Mon positionnement sur des thèmes "identitaristes" : réponse à un lecteur de ce blog
Le lecteur de ce blog Patrick C. m'a prié en 8 questions de bien vouloir préciser mon positionnement politique à l'égard de divers intervenants dans le champ du débat politique actuel, estimant que tant que je n'avais pas répondu à ses questions, ma grille de lecture demeurerait "confuse" à ses yeux. Comme je le dis souvent la clarté de ma grille apparaît surtout dans mes livres (par exemple 10 ans sur la planète résistante), mais je comprends que les lecteurs de ce blog n'aient guère envie de se lancer dans la lecture d'ouvrages.
Je vais donc répondre à Patrick C. dans l'ordre des questions qui me sont posées, tout en sachant que ses questions elles-mêmes trahissent un univers d'interrogation assez influencé par une certaine culture contestataire d'Internet et certaines problématiques assez typées (je veux dire que peu de gens hors de la blogosphère contestataire et hors des débats sur l'identitarisme et l'ethnicisme s'interrogent sur des gens comme Alain Soral ou Kémi Seba). Les questions auraient pu aussi bien porter sur François Hollande, Dominique de Villepin, Lady Gaga ou le pape. Elles portent sur des personnalités qui correspondent à d'autres problématiques, j'y réponds comme elles viennent, ce qui ne signifie pas cependant que ces thématiques soient aussi centrales pour moi que les questions ne peuvent le laisser entendre. Mais tout bon citoyen doit être prêt à répondre librement et clairement aux questions politiques qu'on lui pose, c'est donc pour m'acquitter de ce devoir que je réponds ici (tout comme c'est aussi par respect de ce devoir que j'écris des livres et tiens à jour un blog).
Je précise que, sur la question ethnique, ma ligne est "plutôt Front de Gauche" au sens où je considère que la question sociale est primordiale, et je ne m'intéresse à la dimension "ethnique" (mot que je n'aime pas mais que l'on utilise par commodité sous l'influence anglosaxonne) ou culturelle que pour autant qu'elle crée des inégalités sociales : autrement dit, par exemple, le fait que quelqu'un est arabe ou noir ou occitan en France ne m'intéresse que pour autant que le regard porté par les milieux dominants sur sa couleur, sur sa culture, son accent etc. entraîne des discriminations à son égard ou contribue à le confiner dans des positions sociales inférieures. Mais je reproche au Front de Gauche de souvent refuser de voir en quoi le problème de la différence culturelle ou ethnique occasionne des inégalités et nécessite des mesures le prenant en compte spécifiquement (sans verser dans l'ethnicisme). De même d'ailleurs que je critique le Front de gauche pour son manque de sens de la défense des frontières des Etats, seul instrument de régulation possible du capitalisme mondialisé de nos jours, son manque d'enthousiasme pour le volet progressiste de l'histoire de France, son faible sens stratégique etc (mais on peut se sentir idéologiquement proche d'un mouvement tout en le critiquant beaucoup, surtout si les autres présentent des défauts encore plus rédhibitoires).
Tout ceci étant posé lançons nous.
1 - Dans plusieurs de vos articles présent sur ce blog, vous avez enscencé Houria Bouteldja, qui est poursuivis par la justice de notre pays pour propos racistes après avoir traité de "sous-chiens" les français dit "de souche" lors d'une émission télévisuelle en 2007. Que pensez-vous de son mouvement le P.I.R. et de sa ligne politique?
J'ai en effet rencontré plusieurs fois Mme Bouteldja en 2009, j'ai lu attentivement les productions du PIR, discuté de leurs initiatives et de leur évolution avec diverses personnes. J'en ai dit du bien à divers moments, tout en précisant ensuite, à d'autres endroits de ce blog, que je m'en suis éloigné. Pour résumer les choses, je dirais ceci.
