La primaire socialiste et la présidentielle
10 Octobre 2011 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Débats chez les "résistants"
Il faut bien dire un mot ce matin du paysage politique français tel qu'il se dessine à l'issue du premier tour des primaires du Parti socialiste (une primaire à laquelle je n'ai pas participé malgré mes opinions de gauche car je suis hostile au détournement d'audimat et à la captation d'argent - plus de deux millions d'euros - qu'elle offre au PS).
Beaucoup de résultats étaient prévisibles sauf la percée de M. Montebourg. Je me réjouis de la marginalisation de l'option social-libérale de M. Vals et de l'option centriste-populiste de Mme Royal qui brouillait les rapports de force au sein du PS (beaucoup de gens très à gauche soutenaient Mme Royal pour des raisons purement affectives, tout comme beaucoup on voté pour M. Bayrou en 2007).
Aujourd'hui nous avons un parti socialiste qui doit ouvrir son discours à une thématique très à gauche incarnée par M. Montebourg. Il le fera sans doute sur un mode purement lexical dans la bouche de M. Hollande, et sur un mode plus programmatique chez Mme Aubry.
C'est un progrès pour la sémantique politique, car désormais la question du protectionnisme européen est clairement posée à gauche par M. Montebourg et M. Mélenchon, à droite par M. Dupont AIgnan, et la classe politique ne peut plus diaboliser le terme ou le laisser entre les mains du Front national, de même que celui de la mise sous tutelle des banques.
Voilà pour les bonnes nouvelles. Venons en maintenant aux mauvaises. La mauvaise nouvelle, bien sûr, c'est que le protectionnisme européen est impossible, car les Allemands n'en veulent pas. Seul un protectionnisme national le serait mais il reste très minoritaire dans la classe politique. Donc même si le candidat du PS intègre le protectionnisme européen à son programme, nous savons que huit jours après son élection Berlin l'obligera à l'abandonner. MM. Montebourg et Mélenchon choisiront-ils alors le protectionnisme national contre l'Europe, ce que leur parti en 1983 fut incapable de faire ? Ils ne le feront que si l'Union européenne va très mal, et si notamment l'euro a déjà implosé pendant la campagne de l'élection présidentielle, mais tout cela me paraît assez peu probable.
De toute façon, sauf cataclysme imprévisible, il y a fort peu de chances pour que le candidat du PS puisse tenir le discours du protectionnisme européen jusqu'en mai 2011. Car les médias continuent de tirer dessus à boulets rouges. Et donc soit le candidat du PS (Mme Aubry ou M. Hollande) devront prendre leurs distances pour conquérir le centre, soit M. Bayrou libéré de l'hypothèque Borloo se chargera d'occuper le terrain du "ni-Sarkozy ni-protectionnisme" avec le soutien des médias.
En toute hypothèse donc la percée Montebourg a toutes les chances d'être assez vite neutralisée. Elle ne peut connaître un soubresaut d'intérêt qu'en 2013-2014 quand la situation économique française et européenne se sera à nouveau détérioré au point de susciter des interrogations nouvelles parmi nos dirigeants.
Evidemment la meilleure option pour pérenniser l'effet de la percée de M. Montebourg serait que le Front de gauche se renforce et dépasse les 15 % à l'élection présidentielle. Mais c'est extrêmement peu probable. M. Mélenchon est enfermé dans l'image de l'homme sectaire et caractériel. Ses incohérences sur le fédéralisme européen, sur la guerre en Libye, et ses complaisances avec certaines modes (le refus du nucléaire par exemple) ont altéré l'image de courage qui a pu le caractériser lorsqu'il a quitté le PS. En outre sa mouvance (le PC et la PG) baigne dans une grande confusion intellectuelle sur des sujets importants de notre époque comme l'a montré, par exemple, leur vote favorable à la zone d'exclusion aérienne en Libye au Parlement européen, et plus largement leur analyse des printemps arabes et des rapports de force planétaires.
Assez peu inspirées par le Front de gauche, les classes défavorisées pourraient se tourner une fois de plus vers le Front national (encore que la nouvelle recherche de respectabilité de Mme Le Pen peut en faire fuir beaucoup vers l'abstention). Dans un jeu assez ouvert on peut finalement se retrouver au second tour avec un face à face PS-UMP, PS-Le Pen, Bayrou-UMP, Bayrou -PS (si l'UMP explose), Bayrou-Le Pen, voire UMP-Le Pen. Dans ce genre de configuration les thèmes du protectionnisme et du contrôle des banques seraient de toute façon marginalisés et rejetés vers le Front national.
Précisons les termes. Quand je dis "PS-Le Pen" je veux dire Mme Aubry ou M. Hollande au nom du PS face à Le Pen. Sachant que le déficit d'image et la féminité de Mme Aubry risquent de la plomber plus que M. Hollande (comme ils avaient plombé Mme Royal en 2007). Quand je dis "UMP-Le Pen", je veux dire n'importe quel candidat de l'UMP : M. Sarkozy, M. Juppé, ou M. Fillon. Evidemment MM. Fillon ou Juppé auraient de meilleures chances de sauver la mise de la droite que M. Sarkozy, mais il n'est pas certain que celui-ci leur cède sa place.
La crise favorisant toutes les peurs et tous les conservatismes (elle va ramener le Parti populaire au pouvoir en Espagne malgré le mouvement des "indignés"), l'UMP peut enregistrer une certaine remontée dans les sondages (surtout si elle parvient à discréditer habilement ses adversaires dans un contexte international qui ne se détériore pas trop) et obtenir sa reconduction au pouvoir pour 5 ans n'est pas totalement à exclure.
Dans un contexte si figé (verrouillé par les médias et par un conformisme de pensée qui a l'air d'arranger beaucoup de monde), ceux qui veulent un véritable changement dans le système (une renationalisation des banques, une rupture avec les normes libérales de l'Union européenne, une défense réelle des services publics, une réorientation de notre politique étrangère, la nationalisation des médias etc) n'ont pas grand chose à attendre de l'élection présidentielle, mais devraient plutôt investir sur les élections législatives suivantes et sur les élections locales des années à venir pour faire la preuve sur le terrain, (et non pas seulement dans des conférences universitaires ou sur des blogs) de leur capacité à fédérer, à mobiliser, à gérer, soit dans le cadre de partis pro-système (en qualité de passagers clandestins en quelque sorte), soit dans le cadre de partis plus ou moins anti-systémiques comme le Front de Gauche, DLR, le MRC s'il existe toujours etc. Ils peuvent être aidés en cela par l'instauration d'une dose de représentation proportionnelle à tous les échelons, promise par de nombreux candidats à la prochaine élection. A mon avis c'est la seule voie d'action qui demeure ouverte, une voie d'action qui devrait être explorée dans un esprit pragmatique d'ouverture et de dialogue transcourant qui permette de fédérer de façon efficace les réseaux les plus solides possibles, capables d'apporter une réponse audacieuse le jour où nos dirigeants coincés dos au mur par une crise qu'ils ne sauront plus gérer auront besoin d'une relève. J'encourage donc tous ceux qui gardent un intérêt pour l'avenir de leur pays d'essayer d'accéder à des fonctions électives au service de leurs concitoyens, plutôt que de ratiociner derrière leurs écrans d'ordinateur. Ce n'est qu'ainsi, je crois, que les idées peuvent réellement retrouver une emprise sur le déroulement de notre histoire.
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