesse qu'il y a dans la façon dont les choses tournent, dans les ratages, les erreurs commises qu'on ne peut pas toujours réparer..." Voilà ce que déclarait en 2009, l'écrivain britannique Jonathan Coe dans Télérama.
La même année, en octobre, Technikart faisait un dossier sur la "crise des 40 ans". Décidément les quadras des années 2000 auront bien écrasé les jeunes sous le poid de leur tristesse. Il n'en allait pas de même dans les années 80, je crois. A l'époque au contraire les quadras de la génération d'avant nous écrasaient de leur autosatisfaction idiote de gens qui étaient fiers d'avoir "fait mai 68", renversé le vieil ordre conservateur et amené au monde le freudisme pour tous, les films X et le capitalisme boursier.
J'en profite pour dire un mot de Jonathan Coe. Je lisais son pavé sur les années Tony Blair "Le cercle fermé" ce weekend sans avoir lu la première partie du dyptique (c'est juste un livre que quelqu'un m'a passé, mais on peut le prendre en route sans avoir eu accès au premier tome). Par sa prolixité il fait penser à Irving auquel je m'intéressais à 20 ans. Son roman se lit assez bien, c'est efficace sur la première moitié. Mais à la longue on se lasse un peu et l'on repère les ficelles : ces chapitres courts avec les rebondissements de dernière minute qui vous donnent envie de connaître la suite. Un peu comme une bonne série TV ou un paquet de Chips dans lequel on glisse juste les ingrédients qui vous donneront envie d'en manger un second paquet, sans qu'on puisse affirmer que le premier était bon. Il y a quelque chose de l'ordre de l'addiction là dedans. A la moitié du livre, on se rend compte que c'est un peu trop gros. Ces personnages auxquels il faut absolument que quelque chose de palpitant arrive, comme dans Desperate Housewives. Ca ne peut pas être crédible sur toute la longueur. D'autant que qui peut accepter une seconde que sept ou huit personnes qui ont été ensemble dans un lycée provincial à Birmingham dans les années 70, se retrouvent toutes, comme par hasard, à des postes très importants (deux journalistes, un député etc, au point même que deux d'entre deux font partie du Top 50 des personnalités britanniques de l'année 2002) qui les mettent en prise avec la grande histoire (l'histoire avec un grand "h") de leur pays ? Il arrive un moment où cela devient un peu "too much", un peu trop tiré par les cheveux.
Mais bon, je sais que tout le monde n'aura pas un regard aussi sévère que le mien. D'ailleurs il y a vraiment des bons passages dans ce livre, et des personnages attachants. Par exemple l'éternelle célibataire (divorcée, mais ça revient au même) italophile qui, de retour dans son pays après une longue absence, découvre tout ce qui est devenu plus violent, plus absurde (notamment avec le culte du téléphone portable) en Angleterre - quelque chose qui fait penser qu'au tournant du millénaire ce pays a connu comme la France, un processus de très grande dégénérescence des mentalités : globalisation oblige, la vulgarité ne l'a pas épargné non plus. L'idylle du député néo-travailliste (blairiste) égocentrique de 35 ans avec une stagiaire de 20 ans est traitée sans manichéisme et sur un mode qui restitue parfaitement l'impasse à laquelle mène l'inadéquation affective probablement génétique entre hommes et femmes. (On retrouve cette thématique aussi dans le portrait au vitriol de l'incurie des hommes condamnés à surveiller leur progéniture dans les jardins d'enfants, mais là le trait est trop forcé). On peut apprécier aussi les petits allers-retours Normandie-Angleterre que l'auteur offre à au moins deux reprises à ses lecteurs et qui en dit long sur le regard anglais porté sur nos falaises. Tout cela suscite d'autant plus l'adhésion que le point de vue de l'auteur est très à gauche, presque aussi anti-blairiste qu'anti-thatchérien. Et, pour cette raison aussi sans doute, assez nostalgique.
Certains comparent Coe à Evelyn Waugh dont je lisais avec délice "Scoop" à 17 ans. C'est peut-être un peu exagéré. En tout cas je ne crois pas que Waugh ait jamais eu recours à des techniques de fabriquants de chips pour tenir son lecteur en haleine. Pas aussi grossièrement en tout cas (d'ailleurs ses livres étaient plus courts). Je pense qu'il faut voir l'influence de l'état d'esprit télévisuel sur la littérature dans le recours à des procédés si peu recommandables.
A chaque fois que je lis de la fiction, cela me rappelle que moi aussi j'ai écrit un roman, dont mon éditeur il y a peu encore disait qu'il était "excellent" et qu'il était fier de l'avoir publié. Je me demande si un jour des lecteurs éclairés s'y intéresseront. Après ma mort peut-être...
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