Il y a trois dimensions qui m'ont intéressé dans ce mouvement. La première, c'est la volonté de placer la société française devant son ethnocentrisme (la prédominance des références "blanches" et chrétiennes) : un travail intellectuel intéressant qui était resté confiné jusqu'ici dans les cultural studies universitaires anglo-saxonnes ou leurs prolongement français. La seconde : une volonté de développer chez les immigrés issues de nos ex colonies et leurs descendants une conscience du fait que l'assimilationnisme teinté de paternalisme dont ils faisaient l'objet était le prolongement d'une domination coloniale (l' "indigénat") et une volonté par conséquent de se réapproprier l'héritage des héros des luttes anti-coloniales (à une époque où le néolibéralisme tente de l'occulter ou de le dénigrer). Troisièmement la personnalité d'Houria Bouteldja, dont j'ai apprécié la performance face à Alain Finkielkraut à Ce soir où jamais, m'a impressionné, ce qui prouvait "par le facteur humain" si l'on peut dire, que les idées qu'elle défendait pouvaient effectivement lui donner la force de dépasser les censures sociales que les intellectuels dominants imposent aux gens issus de son milieu : son assurance prouvait l'efficience d'une doctrine, tout comme, si on veut, la puissance de la lutte anticoloniale s'incarnait dans l'aplomb du discours de Lumumba face au roi des belges le jour de l'indépendance du Congo.
J'ai cependant pris mes distances à l'égard du PIR lorsque j'ai vu que ceux-ci tendaient à faire passer la différence culturelle avant la question sociale, à la différence de l'ANC en Afrique du Sud par exemple, notamment en dissuadant les "souchiens" d'adhérer au mouvement. Très logiquement ce différencialisme du PIR l'entraine à s'enfermer dans des replis sur soi intellectualistes (une atmosphère très Derrida, Quartier latin, postmoderne) et l'ignorance des luttes sociales comme celle pour la défense des retraites (alors que le démantèlement de l'Etat providence ne va faire qu'accentuer le racisme dont les adhérents du PIR s'estiment victimes et qu'il veulent combattre). Il faudrait donc que le PIR réintègre la question sociale comme le faisaient les mouvements anticolonialistes naguère.
Je préfère le positionnement de groupes comme Emergence, qui a présenté des candidats aux dernères élections régionales en Ile de France et qui tente de défendre les quartiers populaires sans distinction entre "souchiens" et "non-souchiens" et garder la question sociale au centre de ses préoccupations, tout en mettant en avant des revendications culturelles spécifiques destinées à répondre au problème ethnique que crée le racisme des dominants (lutte contre l'islamophobie par exemple).
Le mot "souchien" (délibérément déformé en "sous-chien" par les adversaires du PIR) ne me gène pas. C'est un terme inventé par un sociologue québecquois je crois. Il désigne ceux qui se revendiquent comme des Français de souche ou peuvent être traités comme tels par les institutions. Sa consonnance souligne l'absurdité qu'il y a à croire en la "souche" s'agissant d'un pays comme la France où tout le monde est peu ou prou issu d'une immigration ou d'un processus d'assimilation au terme d'une conquête. Il n'y a pas de "France de souche éternelle".
2 - Que pensez-vous de la ligne politique du M.D.I. de Kémi Séba, mouvement qui a fraternisé à plusieurs reprises avec le P.I.R?
Je ne connais pas bien le MDI. Il m'est arrivé de lire leur prose qui est souvent excessive et gratuitement polémique. Ils me paraissent radicalement ethnicistes, ce qui est en complète contradiction avec mon propre positionnement. Je ne sais pas s'ils "fraternisent" avec le PIR. Si c'est le cas, ça ne veut pas forcément dire que le PIR, lui, "fraternise" avec eux. La réciprocité ne fonctionne pas forcément. En tout cas il existe un risque qu'en perdant de vue la question sociale et l'idée d'un combat commun des classes dominées contre le capitalisme mondialisé le PIR effectivement finisse dans sous les mêmes latitudes que le MDI.
