"L'idéologie du sympa"
12 Janvier 2010 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Le monde autour de nous
Pour moi l' "idéologie du sympa" c'est par exemple quand BFM TV (ce matin) choisit Arielle Dombasle pour parler du décès d'Eric Rohmer. C'est une mise en abime de la vacuité. Du vide qui parle sur du vide. ll n'est pas certain que Rohmer mérite l'aura dont il fut entouré dans les années 1980-90. En soi il y avait déjà un certain "vide" promu par un certain système médiatique autour de cette "icône de la Nouvelle vague". Mais ce vide pour conserver une certaine cohérence devrait, à l'heure de la mort du réalisateur, conduire à ce qu'on interroge un critique de cinéma pour parler de l'oeuvre de Rohmer. Il se peut que BFM TV n'ait trouvé aucun critique à 8 h du matin disposé à résumer en deux phrases creuses ce qu'il faudrait garder de Rohmer (parce que, peut-être, les critiques de cinéma ont complètement "décroché" de la logique du flux d'infos en continu, et se sont résolus, comme les latinistes versaillais, à n'être plus qu'une "communauté" de 500 personnes sur Facebook - un vieux spécialiste bourdieusien de la science politique m'a dit en 2006 : "les politistes nous ne sommes qu'une communauté de 1 000 personnes en France, et nous nous connaissons tous entre nous"). Ou bien BFM TV a-t-elle a priori trouvé qu'il serait plus "sympa" de faire parler quelqu'un que tous les Français connaissent, qui est donc un peu de leur famille, et que chacun identifie (parmi ceux qui adhèrent encore à l'actualité en continu) comme quelqu'un d'assez cultivé et raffiné, l'épouse de Bernard-Henry Lévy. Et donc la starlette a parlé dix secondes pour dire que Rohmer était formidaaable, juste après un reportage de 20 secondes qui avait précisé que son cinéma était "exigeant" (c'est à dire à ne pas regarder parce qu'on n'y comprendrait que dalle). L'effet "sympa" d'Arielle Dombasle a démultiplié vide, mais tout le monde s'y est retrouvé parce qu'ainsi chacun a eu le sentiment 1) d'avoir été informé du décès d'un cinéaste important 2) de rester au courant de ce qui se passe dans l'actualité culturelle sans culpabiliser de ne rien y comprendre 3) d'avoir toujours dans sa famille et son horizon affectif une Arielle Dombasle "sympa" (même si on la critique parfois, comme on critique une tante excentrique qui ne réussit pas tout ce qu'elle entreprend) qui soutient leur effort de rester informés de ce qu'il se passe dans le domaine de la création.
En général, je ne parle pas trop ici de mes travaux en sociologie du corps que je publie sous un autre nom, parce qu'ils n'ont pas de rapport direct avec mon engagement politique. Ils me permettent de garder un pied dans la culture du "sympa" sans trop m'y compromettre, mais sans non plus entretenir de ressentiment excessif à son égard (on sait quelles folies paranoïaques finissent par cultiver les adversaires de l'idéologie du "sympa"). D'ailleurs lors de la publication de mon livre dans ce domaine, une psy de renom m'avait dit : "le sujet de votre livre est très SYMPA, on l'attendait depuis des années ! publiez le vite, sinon quelqu'un d'autre écrira là dessus, c'est tellement dans l'air du temps !". J'en étais conscient, quoique je prétendisse (et prétends encore) pouvoir pousser les implications de mon thème au delà des modes de mon époque. Et effectivement depuis quelque temps, bien que mon éditeur soit très peu diffusé (lui et moi sommes des outsiders), il ne se passe pas un mois sans qu'un média quelconque ne sollicite mon avis sur le sujet de mon livre. Encore en ce début de semaine comme j'étais cloué au lit par un mauvais virus et alors que je croyais le temps arrêté, deux chaines du cable me contactaient pour m'interroger sur ce thème, me conduisant à composer encore avec l'état d'esprit des vicaires de l'idéologie du sympa.
L'air du temps "sympa" de notre époque n'est pas une "superstructure" facile à combattre comme une dictature classique. C'est une idéologie enveloppante dont l'utilité fonctionnelle est avérée (pour en rendre compte il faudrait peut-être recourir à la théorie des "memes" qui explique les schèmes de transmission de représentations culturelle). On ne peut pas prétendre s'en extraire aisément sans provoquer des pathologies stériles (paranoïa, passéisme etc). Il convient de savoir à quel degré on y participe, et éventuellement d'en jouer, en portant toujours l'action et la réflexion au delà de cette culture officielle, au delà de l'instantanéité de l'affect dans laquelle elle cherche à tout absorber. Cela demande des investissements à divers niveaux, des hiérarchisations des perspectives. Un véritable art de la guerre.
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