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Le blog de Frédéric Delorca

"La Pharsale", la "retirada" des pompéiens

21 Avril 2014 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Antiquité - Auteurs et personnalités

spLes Républicains espagnols ont eu leur "retirada" en 1939, le digne et pauvre repli de leurs troupes militairement défaites et moralement victorieuses à travers les Pyrénées, mais sans grand écrivain pour la narrer. Les Républicains romains, les pompéiens, quelques décennies après leurs hauts faits, ont eu La Pharsale de Lucain.

 

Je vous conseille de la lire par petits bouts en français sur Internet à défaut de l'acheter dans le commerce (car elle est fort chère, on ne vend qu'Amélie Nothomb à des prix abordables).

 

J'aime bien le portrait attendrissant que Lucain fait au livre VIII de la femme de Pompée, la noble Cornélie descendante des Scipions, après la défaite : A Lesbos "quoique le malheur de Pompée eût affligé tous les cœurs, c'était moins ce héros qu'on plaignait que celle avec qui ce peuple était accoutumé à vivre comme avec une de ses citoyennes, et qu'il voyait avec douleur s'éloigner. Quand même elle irait joindre un époux triomphant, les femmes de Lesbos en lui disant adieu auraient peine à retenir leurs larmes, tant sa pudeur, sa dignité, la modestie répandue sur son chaste visage lui ont attiré leur amour. Ce qui les a le plus touchées, c'est que loin de se rendre incommode à ses hôtes, et loin d'humilier même les plus petits, elle a vécu à Mytilène dans le temps des prospérités et de la gloire de Pompée comme s'il eût été vaincu."

 

Pompée s'intéresse aux astres à la manière d'Auguste : sur le bâteau il interroge le matelot. "Souvent l'âme accablée de ces pénibles soins, et rebutée de l'affligeante image que lui présente l'avenir, il écarte pour respirer, ces idées tumultueuses, et l'abattement de ses esprits, qu'un trouble si violent épuise, lui laisse un moment de relâche. Il questionne alors le pilote sur tous les astres, comment on reconnaît les rivages, quel moyen le ciel lui donne de mesurer l'espace parcouru de la mer, quel astre lui montre la Syrie, quels feux du Chariot le font se diriger vers la Libye."

 

Rappelons que le pythagoricien Apollonios de Tyane disait être la réincarnation d'un matelot égyptien... je viens de comprendre pourquoi en lisant Lucain...

 

Lucain a des accents à la Chateaubriand évoquant Napoléon quand il décrit la déchéance grandiose de Pompée : "Son fils fut le premier qui, du rivage de Lesbos, suivit ses traces sur les mers. Après lui vinrent une foule fidèle de patriciens, car même depuis sa ruine et la défaite de son armée, la Fortune ne put l'empêcher d'avoir des esclaves couronnés, et dans sa déroute, il traînait après lui tous les rois de la terre, tous les sceptres de l'Orient. "

 

Comme Chateaubriand il réfléchit aux alternatives stratégiques quand il fait dire à Pompée, chargeant Déjoratos de recruter de nouvelles troupes : "j'ai perdu tout ce qui sur la terre était au pouvoir des Romains, mais il me reste à éprouver le zèle des peuples du Tigre et de l'Euphrate, où ne s'étend point encore la domination de César. Allez en mon nom soulever l'Orient et le Nord, pénétrez jusque dans le fond des États du Mède et du Scythe, allez dans un monde qu'un autre soleil éclaire, rendez au superbe Arsacide ces paroles que je lui adresse : Si l'ancienne alliance que nous avons jurée, moi par Jupiter Latin, vous par le culte de vos mages, subsiste encore entre Rome et vous, Parthes, remplissez vos carquois, tendez vos arcs, souvenez-vous qu'en chassant devant moi les peuples du Caucase, je vous laissai la liberté d'errer en paix dans vos campagnes, sans vous réduire à chercher dans les murs de Babylone un asile contre moi. J'avais déjà franchi les bornes du vaste empire de Cyrus, et vers le fond de la Chaldée, je touchais aux bords où l'Hydaspe et le Gange vont se jeter au sein des mers. Cependant lorsque la victoire me soumettait tout l'Orient, je voulus bien excepter le Parthe du nombre des peuples que je rangeais sous les lois de Rome, et leur roi fut le seul que je traitai d'égal. Ce n'est pas une fois seulement que les Arsacides m'ont dû la conservation de leur empire, et, après la sanglante défaite de Crassus en Assyrie, quel autre que moi eût apaisé le ressentiment des Romains ? Engagés par tant de bienfaits, ô Parthes ! Voici le moment de passer l'Euphrate qui devait à jamais vous servir de barrière. Courez sur cette rive que vous interdit le fondateur de Zeugma. Venez vaincre en faveur de Pompée ; et Rome elle-même consent à être vaincue à ce prix". S'ensuivent des réflexions intéressantes sur les possibilités de s'en remettre aux Maures ou aux Parthes, les inconvénients de l'une ou l'autre option, et le risque que Cornélie finisse dans un harem du roi des rois arsacide où "Un même lit reçoit des épouses sans nombres ; les lois, les nœuds de l'hyménée y sont souillés par ce mélange impur ; ses mystères les plus secrets y sont célébrés sans pudeur, en présence de mille femmes."

 

Puis c'est Caton d'Utique traversant le désert des Syrtes en Libye, refusant de consulter l'oracle d'Ammon en disant à Labienus : "Pourquoi chercher si loin des dieux ? Jupiter est tout ce que tu vois, tout ce que tu sens en toi-même. Que ceux qui, dans un avenir douteux, portent une âme irrésolue, aillent interroger le sort ; pour moi, ce n'est point la certitude des oracles qui me rassure, mais la certitude de la mort. Timide ou courageux, il faut que l'homme meure. Voilà ce que Jupiter a dit, et c'est assez."  Les soldats de Caton tués par des serpents, les Psylles qui finissent par sauver le campement par des chants magiques pour qu'ils aillent à Leptis, tandis que César bâcle sa visite à Troie (et foule maladroitement au pied les mânes d'Hector)

 

Je ne suis pas un grand connaisseur, mais je trouve que cela vaut bien l'Enéide...

 

 

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S
<br /> Merci pourc cette suggestion  de lecture. bien prometteuse. Merci aussi pour le rappel des Mémoires d'Outre tombe. Les programmes de l'éducation nationale avaient déjà bien des lacunes dans<br /> les années 1960 et 1970.<br /> <br /> <br /> Sinon je vais me mettre en quête de vos livres sur l'Abkhazie et autres régions longtemps oubliées de l'ex-URSS.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br />
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F
<br /> <br /> Merci. Je vous signale juste que si vous tapez "chateaubriand" comme mot clé de recherche sur ce blog vous trouverez la dizaine de billets dans lesquels je livre quelques opinions sur cet auteur.<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> Bonjour,<br /> <br /> <br /> J'ai le plaisir de vous annoncer la parution de mon roman : Vers les plages de l'exil"<br /> <br /> <br /> http://www.isabelle-callis-sabot.net/archives/2014/06/19/30105945.html<br /> <br /> <br /> http://www.isabelle-callis-sabot.net/archives/2014/06/19/30103375.html<br /> <br /> <br /> Cordialement<br /> <br /> <br /> Isabelle CALLIS-SABOT<br /> <br /> <br />  <br />
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