3 - Ou vous situez-vous, par rapport à la ligne politique de l'association Egalité et Réconciliation présidé par Alain Soral (gauche du travail, droite des valeurs,...) ?
Soral est un esprit imaginatif qui a tenté une aventure audacieuse : réconcilier les franges issues de l'immigration avec un prolétariat "souchien" massivement rallié au Front national. Il fallait un certain courage pour tenter cela, et j'apprécie que des gens s'engagent au risque de leur réputation et de leur intégrité physique sur des terrains compliqués comme il l'a fait. Mais je crois que lui et Dieudonné n'ont pas suffisamment étudié la situation politique de notre pays, peut-être parce qu'ils étaient issus du monde du spectacle et raisonnaient exclusivement en termes de slogans publicitaires et de polémiques superficielles (Soral n'est jamais autant en verve que dans la critique ad hominen de stars médiatiques de Besancenot à Attali, mais, passé l'effet humoristique, cela finit par tourner à vide).
Leur première erreur d'analyse tenait au fait que si le Front national capte en effet un électorat ouvrier, il s'agit d'un parti petit-bourgeois très occidentaliste, très ethnocentrique ("souchien"), xénophobe, et très atlantiste (la sauvegarde de l'intérêt de la France étant très liée, dans son idéologie, à la solidarité avec les Etats-Unis d'Amérique). Même si Jean-Marie Le Pen dans certaines de ses intiatives a pu évoluer vers un certain "non-alignement" (sur le soutien à l'Irak et à l'Iran par exemple); son parti est né au départ dans la mouvance atlantiste, et il y retourne très clairement maintenant sous la houlette de Mme Marine Le Pen, ce que Soral a dû lui-même admettre mais dont il ne tire pas les conclusions en abandonnant son entreprise E&R.
La deuxième erreur concernait les gens issus de l'immigration postcoloniale : il n'était pas juste, comme le leur demandait Soral, d'enterrer leur ressentiment historique contre les ex-colonisateurs alors même que les crimes de la colonisation commencent à peine à être sérieusement explorés. En Afrique du Sud, la réconciliation s'est bâtie sur le socle d'une transparence complète en ce qui concerne les crimes commis, et un aveu explicite des crimiinels. Quel soldat français de la guerre d'Algérie avoue aujourd'hui les crimes dont il fut témoin voire l'acteur ? Au contraire on force les victimes algérienne à se taire et on diabolise le drapeau algérien. C'est le contraire de ce qu'il faut faire si l'on souhaite une réelle réconciliation et restaurer comme le prétend Soral la grandeur du drapeau français.
Le slogan "gauche du travail, droite de valeurs" lui-même n'est pas bon. Que veut-il dire ? Que la gauche, le prolétariat, le monde du travail, n'a pas de valeur ? ou que la droite n'est pas le monde du travail ? Ca n'a pas de sens. Le projet de réconcilier le petit commerçant d'extrême droite et l'ouvrier au chômage issu d'une famille communiste a ses limites. D'abord parce que sur le terrain social, la PME reste un des espaces assez dur d'exploitation des salariés, un domaine où l'on applique le moins le droit du travail (même M. Fillon n'a pu imposer des conseils syndicaux dans les PME). De même les intérêts en matière de politique fiscale du commerçant et de l'ouvrier ne sont pas le mêmes.
L'idée d'une "réconciliation nationale" par delà la contradiction de classe entre le petit salarié et le petit commerçant n'a de sens que si on place la question de la domination internationale et le devoir de sauver la patrie au centre de tout. Cette mise entre parenthèses du pluralisme politique, des conflits de groupes, de la lutte des classes (ou la métamorphose de la lutte des classes en un combat contre la "surclasse" internationale, sur la base d'une lecture de Michéa) correspond à ce qu'ont voulu faire toutes idéologies d'extrême droite promues par des gens venus de la gauche, à commencer par le fascisme mussolinien, mais cela signifie qu'on dit aux ouvriers et employés : oubliez vos demandes légitimes tant que nous n'avons pas abattu le capitalisme international, ce qui n'a pas de sens. On ne s'étonne pas ensuite de voir qu'Alain Soral a dénigré le combat sur les retraites comme une simple "pièce de théatre" à laquelle il ne voulait pas prendre part.
