Rome, la Germanie et les particularismes francs
18 Août 2010 , Rédigé par Frédéric Delorca Publié dans #Divers histoire
Vous savez que Nietzsche a beaucoup inspiré Max Weber et sa conception de l'Idealtype.
Nietzsche a posé certaines questions indispensables à la compréhension du monde moderne sur la longue durée, autour du clivage Rome contre la Judée ou Rome contre la Germanie. Bien sûr, victime des clichés du romantisme de son époque, il était souvent très loin de pouvoir apporter les bonnes réponses aux questions qu'il posait. Par exemple quand il a trop facilement identifié judaïsme et christianisme à la condition de esclaves, là où au contraire Paul Veyne montre que cette religion a très vite touché toutes les classe sociales.
Il faut aujourd'hui reprendre ces interrogations à nouveaux frais. Je pense en particulier à l'opposition Rome-Germanie qui est stucturante des cultures européennes depuis deux millénaires.
Il y a en Europe, et spécialement en France, des vagues de germanisation et de romanisation successives.
Je crois par exemple que, si l'on se demande pourquoi beaucoup de "souchiens" européens voient d'un mauvais oeil le voile musulman (alors que, comme je le rappelais dans un billet précédent, les Grecs traitaient leurs femmes comme les musulmans traditionnalistes le font aujourd'hui), il faut penser à la condition de la femme germanique, et son extension partielle à l'Europe romaine à la faveur de la "germanisation" des 6ème et 7ème siècle. Je renvoie le lecteur intéressé par ce processus aux travaux de Dominique Barthélémy sur la chevalerie médiévale.
Je dois dire que j'aime beaucoup le livre de Nira Pancer sur les femmes de l'époque mérovingienne qui a plusieurs mérites dont celui de thématiser un pan de l'histoire des femme sans tomber dans les excès des Gender studies, notamment quand elle analyse la précarité du statut social des femmes de la noblesse mérovingienne à l'aune de l'instabilité générale des hiérarchies introduite par le nouveau régime germanique en Gaule (face aux pesanteurs du système impérial romain classique). Ce livre très riche fait bien comprendre la cohabitation de deux systèmes de valeur, l'un romain, presque bureaucratique, et l'autre germanique, fondé sur des rapports personnels et des émulations familiales, le premier étant entretenu par la noblesse ecclésiastique et les lettrés issus de ses rangs, l'autre tenant les rênes du pouvoir politique. Le système de prestige romain du Bas-Empire fondé sur le verbe et sur le positionnement dans la sphère curiale impériale est étonnamment proche de ce que l'Etat français a produit à partir de la Renaissance. Pencer le rend très vivant à travers de longues citations de Sidoine Apollinaire dans des pages d'analyse très inspirées par Bourdieu (le livre est de 2001, une époque où les historiens citaient plus ce sociologue qu'aujourd'hui). Le système germanique, lui, bien qu'il ait beaucoup travaillé notre histoire, est largement à redécouvrir et il faut se défaire de beaucoup de catégories mentales préconstruites (et romaines) de notre culture pour l'appréhender.
Barthélémy montrait déjà que les Germains (qui ignoraient le voile !) accordaient plus de libertés à leurs femmes que les peuples méditerranéens (les Celtes aussi du reste). Avec Pancer, on a même l'impression qu'au sein de cette "exception germanique", les Francs eux-mêmes font exception. A partir d'une étude fine de la loi salique, elle montre que par exemple aucune idéologie de la perversité lubrique des femmes ne soustend sa législation sur le viol (à la différence d'autres codes germaniques plus christianisés) et que la virginité n'y est guère associée à la notion de pureté mais qu'elle y constitue simplement un atout économique pour la famille qui doit marier les filles. Est-ce dû au fait que les Francs furent le dernier peuple germanique à être christianisé (par le baptême de Clovis) ? Pancer ne fait pas le lien. En tout cas il y a quelque chose de troublant à se dire que la France fut dominée par le peuple qui parmi les Germains était le moins répressif à l'égard des femmes. Le particularisme libertin de l'aristocratie française à partir du 16ème siècle peut-il avoir quelque rapport avec cela ? A suivre...
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