Mauvais système, ou effets négatifs d'un progrès légitime ?
15 Juillet 2011 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Débats chez les "résistants"
La grande difficulté dans l'engagement politique de notre époque (comme depuis 200 ans pour faire vite), c'est de parvenir à faire la part entre les inconvénients inhérents au processus de modernisation et de rationalisation de la vie humaine, et des erreurs grossières de nos politiques. Il est évident qu'aller prêter main forte aux Etats-Unis en Afghanistan, ou tenter un"regime change" en Libye au nom d'une nouvelle alliance politique franco-britannique relève de la pure folie géopolitique, à l'égard de laquelle heureusement d'autres pays se montrent plus réservés que le nôtre. Et même sur le plan domestique il y a mille mesures aberrantes, justifiées par les arguments les plus loufoques dont il est aisé de démonter la stupidité : par exemple la suppression de la médecine du travail, ou la chasse aux pauvres initiée par la "Droite Populaire" quand on apprend que Total ne paie même pas l'impôt sur les sociétés.
D'autres éléments, de plus vaste ampleur, sont plus difficiles à analyser. Par exemple tous les processus de fichage et d'espionnage dont on fait l'objet sur Internet (les réseaux sociaux en particulier) sont le fruit presque inévitable de l'intrusion de l'informatique dans nos vies, et du besoin qu'ont les gens de s'épancher sur des écrans. On peut se demander avec Asnperger s'il ne faut pas éduquer l'humanité à une forme particulière de sagesse dans son rapport à la technologie (et plus largement à la consommation), mais force est de constater que cette sagesse sera toujours le lot d'une minorité). La tendance majoritaire sera toujours celle qu'on constate aujourd'hui, et la tendance des masses affecte toujours les élites.
Tout le processus de haine de l'Etat, haine de la gauche et du militantisme, et la globalisation à tout crin, le culte des flux, et des réseaux, la fascination du zapping, et leur matérialisation dans le programme libéral de "globalisation" sont largement le fruit de la symbiose entre l'individu-consommateur et les nouvelles technologies, dans un rapport d'expansion infinie de la "raison instrumentale" comme disait l'Ecole de Francfort.
"Comment peut-on "sauver le processus" dans ce qu'il implique d'augmentation des informations disponibles pour le cerveau humain, et des moyens d'actions sur l'existence (autrement dit de la liberté) en en limitant les effets dévastateurs ?" voilà peut-être la seule question qu'il faudrait se poser. Cette question n'est pas en soi une capitulation. C'est une question audacieuse, mais dont il s'agit de mesurer correctement l'ampleur.
Nous avons connu récemment (à l'échelle de l'humanité) une période où la progression des moyens technologiques et de la rationalité des comportements entrait en symbiose sur un mode particulièrement néfaste avec les aspirations des masses : ce fut le fascisme. Ceux qui le combattirent, qu'il fussent libéraux ou marxistes croyaient peut-être vouloir une rupture avec ce système là, mais tous au fond communiaient à la même confiance dans la rationalité et la technologie.
Aujourd'hui le système recèle un potentiel de fascisme tout à fait réel, qui s'actualise déjà dans des micro-réalités envahissantes. Je songe par exemple à la tendance actuelle qui plaide pour la suppression des poulaillers même à la campagne, une tendance qui se vérifie dans des condamnations spectaculaires en justice, même si nous n'en sommes pas encore au point que décrit la vidéo ci dessous.
Une liberté fondamentale pourtant qui met en jeu le rapport de l'humain à la nature, et la survie des classes populaires à l'abri des lois du marché. Le poulailler est devenu aujourd'hui une des rares exceptions à la marchandisation du monde, et une exception que les néo-libéraux ont intérêt à supprimer. La difficulté si l'on veut prendre fait et cause contre cette disparition programmée du poulailler, c'est que le développement du débat libéral - encore un effet collatéral de l'augmentation des informations disponibles via la scolarisation de masse, et de la rationalisation de la vie collective - a multiplié les points de vue possibles sur le sujet au point qu'il n'y a plus de socle commun d'analyse possible.