Cette façon de suspendre la lutte des classes pour en faire un combat mondial contre une "pieuvre planétaire" s'accommode beaucoup d'une vision complotiste du monde, et d'une culture Internet qui ne prend plus trop le temps de réfléchir aux mécanismes concrets des relations sociales. On substitue à l'analyse précise et nuancées des faux scoops tapageurs sur l'action de tel ou tel club de banquiers qui transformerait tout le monde en marionnettes. Cela devient de la pensée magique, de l'irrationnel pur, de la fausse pensée critique. En fait c'est de la non-pensée, le culte de la dissidence pour elle-même, dont le contenu s'effiloche.
La thématique antisioniste dans ce contexte-là rejoint l'esprit de l'entre-deux guerres, tout comme la thématique anti-franc-maçon. On y reviendra dans les questions suivantes.
Pour en terminer avec la question de la mise entre parenthèses de la question des classes sociales, du clivage gaiche-droite et des conflits d'intérêt, je pense qu'elle n'est légitime, comme en 1942 dans le cadre du conseil national de la résistance, que ponctuellement et sur des objectifs précis : la sortie immédiate de l'Union européenne et de l'OTAN (comme le suggère l'Union populaire et républicaine - UPR), ou la défense de la langue française - encore que je soupçonne l'UPR de défendre la langue française contre les langues régionales et les langues des migrants, ce qui peut être une forme d'ethnicisme déguisée : selon moi il faut défendre un trilinguisme qui inclurait la langue affective choisie par le locuteur, la langue nationale (le français), et la langue internationale (anglais, espéranto, français, chinois etc selon les rapports de forces qui s'établiront).
Dans l'idéal j'aimerais que les diverses tendances des partis encore sensibles à la question nationales (Front de gauche, MRC, POI, DLR, République solidaire...) puissent concrètement suspendre la lutte des classes et le conflit droite-gauche sur l'objectif concret de sortie de l'Union européenne tant il me semble urgent de soustraire la France à cette structure antidémocratique.
4 - Pourquoi n'avez-vous pas évoqué sur ce blog, la tenue de ce samedi à Paris, des "Assises internationales sur l'islamisation de nos pays" ou la majorité des intervenants et du public sont des gens issus de la gauche républicaine et laïque, alors que les médias cherche à les faire passer pour "d'affreux nazis" sous pretexte qu'ils sont coude à coude avec le Bloc Identitaire sur cet ligne là?
Tout d'abord, je n'étais pas au courant. Je m'intéressais plus vendredi soir à la réunion du Parti ouvrier indépendant avec Louisa Hanoun, mais je n'ai pu y assister.
Ensuite, même si j'avais été au courant de ces Assises sur l'islamisation, je n'en aurais pas parlé et n'y aurais pas assisté puisque je ne pense pas qu'il y ait un risque "d'islamisation" massive de la France à court ni à moyen terme, et donc je ne vois pas l'intérêt de réunir des assises contre ce danger imaginaire. Ces assises sont selon moi sans objet.
Cela ne signifie pas que je diabolise ses participants ni que je les traite gratuitement de nazis (ce que je ne fais à l'égard de personne). Il en est même à cette tribune dont je puis apprécier quelques productions intellectuelles par ailleurs, comme Renaud Camus qui a rendu d'importants services à la langue française. Mais je crois que ces gens qui organisent des assises fabriquent des fantasmes contre des cultures et des groupes qu'ils connaissent mal. Ils ont peur ou cherchent à provoquer la peur chez leurs partisans et la peur n'est pas une bonne source d'inspiration en politique.
