Passion(s) et socialisme(s)
30 Novembre 2013 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Les rapports hommes-femmes
J'aime à écrire sur les femmes trentenaires (par là j'entends les 30 à 35 ans) de notre temps car elles participent pleinement d'un mouvement d'émancipation de notre espèce et de démocratisation de l'amour dont l'origine se situe au XIXème siècle et dont nous ignorons encore tout le potentiel.
Voilà ce que me racontait récemment une trentenaire à propos d'une amie de son âge, bourguignonne, que nous appellerons Isabelle. Isabelle a vécu un mariage normal, dont elle a eu trois enfants, puis elle a quitté son mari pour son amant. Jusque là rien d'exceptionnel. Sauf qu'après être allée s'installer avec ce denier dansle Sud de la France, elle a découvert que cela se passait mal. Ils se sont séparés (seconde séparation), puis elle est retournée en Bourgogne, et là, elle est tombée amoureuse d'un vieil ami qu'elle connaissait depuis longtemps. C'est une véritable passion et de leur nouvel amour a surgi un embryon dans le ventre d'Isabelle...
Sauf qu'Isabelle sera bientôt opérée pour je ne sais quel problème de santé, et elle doit donc subir un avortement thérapeutique. Elle compte désormais les jours qu'il reste à vivre in utero à ce potentiel enfant de l'amour dont tout le capital génétique est là et vit encore mais auquel elle doit renoncer...
On peut imaginer quels ont été les sentiments de cette femme encore jeune, les enthousiasmes et les douleurs qu'elle a pu traverser au fil de ses rencontres et de ses ruptures. Les soirées etles nuits qu'elle a passées à rêvasser et réfléchir (peut-êtreplus nombreuses encore que celles à faire l'amour).
Tous ces épisodes depuis quinze ans lui ont sans doute donné un sentiment d'intensité (valeur cardinale en Occident, rappelez vous à l'opposé la thèse du philosophe François Jullien selon laquelle la Chine refuse l'intensité), une permanente projection de soi-même dans une philosophie vécue de l'existence, la confrontation à des questions éthiques etc. Tout cela donne au sujet l'impression d'exister à une échelle plus vaste que la simple exécution des tâches domestiques ou professionnelles par exemple, ou que l'écriture de poêmes.
J'insiste sur le fait que les femmes ont accédé aujourd'hui à la possibilité de vivre cela, car, si elles n'avaient pas fait le choix de tenter cette aventure existentielle, symétriquement et réciproquement les hommes ne le pourraient pas non plus. Ils ne vivraient aucune passion d'égal à égal et pourraient juste se vanter d'avoir collectionné quelques "conquêtes" moins libres qu'eux et instrumentalisées par eux, comme les les Romains jadis par exemple (voir Paul Veyne sur l'élégie érotique romaine). Le nouvel horizon passionnel des femmes a ouvert symétriquement celui des hommes, et leur donne aussi la possibilité d'une projection d'eux-mêmes dans un investissement de leur sens de la vie sous le signe de sentiments forts et risqués, par lesquels les amants se disent "je t'ai choisi malgré tous les doutes et douleurs du passé et de l'avenir, malgré tous les sacrifices, et A CAUSE des sacrifices". Cette option est d'ailleurs revêtue d'une dimension un peu "rebelle" à l'égard de l'ordre social (qui encourage plutôt les parents à rester ensemble auprès de leurs enfants, à ne pas remettre en cause en permanence leur travail, leur statut etc), quoiqu'une certaine dimension du consumérisme favorise aussi la rébellion. D'une manière générale l'ordre consumériste, dans la mesure où il privilégie l'immédiateté, l'amnésie de chacun sur ce qu'il fut et l'indifférence à ce qu'il sera, la superficialité des inclinations est plutôt hostile à la passion qu'il instrumentalise sans la prescrire aux masses. En ce sens le choix de vie passionnel peut être vu politqiuemet comme une option de résistance potentiellement révolutionnaireet socialiste au sens où je l'entends.
Une autre option s'oppose, dans les milieux féministes de gauche (par exemple dans la radicalité libérale de Marcela Iacub), à la passion, c'est le panérotisme anti-sentimental, éventuellement vénal, option qui à ce jour me paraît encore plus difficilement viable comme résistance au capitalisme que l'option passionnelle, parce qu'elle se dissout dans une logique de la rencontre éphémère et de la marchandisation de soi et des autres absolument incompatible avec une construction politique. Elle ne serait possible que dans un environnement néo-stoïcien déjà évoqué dans mes livres mais difficile à mettre en oeuvre.
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