Indépendamment même de la volonté libérale de soumettre le monde au bon vouloir des multinationale jusque dans les modes alimentaires, la disparition des poulaillers peut être sincèrement et honnêtement défendue par les défenseurs des droits individuels qui peuvent se prévaloir du degré de tolérance de plus en plus faible des individus à l'égard des pollutions sonores et olfactives causées par autrui (intolérance elle aussi liée à la rationalisation et à la faculté pour tout un chacun de transformer un inconfort en une plainte judiciaire).
De même les défenseurs des droits des animaux peuvent prouver, je suppose, que l'exploitation des poules est une faute morale (leur surexploitation par les multinationales l'est encore plus, mais les défenseurs des bêtes peuvent espérer, je suppose, une reconversion des fabriques de tartes aux poulets façon Chicken Run en fabrique de graines de soja).
La limitation des effets néfastes du système devient ici des plus problématiques, parce qu'on ne sait même plus, dans le débat, quel fondement adopter, ni trier le bon grain et l'ivraie. On ne sait plus quelle opinion repose sur une défense saine du besoin de rationalité et de progrès, et laquelle est typiquement le résultat indésirable des effets du système. Droits contre droits, vision du monde contre vision du monde, une véritable aporie intellectuelle se dessine, d'où naît un grand découragement collectif, et une méfiance croissante à l'égard de la chose publique, des enjeux collectifs (voire un basculement dans l'irrationnel complet). Le résultat prévisible est une anomie dont les plus forts tireront partie, c'est à dire que les multinationale obtiendront effectivement, dans en Occident du moins, la disparition des poulaillers, sans que l'on n'ait jamais pu établir avec clarté qui, des défenseurs des droits individuels, des défenseurs de la libérté des poules, des avocats du droit à aimer son animal domestique (fût-il gallinacé) et à se nourrir par soi-même, avait intellectuellement raison. Et ainsi pour tant d'autres grands sujets de notre temps...
Partager cet article
Newsletter
Abonnez-vous pour être averti des nouveaux articles publiés.
Pages
Catégories
- 570 Le monde autour de nous
- 463 Colonialisme-impérialisme
- 329 Grundlegung zur Metaphysik
- 325 Débats chez les "résistants"
- 304 Peuples d'Europe et UE
- 180 La gauche
- 169 Billets divers de Delorca
- 165 Les Stazinis
- 147 coronavirus-vaccination-big pharma
- 142 Philosophie et philosophes
- 131 Proche-Orient
- 120 Le quotidien
- 118 Christianisme
- 95 Divers histoire
- 94 Revue de presse
- 86 Ecrire pour qui pour quoi
- 75 Les rapports hommes-femmes
- 73 Actualité de mes publications
- 72 Lectures
- 67 Cinéma
- 66 Bill Gates
- 65 George Soros
- 54 Les régimes populistes
- 52 La droite
- 51 Abkhazie
- 50 1910 à 1935 - Auteurs et personnalités
- 50 Béarn
- 49 Souvenirs d'enfance et de jeunesse
- 46 Donald Trump
- 43 Transnistrie
- 37 Espagne
- 33 Aide aux femmes yezidies
- 33 Barack Obama
- 27 Antiquité - Auteurs et personnalités
- 21 XIXe siècle - Auteurs et personnalités
- 19 1950-75 : Auteurs et personnalités
- 18 La Révolution des Montagnes
- 17 Vatican
- 15 Avortement
- 13 Programme pour une gauche décomplexée
- 13 XVIIIe siècle - Auteurs et personnalités
- 12 Atlas alternatif
- 9 Asie
- 7 1950-75 : Auteurs et personnalités
- 7 Au coeur des mouvements anti-guerre
- 7 Conférences vidéos de résistants
- 7 ICD
- 7 Renaissance - Auteurs et personnalités
- 7 Un livre épuisé sur D. Albert
Commenter cet article