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Le blog de Frédéric Delorca

Le charme discret de Matt Ridley ("The rational optimist")

18 Mars 2011 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Débats chez les "résistants"

C'est étange. J'ai adoré la lecture de Polanyi en 1998-1999. Et quand aujourd'hui je lis The rational optimist de Matt Ridley, qui dit exactement le contaire de Polanyi, j'adore aussi. Je me laisse porter comme par un conte de fée : "il était une fois la division du travail et le commerce, qui assura la supériorité de l'homo sapiens sur toutes les autres espèces, même celle du néandertalien, et qui le mena de succès en succès, des Phéniciens à l'Angleterre du 19ème siècle, malgré la méchante tendance des empires et des Etats à capter sa plus-value".

 

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Cette force de séduction de la pensée anglo-saxonne qui conquit même Marx et qui fut la grande rivale de la pensée française pendant tant d'années (avant de la surclasser). Son côté très iconoclaste, souple, un peu cynique (sans idéalisme en tout cas), plein de jeunesse, révolutionnaire même à maints égads (même si c'est une révolution au service du veau d'or), très loin de la religiosité du socialisme, même si elle doit, elle-même, sans le savoir, beaucoup à une autre forme de religiosité, celle du puritanisme. C'est toujours très bluffant. Evidemment après, on se dit que c'est trop systématique pour être vrai. Par exemple cette histoire du commerce qui cause l'invention de l'agriculture et non l'inverse - aux antipodes des travaux de Chauvin.

 

Je crois que je vais mettre plusieurs années à démêler le vrai du faux dans les belles histoires érudites de Matt Ridley (que même un anthropologue chomskyen plutôt à gauche - et génial - comme Pinker porte aux nues).

 

Je suis peut-être nul, mais tout homme de gauche que je suis, je ne suis pas toujours capable d'affirmer avec aplomb en quoi mes adversaires ont tort, ce qui me pousse ensuite à les lire plus attentivement. Par exemple je n'ai jamais été fichu de m'expliquer pourquoi le néo-libéralisme "dur" a marché au Chili (sous Pinochet) et a échoué en Argentine (sous Menem). Et les intellectuels partisans de  droite et de gauche n'ont jamais cherché, autant que je sache, à expliquer clairement ce paradoxe qui dessert leurs chapelles.

 

Il y a bien d'autres grands sujets de l'histoire humaine sur lesquels je suis infichu d'avoir un jugement définitif. Par exemple la question de savoir si l'invention du monothéisme est un progrès ou une catastrophe pour l'esprit humain. J'ai longtemps cru que c'était un progrès, parce que ça débarrasse l'esprit du foisonnement de légendes populaires sur des dieux anthropomorphes improbabes - d'ailleurs le monothéisme fut le parti pris de la philosophie grecque à partir de la naissance du stoïcisme. J'ai pensé aussi que c'était une idéologie favorable aux progrès de la conscience individuelle de soi, et à la pacification des rapports intersubjectifs (même si cela se paie d'une certain fanatisme, qui peut devenir génocidiaire comme lors des croisades). Mais je sais aussi qu'une certaine extrême-droite postnietzschéenne vante les mérites du polythéisme (Evola, Daniélou), et qu'une extrême-gauche partisane de la libération des moeurs dans les années 60 l'a un peu rejointe sur ce terrain. Et puis il y a eu Paul Veyne qui nous a dit qu'à contexte social constant polythéisme et monothéisme véhiculent une morale très voisine et que l'un comme l'autre peuvent être odieusement fanatiques. Puis un Zizek qui nous explique dans La marionnette et le nain, que l'économie du désir que porte le polythéisme est nécessairement mortifère et ennuyeuse. Bien sûr je ne crois pas trop aux théories de Zizek, mais il y a sans doute du vrai dans l'idée que le monothéisme crée une économie du désir très "bizarre" et donc potentiellement dynamique. Un site Web que j'ai du mal à classerau contraire déplore en ce moment  que le Bouthan soit contraint à abandonner son polythéisme par les puissances occidentales. Je compte les points entre les uns et les autres comme devant un match de foot.

 

Mon embarras à trancher sur pareille question ne me gène pas car cela me maintient dans une ouverture dynamique et modeste aux arguments et données factuelles qu'on peut me donner quelle que soit leur provenance. Je crois qu'on ne peut progresser que comme cela.

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