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Le blog de Frédéric Delorca

Mobilis in mobile

28 Septembre 2010 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Le quotidien

Le Dissident internationaliste accepte plus aisément que moi d'être père et pédagogue. Peut-être parce qu'il a procréé avant moi, peut-être parce qu'il a dix ans de plus, peut-être parce que son métier d'enseignant l'a conforté dans ce rôle. Il voudrait être le père d'un révolution à venir ou de ferments révolutionnaires qui écloront un jour peut-être ici ou là. Plus optimiste que moi, il guête les endroits où ça peut bouger, les analyse, étudie de près le langage de ceux qui demain peut-être changeront la société. Plus patient, il tolère leurs approximations, leurs incohérences, leur désordre contre-productif. Il était prêt à parrainer naguère un non-alignement transnistrien. Aujourd'hui une reconstruction rebelle de banlieues populaires en France. Il a raison.

 

Les grandes révolutions ne sont jamais où on les attend, ni dans les formes qu'on espérait d'elles, mais il faut garder à l'esprit leur possibilité. La société change et changera, pas forcément pour le pire. Ne perdons pas de vue le changement, oeuvrons à l'accompagner.

 

L'historicité de l'être.

 

C'est comme dans la vie privée. Un jour vous découvrez qu'un être cher a le cancer. Ce qui semblait immuable dans la relation que vous entreteniez avec lui révèle son caractère éphémère. Le cancer écrit la vérité cachée du monde que vous croyiez stable, cette vérité que les mots essentialistes "je" "tu" "nous" figent à l'excès. Chaque mort et chaque naissance rappelle le fleuve d'Héraclite et la branloire pérenne de Montaigne. Et comme ils vous sembleront lointains un jour les lapsus calamiteux de la pauvre Dati, et le cynisme de notre gouvernement ! Ce qui ne signifie pas que tout sera mieux. Tout sera autre.

 

Ce weekend en Béarn où je fêtais mes 40 ans, dans cette région natale dont l'essence, celle que je garde en moi, s'éloigne à jamais, je feuilletais au hasard des livres de la bibliothèque de mes 20 ans. Trois lignes de Sollers ici, un aphorisme de Cioran là, une page de "De l'amour" de Stendhal, une phrase de Baudrillard. Beaucoup de mots qui ne me parlent plus du tout. Où ai-je vu quelques lignes de Nietzsche sur le langage ? Je ne sais plus. Je sais en tout cas que je n'étais pas complètement d'accord avec ces lignes. Elles faisaient du langage un artefact qui appauvrit la diversité du réel, et notamment de la réalité corporelle. C'est en partie vrai, en partie faux. Car la diversité du corps, et la richesse individuelle, se construisent aussi à travers la stabilité (et même parfois la répétition rituelle) de mots figés. Je le vois tous les jours avec mon fils. Le langage n'est pas qu'une superstructure qui, comme je le disais plus haut, sclérose le devenir. Il y a de l'entrelac du stable et du mobile en chacun d'entre nous. Et dans le fonctionnement de l'univers, de la matière. Des lois, et des systèmes de lois si complexes que la prévisibilité disparaît. Point de prévisible sans l'imprévisible, point d'imprévisible sans le prévisible.

 

A Pau, il y a beaucoup de mots. Des mots occitans, des mots français. Je prenais un verre dimanche avec un enseignant épris de festival de Siros autant que de la lecture de Zizek. Mobilis in mobile. Il me disait aussi qu'il y avait dans sa ville des Congolais qui parlent russe, pour avoir étudié à Moscou quand Sassou Nguesso était pro-soviétique, et puis, comme partout, des gens qui se mettent au Chinois.

 

A Pau on ne se sent pas encore obligé de parler de "webdocumentaire" et autres anglicismes à la mode à Paris, qui ne font que signer la haine des élites pour leur langue et leur culture. On vit la globalisation différemment. A Brosseville aussi. Ce matin à la permanence du maire, sur quatre femmes venues exposer leurs problèmes sociaux, trois étaient voilées. Leurs récits sont toujours les mêmes. Beaucoup d'enfants, des logements trop petits, des salaires trop faibles, des problèmes de santé. Toutes expertes dans l'art de passer d'une administration à l'autre pour grapiller quelques euros supplémentaires pour boucler les fins de mois. Comment fait-on de ces petites vies de gens oubliés dans leurs quartiers oubliés des destins de citoyens capables d'influencer l'histoire de l'humanité ? Je ne sais pas. Le Dissident internationaliste y travaille.

 

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