5 - Qu'elle est votre position par rapport à l'islam et à la montée de l'islamophobie, en France et en Europe?
L'Islam est un monothéisme universaliste intellectuellement intéressant, à l'origine très semblable au christianisme proche-oriental (notamment le christianisme "hérétique" ou, disons, "dissident"). Le monothéisme radical est toujours une source de grands progrès éthiques pour les individus, mais aussi une source potentielle d'intolérance. L'Islam a eu dans l'histoire les mêmes tendances à l'intolérance que le judaïsme et le christianisme, et les mêmes tendances à l'ouverture et au compromis à d'autres époques à divers endroits (et encore aujourd'hui). La structure non-impériale de l'Islam (sans pape ni hiérarchie ecclésiale) est d'ailleurs plutôt un facteur d'ouverture et de tolérance en son sein. La société islamique initiale à l'époque du "Prophète" fonctionnait sur des principes contractuels et non légaux, liées à la base sociale du mouvement (des commerçants bédouins). Il est regrettable que le colonialisme, puis le néo-colonialisme occidentaux contemporain (en Palestine, en Irak, en Afghanistan, au Yémen, au Soudan etc) favorisent des replis conservateurs (je dis bien "favorisent" car ils ne sont pas l'unique facteur).
Les sociétés musulmanes traversent de très graves crises identitaires et sociales, avec des dissensions internes énormes entre modernistes et traditionnalistes (ou qui se croient tels), des dissensions qui peuvent même traverser un même individu. L'Occident doit se garder de toute ingérence maladroite vu le rôle qu'il a lui même joué, dans un premier temps, pour détruire les structures traditionnelles de ses sociétés, puis, dans un second temps, pour détruire les mouvements de gauche progressistes (communistes, nasséristes, bassistes) tout en soutenant les pires obscurantismes (Arabie Saoudite, Pakistan, Afghanistan).
A titre personnel, je souhaite que les peuples du Proche-Orient et d'Afrique du Nord évoluent vers des visions du monde religieuses ou athées qui les disposent à avoir la perception du réel la plus exacte possible, un système politique qui développe le "social empowerment", c'est à dire la possibilité pour les citoyens d'être sujets de leur destinée collective, et un comportement à l'égard de l'espèce humaine le plus solidaire possible. De mon point de vue, cette exactitude et cette solidarité s'atteignent plutot dans un cadre philosophique laïque voire athée. Mais je reconnais que l'athéisme ou la laïcité ont souvent produit de l'égoisme et de l'injustice et que des pensées religieuses ont parfois provoqué des avancées significatives sur la voie de la justice. Par exemple, j'ai cru comprendre qu'en Iran l'islamism a apporté des progrès sociaux inattendus (en matiere de droit du travail par exemple), ce qu'une révolution strictement laïque n'aurait peut-être pas été en mesure de faire (à supposer même que les laïques fussent assez puissants pour renverser le shah). De même l'alliance de l'Iran avec des régimes progressistes à forte sensibilité sociale comme la Biélorussie ou le Venezuela va dans le sens de l'émancipation des peuples. Les systèmes religieux peuvent donc avoir des effets plus progressistes qu'un esprit rationaliste comme le mien pourrait a priori le penser.
En tout cas ce n est pas aux Etats occidentaux qu'il appartient de définir ce qui est bon pour les autres peuples.
