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Le blog de Frédéric Delorca

La Bohème ne tourne pas rond

17 Mai 2011 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #1910 à 1935 - Auteurs et personnalités

Milan Paumer est né le 7 avril 1931 à Kolin, au centre de la Tchécoslovaquie. Il grandit près de Poděbrady station balnéaire à 50 km à l'Est de Prague. Là, il rencontre Ctirad et Josef Mašín les fils d'un général assassiné par les nazis pendant la seconde geurre mondiale (un général qui avait déjà tué beaucoup de Rouges dans la légion tchécoslovaque de Russie entre 1916 et 1921).

 

En 1948, le Parti communiste prend le pouvoir à Prague. Les trois jeunes gens montent un groupe de "résistance" qui se livre à divers actes de sabotage. En 1951 ils obtiennent des armes et attaquent deux postes de police, tuent deux policiers. puis volent beaucoup d'argent d'un camion qui transportait le salaire des ouvriers d'une usine. Les communistes disent aussi qu'ils ont brûlé des coopératives. Bref, ce jeunes garçons n'étaient pas spécialement des amis de la classe ouvrière.

 

Le 2 novembre1953 ce groupe s'est enfui à l'Ouest dans l'espoir de revenir un jour vainqueur dans les fourgons de l'armée étatsunienne après la troisième guerre mondiale. Milan Paumer s'engage dans l'armée américaine pour la Corée. Peut-être pour y casser du rouge encore. Pourtant l'armistice a été signé le 27 juillet (le Daily Telegraph se trompe donc quand il affirme que Paumer a "combattu" en Corée, mais passons...). En 2008 le groupe a été décoré à Prague et lors des funérailles de Paumer, le 16 août dernier le premier ministre de droite de la République tchèque Petr Necas a déclaré que celui-ci était un héros.

 

Julius Fučík, lui, est un journaliste communiste tchèque mort à 40 ans dans les geôles de la Gestapo après avoir mené une action héroïque contre les troupes d'occupation. Si on veut lui trouver un équivalent en France, on peut penser à Danielle Casanova, décédée à Auchwitz huit mois avant Fučík, et de quelques années plus jeune que lui (sauf qu'elle a quand même eu un rôle moins prestigieux dans la résistance que Fučík, et que son oeuvre d'écrivain est plus courte).

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Danielle Casanova a bénéficié d'une notoriété constante. Elle a une rue à son nom à Paris, et dans beaucoup de municipalités communistes et ex-communistes. Yves Duteil a chanté au Sénat français pour le centenaire de sa naissance il y a deux ans, sans que l'UMP ne cherche à l'étrangler (si j'en juge par les informations de Wikipédia à ce sujet).

 

Julius Fučík, lui, a connu un destin posthume assez différent. Icône du mouvement communiste dont les statues trônaient en Tchécoslovaquie, en RDA etc, traduit sous le patronage d'Aragon en France, chanté par le jeune Kundera dans ses premiers poèmes,il est devenu un saint de l'Eglise communiste... mais un saint au piédestal fragile à partir de 1989.

 

Après la "révolution de velours", les anti-communistes tchèques se sont lancés dans une campagne anti-Fučík expliquant que le journaliste - qui avait écrit en prison un "Reportage" ("Ecrits sous la potence" en français) sur la répression nazie en le communiquant clandestinement sous forme de petits papiers à un sympathisant déguisé en garde-chourme nazi - était en fait un indicateur, qu´il avait trahi ses camarades, (le même genre d'accusation révisionniste qu'on a retrouvé à propos de Jean Moulin), qu´il n´a pas été exécuté, que les nazis ont pris soin de lui après la guerre et qu´il vit peut-être avec quelques nazis en Amérique latine. En plus, ils ont annoncé que le "Reportage" n´était pas l'oeuvre de Fučík, mais un faux communiste.

 

C´est pourquoi un groupe d´historiens s´est mis à étudier tous les documents accessibles en rapport avec la vie de Fučík, surtout avec son activité dans la clandestinité, en prison et au cours des interrogatoires. Ils ont étudié environ trente mille documents, ils ont interviewé  ceux qui étaient en contact avec Fučík, même avec ses coprisonniers qui ont survécu au nazisme. Et ils ont remis le manuscrit du "Reportage“ au Ministère de l´intérieur pour vérifier l´authenticité de l´écriture de Fučík. Le ministère de l´intérieur d'après 1989 a pu ainsi vérifier que le manuscrit de la dernière oeuvre du journaliste avait bien été écrit de sa propre main. Ce groupe a aussi pu confirmer que Fučík n´avait trahi aucun de ses compatriotes. Bien au contraire, quelques-uns d´entre eux ont témoigné que les dépositions de Fučík au cours des interrogatoires étaient prononcées en faveur de ses coprisonniers. –

 

Evidemment, comme après la désinformation sur Timisoara ou sur le Kosovo, personne ne s'est excusé pour les calomnies répandues mais, entretemps, la statue de Fučík a été enlevée à Prague. Des gens de gauche ont alors créé la "Société Julius Fučík“ qui maintient la mémoire des combattants antifascistes, des penseurs et  des hommes politiques de la gauche tchécoslovaque. Cette société et quelques autres petits groupes ont lancé à l'occasion du 66ème anniversaire de l'écrasement du fascisme le 8 mai 1945 une pétition internationale pour la réhabilitation de cette statue.

 

Certains de ceux qui n'ont pas connu l'époque de Sartre et d'Aragon, ceux que les réhabilitations des divisions SS dans les pays baltes laissent de marbre, et ceux qui pensent que l'histoire du monde a commencé avec l'invention de Google ne comprendront peut-être pas bien de quoi il s'agit. Les autres peuvent écrire à M. Jan Jelinek, anatolsitov@seznam.cz, à Prague, pour signer la pétition.  (Voir aussi la suite de mes considérations sur Fucik ici)

 

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NB : un ami qui me transmet leur pétition ajoute dans son mail "La lutte pour la dignité et la souveraineté tchèque est la même lutte que celle pour la dignité palestinienne, irakienne, afghane, congolaise, grecque, irlandaise, islandaise, coréenne, ivoirienne, haïtienne, égyptienne, tunisienne, lakota, etc, etc. De tous ceux qui croient et tendent avant tout vers l'unité fondamentale de tous avec tous, contre les fabricants de haine, de mensonge, d'inégalité et de divisions" (je lui laisse la responsabilité de ce commentaire, que je n'aurais pas écrit dans ces termes, mais qui éclaire la thématique sous un angle intéressant).

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A
<br /> <br /> Réponse au nota bene de ce passionnant article :<br /> et la lutte bretonne ? et la vendéenne ? et la basque ? et la Lorraine ? on les oublie toujours parce que nous avons accepté en profondeur ces annexions, ces écrasements de peuples.<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
F
<br /> <br /> Merci ! En ce qui me concerne, je ne les oublie pas. Etant né en Béarn, et baragouinant un peu le gascon depuis l'enfance, je suis loin de négliger les spécificités culturelles des périphéries de<br /> la France (cf par exemple mon interview sur Radio Pais dans la rubrique "La révolution des montagnes"). Cela dit le drame du peuple ivoirien ou du peuple libyen me paraît se situer à un degré<br /> différent de celui des minorités française, car pour ces peuples l'enjeu n'est pas seulement celui de la maîtrise de leur histoire, et de leur identité, il est aussi celui du contrôle des<br /> dividendes de la production des matières premières, du droit à se constituer un système de sécurité sociale etc, autant d'avantages dont les minorités linguistiques régionales de l'hexagone<br /> disposent complètement.<br /> <br /> <br /> <br />