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Le blog de Frédéric Delorca

L'arrière-plan mitterrandien

19 Février 2011 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Souvenirs d'enfance et de jeunesse

Les années 1990 furent catastrophiques pour le monde parce qu'elles marquèrent l'apogée de l'arrogance occidentale et le début d'une foi stupide dans toute sorte de leurres comme ce que nous appelions, par exemple "les autoroutes de l'information", mais elles n'étaient pas encore catastrophiques pour la France.

 

Nous avions encore Mitterrand, nous l'avons eu jusqu'en 1995. Soyons clairs : je suis radicalement hostile au mitterrandisme comme pratique politique, comme art de la trahison, à l'égard duquel des gens comme Mélenchon sont très loin d'avoirs pris la distance nécessaire. Mais je défends le mitterrandisme comme style, comme langamitterrand.jpgge, comme comportement.

 

On ne sait jamais jusqu'à quel point un chef d'Etat surdétermine le mode de vie et les perspectives d'avenir des ses concitoyens. Aurions-nous eu le Grand siècle français sans Louis XIV ? Jusqu'où le chef d'Etat qui est le fruit d'une époque n'est-il pas aussi son père à maints égards ? De Gaulle n'a t il pas réellement retardé le déclin français ? Dans un pays aussi étatisé que la France on peut raisonnablement le penser.

 

De même je pense que Mitterrand par son style a en quelque manière retardé la faillite générale de nos élites dont Sarkozy est aujourd'hui le nom. Il n'était pas particulièrement courageux (sauf contre sa maladie), pas particulièrement clairvoyant, pas particulièrement grand écrivain non plus, n'en déplaise à ses courtisans. Mais il avait pour lui simplement le fait de venir d'un autre monde, cette vieille bourgeoisie française un peu facho sur les bords qui avait au moins pour elle de chérir les belles lettres et de rejeter certaines facilités. Son appartenance à ce monde-là qui était déjà extrêmement daté dans les années 1980-1990 conférait à Mitterrand une grande capacité de résistance aux modes de son temps, et notamment à la dictature des médias, de sorte qu'il avait su les réduire à sa merci et non l'inverse.

 

Et son décalage à l'égard du nouveau monde qui allait naître - celui des année 2000 - d'une certaine façon "tirait encore" tout le monde vers le haut, au point d'ailleurs qu'ensuite son adversaire et successeur Chirac allait vainement tenter de le singer.

 

Avec le recul, je ne crois pas plaquer sur cette époque là une nostalgie erronée. Oui, j'étais alors élève de l'Ecole nationale d'administration, en plein milieu des années 1990, sur une pente personnelle beaucoup plus ascendante que celle d'aujourd'hui, mais ce n'est pas pour cela que je magnifie ces années. En ce temps là j'étais déjà critique du mitterrandisme, conscience de servir une République minée par des affaires troubles. Mais encore une fois, il y avait ce style du chef de l'Etat , qui par lui-même laissait entendre que l'Etat existait, "en soi et pour soi" comme eût dit Hegel, sans avoir besoin des caméras, ou de la bénédiction de Wall Street. C'est pour cela que même un asocial rêveur comme moi pouvait encore, en ce temps-là, trouver la force de faire le planton devant une caserne, ou prononcer des discours à la place d'un préfet dans des comices agricoles : parce que l'Etat n'était pas ridicule, l'Etat gardait sa propre assise.

 

Pour aussi excécrable que fussent le Prince et son cercle d'admirateur. Je pourrais épiloguer longtemps. Vous parler des ambassadeurs que j'ai connus en ce temps là, deux qui avaient été chefs du protocole de l'Elysée, je pourrais vous dire en quoi le style mitterrandien avait déteint sur eux dans les bons côtés et les plus négatifs. Mais je garde ces témoignages pour mes vieux jours, quand tout le monde sera mort et qu'ainsi je serai délivré de l'obligation de réserve.

 

Mais je crois vraiment que cet arrière plan mitterrandien donna un sens à mes vingt ans, à mes études à Sciences Po, à ma vision de l'avenir, même quand je m'y opposais, même quand je le dénigrais. Il en donnait à l'ensemble de la structure sociale dans laquelle je baignais. Et ce n'est sans doute pas un hasard si je suis allé écrire un mot, moi aussi, comme tant d'autres, sur le registre mortuaire du vieux président, au lendemain de sa mort.

 

En fait je ne suis pas loin de penser que nous qui avons eu 20 ans à Paris en 1990 sommes tous, peu ou prou, comme ce type dont on m'a parlé qui avait fait de longues études à Berlin Est pour devenir diplomate, et a décroché son premier poste de diplomate Est-allemand trois mois avant la disparition de la RDA pour finir au chômage. Seuls des gens particulièrement madrés, comme les ministres du gouvernement actuel, ceux qui dès le départ étaient nés pour dépasser l'Etat, peuvent échapper à ce sentiment.

 

Je crois que c'est une erreur que de chercher à compenser le sentiment du déclin de l'Etat français en bricolant sur Internet comme je le fais depuis douze ans maintenant. Internet ne fera pas revivre ce qui est mort dans l'aventure que l'Etat français nous offrait au début des années 1990 ni ne proposera aucune aventure de substitution. Les années de plomb sont loin d'être terminées.

 

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E
<br /> <br /> juste<br /> <br /> <br /> <br />
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