En revanche, à l'intérieur de nos frontères, oui, il nous appartient de décider de l'avenir de notre société, et donc de la place que nous voulons réserver à l'Islam. Cette culture touche près de 10 % de la population.Le choix de l'immigration fait dans les années 1960-70, à la demande du patronnat européen, à cause de l'ampleur numérique qu'elle a pris, fut une source de malaise autant pour les pays d'accueil que pour les migrants, et l'on a bien fait, dans les années1990, d'en limiter le volume. Mais la réalité de la présence des gens issus de l'immigration postcoloniale sur notre sol est irréversible.Parmi ces personnes beaucoup sont juridiquement ou se sentent complètement françaises. Beaucoup aussi ne se sentent ni d'ici ni de leur pays d'origine (phénomène de la "double absence" que l'on peut essayer de positiver sous la forme de la "double appartenance"). Il est évident que l'on ne peut les renvoyer dans nos anciennes colonies, et notre société a objectivement besoin d'elles. Mais elle ne peut pas les laisser confinées dans un malaise identitaire et social.
On ne peut pas s'abriter derrière une neutralité républicaine abstraite pour dénier le problème du racisme dont elles font l'objet (je pense surtout aux jeunes de sexe masculin encore plus qu'aux femmes d'après les statistiques de l'éducation et du chômage), et on ne peut pas s'abriter derrière une laïcité conçue à l'origine essentiellement contre le pouvoir de l'église chrétienne pour refuser que l'Islam, avec ses lieux de culte, ses pratiques alimentaires etc. ait sa place à part entière dans la culture française. Et je pense que les autres pays européens ont intérêt a faire aussi une place à l'Islam dans leur propre culture, dans l'esprit d'une laïcité inclusive, comme elle est pratiquée au Québec par exemple. Ils doivent aussi faire une place à l'hindouisme et à bien d'autres aspects de la nouvelle diversité culturelle de nos sociétés, sans oublier pour autant de valoriser l'héritage "souchien" (pour parler vite) de la France (catholicisme, protestantisme, judaïsme, courants philosophiques rationalistes, art de vivre issu de notre histoire millénaire, cultures régionales etc).
6 - Quel regard portez-vous sur la Franc-Maçonnerie française?
Je regrette l'existence d'une école de pensée qui met un tel point d'honneur à oeuvrer à l'abri des regards. Je pense qu'elle est moins puissante qu'on ne le croit, mais il est clair qu'un tel mouvement en privilégiant le secret nourrit beaucoup de fantasmes autour de lui. Il n'est pas sain pour la démocratie que des placés à des postes importants puissent s'entendre entre eux et se couvrir sur la base d'une entente sur la préservation du secret de leur appartenance commune à une organisation commune. C'est très malsain. Il n est pas normal que l'on puisse, en France, comme cela semble être le cas, une suppression de contravention, l'accélération d'un procès en justice ou une promotion de carrière parce qu'on est franc-maçon.
Par contre je ne crois pas que la franc-maçonnerie soit capable d'organiser des complots internationaux (d'ailleurs des complots contre qui et pour quoi ?) comme l'a longtemps cru une partie de l'extrême droite.
L'existence de la franc-maçonnerie pose plus largement la question du degré de tolérance que l'Etat doit avoir à l'égard de tout système d'entraide privé qui cache son mode de fonctionnement, y compris d'ailleurs des systèmes d'entraide syndicaux, partisans etc lorsque ceux-ci ne sont pas transparents.
7 - Faites-vous une différence et laquelle, entre l'antisémitisme et l'anti-sionisme?
Le sionisme est un projet colonial né dans la veine des nationalismes romantiques bourgeois. Il s'est imposé en Palestine au détriment des droits légitimes du peuple arabe qui s'y trouvait. Il a été encouragé par les Occidentaux qui y ont vu un moyen d'affaiblir le nationalisme arabe et garder un contrôle sur le pétrole du Proche-Orient, tout en se donnant bonne conscience à l'égard des gens de culture juive après le génocide commis par les nazis. Tout engagement contre le colonialisme est nécessairement antisioniste. Aussi, je suis favorable à la création d'un Etat palestinien sur l'ensemble de l'ancien mandat britannique à l'ouest du Jourdain et au droit au retour des Palestiniens exilés.
