Les employés du privé
18 Septembre 2010 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Le monde autour de nous
Ce sont des diplômés d'une fac littéraire parisienne, master 2 de LEA. Ils bossent dans une PME de traduction. Ils sont très inintéressants. Je pense qu'ils font exprès de l'être, cela résulte d'un choix renouvelé d'année en année depuis leur sortie de l'enfance. Ils ont fait de l'absence totale d'intérêt un art de vivre, une seconde nature qui leur colle à la peau. Ils seraient complètement incapables aujourd'hui d'avoir un regard original sur quoi que ce soit. Ca se voit à leur aisance dans l'absence d'originalité, on perçoit bien que l'absence d'originalité ne leur pèse pas, qu'elle les protège, qu'ils ne comprendraient même pas qu'on puisse exister sur un mode différent de celui-là.
Au vernissage de l'expo de la galerie privée de leur patron, ils n'ont pas une pensée plus haute qu'une autre, pas un mot de travers. Ils remercient bien poliment quand on leur tend un petit toast. Ils disent que leur travail est très bien, très varié, qu'ils traduisent aussi bien des contrats que des relevés de notes d'examens scolaires, qu'ils apprennent plein de mots, que leur patron est très fort parce que lui il n'a pas de dictionnaire, qu'il a été vraiment très gentil de leur accorder 4 mois de stage alors que la "crise financière" normalement ne lui permettait raisonnablement que de recruter pour 3 mois, que la fac exagérait quand même un petit peu de prévoir pour ses étudiants des stages de six mois.
Bref, "ils vont bien tout va bien", comme disait l'autre. Ils trouvent que les tableaux là tout autour sont très bien, qu'il n'y a rien qui dénote. C'est comme la vie en somme quoi, c'est bien fait, ça va.
Je ne leur ai pas demandé ce qu'ils pensaient de la dernière réforme de la médecine du travail que leur préparait M. Woerth et qui, selon divers spécialistes, nous ramène plusieurs décennies (voire un siècle) en arrière. Ils m'auraient sans doute dit que de toute façon ils sont en bonne santé ou que la médecine du travail ils ne savent même pas que ça existe. Je ne pense pas qu'ils soient du genre à protester contre la moindre mesure gouvernementale. Ou alors peut-être peuvent-ils en dire un peu de mal s'ils voient que leur interlocuteur en face d'eux est très remonté contre ça, mais uniquement pour lui faire plaisir. De toute façon on voit bien que personne ne doit jamais parler de politique avec eux, ni même d'aucun thème un peu dérangeant. Sur l'art, sur l'histoire sur tout ils doivent passer leur temps à n'entendre que des banalités creuses parce que tout simplement personne n'oserait prendre la responsabilité de briser leur placide vacuité.
Le soin particulier qu'ils mettent à ne pas réfléchir en dehors du cadre d'insipidité totale qui leur est imposé peut ressembler à un exercice masochiste vu de l'extérieur, mais je suis convaincu qu'il leur apporte du plaisir, et un parfait sentiment de confort, de sécurité. Ils ne trouveraient aucun avantage à le troquer contre une autre manière d'être et de voir.
Ces jeunes gens votent sans doute Royal-Cohn-Bendit-Bayrou-Villepin sans grande difficulté. Un jour de déprime ils glisseront peut-être un bulletin Besancenot dans une urne en pensant avoir osé là le geste le plus fou de leur existence.
Ils sont probablement prêts à valider n'importe quel bombardement de centrale nucléaire en Iran, à l'image de ceux qui il y a douze ans m'expliquaient doctement qu'il fallait attaquer militairement la Serbie "génocidaire". A vrai dire, ils ne se sont sans doute pas posé la question jusqu'ici parce que pour le moment on leur a juste demandé de penser que ce pays est une sombre dictature cléricale. Mais si demain le New York Times et Le Monde leur dit qu'il faut faire exploser une centrale nucléaire en Iran pour améliorer la condition des femmes dans le monde ou éviter le triomphe de l'islamisme au Proche-Orient (ou toute autre fausse raison absurde), je pense qu'ils s'y résoudront. De toute façon, le New York Times et le Monde ne leur présenteront jamais ce choix en des termes si abrupts, parce que que ces deux journaux aussi - comme tous les autres - respectent leur besoin de douce vacuité. On leur dira juste qu'il faut accepter quelques "frappes chirurgicales", "interventions homéopathiques", "petites dispositions contraignantes", pour maintenir l'équilibre du monde. Ils seront d'accord. Quand on vit dans un monde si bien fait, avec un patron sympa, des petits toasts qui sont bien préparés, des conventions de stage "qui vont bien" (comme on disait à l'armée), on ne peut pas avoir envie de s'opposer à ce que tout le monde est censé approuver. Ce n'est même pas pensable.
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