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Le blog de Frédéric Delorca

L'essence de la capitulation

12 Juillet 2011 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Lectures

goya.jpgExtrait de Romain Gary, La promesse de l'aube, Folio Gallimard p. 283 (1e édition 1960)

 

" Je suis sans rancune envers les hommes de la défaite et de l'armistice de 40. Je comprends fort bien ceux qui avaient refusé de suivre de Gaulle. Ils étaient trop installés dans leurs meubles, qu'ils appelaient la condition humaine. Ils avaient appris et ils enseignaient "la sagesse", cette camomille empoisonnée que l'habitude de vivre verse peu à peu dans notre gosier, avec son goût doucereux d'humilité, de renoncement et d'acceptation. Lettrés, pensifs, rêveurs, subtils, cultivés, sceptiques, bien nés, bien élevés, férus d'humanités, au fond d'eux-mêmes, secrètement, ils avaient toujours su que l'humain était une tentation impossible et ils avaient donc accueilli la victoire d'Hitler comme allant de soi. A  l'évidence de notre servitude biologique et métaphysique, ils avaient accepté tout naturellement de donner un prolongement politique et social. J'irai même plus loin, sans vouloir insulter personne : ils avaient raison, et cela eût dû suffire à les mettre en garde. Ils avaient raison, dans le sens de l'habileté, de la prudence, du refus de l'aventure, de l'épingle du jeu, dans le sens qui eût évité à Jésus de mourir sur la croix, à Van Gogh de peindre, à mon Morel de défendre ses éléphants, aux Français d'être fusillés, et qui eût uni dans le même néant, en les empêchant de naître, les cathédrales et les musées, les empires et les civilisations.

 

Et il va sans dire qu'ils n'étaient pas tenus par l'idée naïve que ma mère se faisait de la France. Ils n'avaient pas à défendre un conte de nourrice dans l'esprit d'une vieille dame. Je ne puis en vouloir aux hommes qui, n'étant pas nés aux confins de la steppe russe d'un mélange de sang juif, cosaque et tartare, avaient de la France une vue beaucoup plus calme et beaucoup plus mesurée."

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E
<br /> <br /> je te dois un grand merci de m'avoir recommandé chien blanc. beaucoup aimé, puis l'éducation européenne ensuite. je sens que la promesse de l'aube va suivre...<br /> <br /> <br /> <br />
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F
<br /> <br /> De rien Edgar. Ironie du sort, un éditrice m'a conseillé Gary pour justifier son refus de publier une forme archaïque de ce qui allait devenir "10 ans sur la planète". D'un mal (un refus de<br /> publication) est né un bien. Je continue de préférer "Chien Blanc" à la "Promesse de l'aube" (que je n'ai pas fini de lire), mais je suis content que l'auteur te plaise. A mon avis les<br /> générations à venir l'apprécieront encore, surtout si on continue de s'enfoncer dans le non-sens actuel. Car il était un antidote à ce non-sens, dont il devinait justement les prémices dans la<br /> défaite de 1940, et dans les Etats-Unis consuméristes des années 1960.<br /> <br /> <br /> <br />