Selon toute logique cet Etat ne pourra exister que sur la base d'un compromis avec les citoyens israéliens qui représentent aujourd'hui plus de 40 % de la population de l'ancien mandat britannique et dont certains y vivent depuis des décennies. Il appartient aux sionistes et aux Arabes de Palestine de dessiner eux-mêmes les formes de ce compromis, mais la partie sioniste dans la négociation doit savoir en tout cas qu'elle ne peut plus compter sur le soutien des Occidentaux (sans quoi le poids occidental fait nécessairement peser la balance dans le sens de l'injustice). Il ne s'agit pas de "lâcher" complètement les Israéliens comme de Gaulle l'a fait des pieds-noirs (ce qui ensuite produit des OAS, et là il s'agirait d'une OAS surarmée). Il faut convaincre les Palestiniens de leur garantir un droit à rester en Palestine, mais en plaçant d'abord le droit de la Palestine à exister et le droit des Palestiniens à avoir des terres (et non pas, comme on le fait aujourd'hui, le droite d'Israël à sa sécurité, qui est en fait un pur slogan pour justifier la poursuite de la colonisation).
L'antisionisme n'a normalement rien à voir avec l'antisémitisme. C'est le refus d'un projet colonial que certains Juifs (mais aussi certains chrétiens) ont soutenu mais aussi que beaucoup de Juifs ont combattu et combattent encore (il faudrait d'ailleurs être très nuancé sur cette notion de "juif" que l'on emploie dans un sens nationaliste et communautariste des plus douteux).
Je m'inquiète en revanche de voir l'antisionisme utilisé dans des délires complotistes du genre "derrière chaque divorce il y a un sioniste" (pour ne citer que le plus caricatural), où on sent ressortir les mécanismes de pensée antisémites des années 30 plaqués sur la réflexion antisioniste. Sans oublier les amalgames "juifs-sionistes" que de plus en plus d'antisionistes pas très cultivés font, cela m'inquiète. Il faut revenir à un antisionisme raisonnable et qui refuse résolument toute forme d'antisémitisme.
8 - Pensez-vous que le mouvement du Hamas est un mouvement de libération qu'il faut activement soutenir?
A titre personnel j'aurais aimé que la principale résistance palestinienne fût un mouvement laïque. Mais les Occidentaux ont tout fait pour affaiblir la gauche palestinienne, et transformer l'OLP en vassal du gouvernement israélien. Ils ont aussi tout fait pour empêcher l'unité de se créer entre l'OLP et le Hamas, conduisant celui-ci à s'enfermer dans son bunker de Gaza pour assurer sa survie politique.
Je n'ai pas beaucoup de sympathie pour le Hamas dont certains aspects (notamment certains points de sa charte) rappellent de mauvais souvenirs des années 30. Mais la politique à ce niveau là n'est pas affaire de sympathie. L'existence du Hamas, comme celle du Hezbollah, est aujourd'hui une garantie contre l'hégémonisme israélien au Proche-Orient. Ils sont des organisations militaires efficaces comme l'ont montré leurs succès face aux attaques israéliennes. En outre ce sont des structures d'entraide sociale très profondément ancrées dans les sociétés qu'ils représentent. Il faut inciter Israël à négocier avec eux, d'autant que si Israël boycotte le Hamas, comme autrefois il boycottait Arafat, la prochaine étape sera le développement du Djihad Islamique parmi la jeunesse palestinienne désespérée, et là, la négociation sera encore plus difficile. Enfin, bien sûr, je suis pour que l'embargo sur Gaza (auquel participe hélas la France) soit complètement levé car rien ne justifie les punitions collectives infligées à des civils - et en l'occurrence la punition est d'une très grande cruauté, puisqu'elle étouffe littéralement l'ensemble d'une société.
---- Voilà donc mes réponses sur tous ces points. Evidemment tout cela reste ouvert à la discussion, et si mes arguments apparaissent trop faibles je suis prêt à les réévaluer !
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