Post spiritum omne revolutio tristis est
7 Août 2012 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #La gauche
On oublie aujourd'hui combien, à l'époque du bergsonnisme triomphant, la révolution bolchévique put être perçue par des gens comme Romain Rolland, Anatole France, puis Paul Nizan, et même André Malraux, comme le prolongement du panthéisme de Tolstoï (rappelez vous que j'ai souligné sur ce blog aussi combien même Gandhi dans les années 30 insistait sur le potentiel spirituel du socialisme russe).
Le spiritualisme, notamment en France (et la France dominait encore le monde intellectuel de l'époque, en tout cas l'intelligentsia de gauche d'Europe), était certes gêné par le positivisme de tous les scientifiques professionnels à la Russell ou inventeurs en herbe dont bien des humoristes d'Alfonse Allais à Céline (dans Mort à crédit) parlent abondamment, ainsi que par un certain nihilisme de la jeunesse désespérée par la saignée de 14-18, qui étaient des sortes de poil à gratter susceptible de contester son hégémonie, mais il aurait peut-être survécu s'il n'avait été anéanti dans les années 30 par le propagandisme fasciste (Goëbbels) et capitaliste (Bernays) qui visaient l'abrutissement généralisé.
Il faut entendre les effets du fascisme largo sensu. Un témoin direct comme Borghese par exemple voit dans le totalitarisme stalinien une contagion du fascisme italien avec cette mode du règne des milice, de la brutalité divinisée et des grands défilés paramilitaires qui écrasent l'individualité.
Après le double rouleau compresseur capitaliste et fasciste, l'idée révolutionnaire en France n'est plus devenue, dans les années 60, qu'un vague élan de revendications catégorielles de la jeunesse contre l'autorité de la vieille génération, élan doublé d'un travail intellectuel de disqualification de la culture classique (le structuralisme), tout cela demeurant parfaitement compatible, finalement, avec le capitalisme américain triomphant, et non exempte d'élément fascisants (dans l'attaque personnelle mesquine des adversaires, le totalitarisme intellectuel, des éléments qui étaient étrangers au socialisme spiritualiste d'un Romain Rolland ou d'un Jean Jaurès par exemple).
Comme vous le savez, j'ai regardé avec beaucoup d'intérêt (et même soutenu tout en en mesurant les insuffisances) la tentative de Mélenchon d'acclimater à l'hexagone la révolution chaviste en lui insufflant une dose de mitterrandisme et une autre de néo-jacobinisme. Lui paya son écot à la conception "post-spiritualiste" de la révolution, le volet soixante-huitard en mobilisant au sein du PG la rhétorique féministe, celle de l'ouverture à "l'altérité" du tiers-monde etc, après avoir initialement été accusé de machisme et de soutien à l'esprit réactionnaire sur les questions "sociétales". La chanson révolutionnaire de Mélenchon bien sûr ne portait aucune trace du spiritualisme des années 1920, pas plus d'ailleurs qu'aucun autre aspect de la culture contemporaine française.
J'ai remarqué qu'au mois de juillet l'Humanité Dimanche ne parle plus de Mélenchon. Peut-être fatiguée par la théatralité un peu forcée que le tribun socialiste a fait sienne, et déçu par le score électoral en demi-teinte auquel tout cela a abouti, l'hebdomadaire communiste préfère maintenant parler des fromages du terroir et interviewer le député auvergnat André Chassaigne. C'est d'une autre révolution qu'il s'agit là. Celle de la ruralité, de la vieille France qui défend sa poste et son bureau de tabac, puisqu'André Chassaigne est au communisme ce que Jean Lassalle est à la démocratie-chrétienne. Ce courant écolo-communiste est encore trop faible pour supplanter le mélenchonisme. Nul doute que s'il parvenait à s'imposer ses adversaires ne tarderaient pas à le qualifier de "néo-pétainiste". Il sera en tout cas intéressant d'en examiner le devenir dans les années à venir. Je connais un peu cette France de villes moyennes et de villages (non pas celle de l'Est qui vote pour Marine, mais celle du Massif central et du Sud-Ouest), qui, par attachement à ses vieux murs de pierre accorde de meilleurs scores au Front de gauche que la moyenne nationale. On ne peut pas dire que sa "révolution" soit porteuse d'idées très adaptées aux enjeux contemporains (notamment aux questions que la technologie nous pose). Mais sa réticence profonde à l'égard des folies de notre temps est des plus respectables et il ne serait pas mal qu'une force politique sérieuse (plus sérieuse que les enfantillages du Parti les Verts-Europe écologie) prenne en charge ce qu'elle exprime. Ce n'est plus le grand élan spirituel des années 20, juste une volonté d'inertie, presque taoïste, probablement nécessaire dans un monde qui court trop vite.
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